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La protection fonctionnelle : un droit qu’il faut parfois arracher

Par Catherine Piraud-Rouet | Le | Personnels et statuts

C’est un droit garanti aux agents publics depuis 1983 et dont plusieurs centaines bénéficient chaque année dans l’enseignement supérieur. Si la protection fonctionnelle est le plus souvent accordée, cet octroi ne se fait pas toujours de manière simple, rapide et sereine…

265 demandes de protection fonctionnelle sur 311 ont été acceptées, soit 85,2 % en 2021.  - © Pixabay/Arek Socha
265 demandes de protection fonctionnelle sur 311 ont été acceptées, soit 85,2 % en 2021. - © Pixabay/Arek Socha

Si la protection fonctionnelle est encore relativement peu utilisée dans l’ESR, les demandes sont en hausse, portées par le boom des affaires de harcèlement en ligne, ainsi que de violences sexuelles et sexistes.

En 2021, d’après une enquête de la direction des affaires juridiques, 311 demandes — de 236 personnels d’enseignement et de recherche et 73 Biatss — ont été recensées dans les établissements publics d’enseignement supérieur et sport. 265 ont été accordées, soit 85,2 %.

À la clé, pour les bénéficiaires, un triple atout : des actions de soutien et de prévention, une assistance juridique (prise en charge des frais de justice et d’avocat) et la réparation des préjudices divers subis.

Des accords plus ou moins facilement octroyés

Éric Fassin est professeur de sociologie et d’études de genre à l’Université Paris 8. - © D.R.
Éric Fassin est professeur de sociologie et d’études de genre à l’Université Paris 8. - © D.R.

Ce qui compte aussi, et parfois surtout, pour les intéressés, c’est l’affirmation du soutien de l’institution. Lequel qui n’est pas toujours au rendez-vous.

Certains se déclarent pleinement satisfaits, à l’instar d’Éric Fassin, professeur de sociologie et d’études de genre à l’Université Paris 8, qui a demandé et obtenu la protection fonctionnelle par deux fois, pour menaces de mort et injure publique. « À chaque fois, j’ai eu le feu vert au bout d’une semaine : un délai très appréciable, même si, quand on se sent menacé, chaque journée est un peu longue », se remémore-t-il.

Tous ses collègues n’ont pas eu cette chance. Certains ont essuyé une fin de non-recevoir. « Ayant fait l’objet d’une projection de peinture lors d’un colloque en juin 2023, j’ai demandé la protection pour poursuivre mes agresseurs et défendre la liberté de débattre. Mais mon université me l’a refusée, sous couvert d’une absence d’infraction pénale », témoigne un enseignant-chercheur qui souhaite rester anonyme.

Absence de soutien public de l’institution

Christelle Rabier est enseignante-chercheuse en histoire à l’EHESS. - © D.R.
Christelle Rabier est enseignante-chercheuse en histoire à l’EHESS. - © D.R.

Certains obtiennent facilement cette couverture, mais sans soutien « officiel » de leur établissement. Et parfois, cette absence va de pair avec un véritable parcours du combattant pour décrocher ce droit.

« En novembre 2020, j’ai été pointée, avec plusieurs collègues, comme “coupable qui s’auto-désigne” sur Twitter, par un député, raconte Christelle Rabier, enseignante-chercheuse en histoire à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). J’ai demandé la protection fonctionnelle, ce que la présidence de l’EHESS a dit vouloir m’accorder, sans le faire. Je l’ai obtenue, mais au terme de près de deux ans de procédures. La situation a été très difficile à vivre. »

L’action collective, un soutien parfois insuffisant

Devoir se battre bec et ongles : tel a aussi été le lot de Samuel Legris, doctorant contractuel en sociologie, placé en garde à vue en décembre 2022 en amont d’une manifestation de gilets jaunes, qu’il accompagnait dans le cadre de sa thèse à l’Université de Pau.

Samuel Legris est doctorant en sociologie à l’Université de Pau. - © D.R.
Samuel Legris est doctorant en sociologie à l’Université de Pau. - © D.R.

« La protection fonctionnelle m’a été refusée oralement à trois reprises successives, se souvient-il. Il m’a fallu lancer une pétition en ligne avec l’aide de camarades et bénéficier du soutien d’une tribune de collègues, ainsi que d’une forte mobilisation syndicale et politique, pour enfin recevoir l’accord qui me revenait de droit. »

Intimidations, manque de connaissance de ce droit par les personnels : autant d’obstacles qui avaient amené le rapport Mandon d’avril 2017 sur les procédures bâillon à préconiser une attribution plus automatique.

Une idée qui séduit un militant CGT-FercSup. « L’action collective, même si facilitante, ne suffit pas toujours, et nombre d’agents n’ont parfois d’autre choix que de démissionner, notamment en cas de harcèlement moral. Il faudrait mieux informer et protéger les personnels, notamment contre leur employeur, qui parfois est lui-même le harceleur ou couvre le harcèlement de ses proches collaborateurs, alors que c’est interdit par le Code de la fonction publique », déclare-t-il.

Un droit statutaire, régulièrement élargi

La protection fonctionnelle recouvre le droit ouvert à tout agent victime d’une infraction dans l’exercice ou en raison de ses fonctions (menaces, injures, violences, diffamation, harcèlement, outrages, atteintes aux biens…), de la part de ses collègues ou de personnes extérieures, à obtenir la protection et l’assistance de son administration, à condition de ne pas être en faute.

Ce droit (art. L134-1 à 12 du code de la Fonction publique), issu du statut des fonctionnaires (loi du 16 juillet 1983, art.11) est élargi, depuis 1996, aux non titulaires et depuis 2016, à l’ensemble des ayants droit de l’agent, pour les actions civiles ou pénales qu’ils engagent.