[Replay] Objectif zéro émission nette, comment se positionne la recherche française ?

Quel est le rôle de la recherche française dans la transition écologique ? Comment peut-elle être initiatrice de changement sociétaux et écologiques ? Telles étaient les problématiques qui ont animées les intervenants de ce webinaire organisé par Campus Matin et son partenaire Elsevier, le 31 mai 2022. 

Cycle : Campus Matin

Réduire à néant les émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici à 2050 : une véritable course contre la montre, qui va nécessiter une recherche-innovation solide pour déployer rapidement les technologies énergétiques les plus propres possibles.

Face à ces enjeux, les universités, les écoles d’ingénieurs, ainsi que les centres de recherche publics et privés, occupent un positionnement non négligeable sur la scène mondiale. Ils mettent en œuvre des stratégies innovantes pour optimiser la corrélation entre résultats de recherche et avancées industrielles et sociétales. Et multiplient les initiatives concrètes sur le terrain.

La France, un acteur de poids dans la recherche mondiale sur les énergies vertes

L’équipe recherche analytique et données d’Elsevier a publié à l’automne 2021 un rapport sur l’état de la recherche mondiale dans le domaine des énergies moins polluantes. L’étude balaie différents paramètres situant la France dans ce paysage :

  • La France figure à la 9e place en termes de volumes nationaux de publication. « De plus, et bien que restant au-dessus du niveau mondial, son impact citationnel - c’est à dire qui mesure l’effet de levier intellectuel- la place comme relativement sous-performante par rapport aux pays leaders (Allemagne, Arabie saoudite, Danemark, Singapour, Suède) », pointe Étienne Vignola-Gagné, analyste recherche senior à Elsevier, au sein de l’équipe qui a publié le rapport.
  • Côté collaborations avec les pays à revenus faibles ou intermédiaires, l’Hexagone enregistre, par contre, un très bon score en se classant 2e, derrière l’Arabie saoudite.
  • Autres points forts : la collaboration université-entreprise (5e) et les volumes nationaux de brevets (6e).
  • Notre point faible : l’impact de recherche dans la presse et les documents de politique publique. Le pays ne figure pas dans les 25 premiers.

Anne-Catherine Rota, consultante Research intelligence d’Elsevier. - © D.R.
Anne-Catherine Rota, consultante Research intelligence d’Elsevier. - © D.R.

Attention cependant à ne pas tirer de conclusions hâtives, car « il est pertinent de suivre ce monitoring à l’échelle de dispositifs beaucoup plus fins, à l’aune de la collaboration des acteurs publics et privés », relève Anne-Catherine Rota, consultante Research intelligence chez Elsevier.

Une conclusion commune émerge néanmoins : la nécessité d’une augmentation des pratiques de recherche collaborative (interdisciplinarité, collaboration intersectorielle, collaboration internationale) afin d’accélérer l’innovation, une nécessité mise en avant par les données récoltées par Elsevier, lors d’entretiens avec des experts du domaine.

Passer à une recherche interdisciplinaire, en évitant les silos thématiques

Pour Nadia Maïzi, directrice du nouvel Institut pour la transition 1.5 à Mines-Paris PSL, lancé au printemps 2022 et l’un des auteurs principaux du 6e rapport du GIEC, il est nécessaire de « développer une vision systémique et holistique ». Elle explique :

« Si l’on n’a pas envisagé la façon dont les modes de vie et les usages pourront se mettre au diapason des technologies, si l’on n’a pas pris en compte toutes les externalités en termes de ressources et de limites physiques de la planète, on passera à côté de la proposition de solutions. »

L’Institut pour la transition 1.5 va donc s’appuyer sur tous les départements de l’école. « Il va faire fructifier tout ce que nous savons déjà faire, mais de manière trop silotée, l’institut va créer une interdisciplinarité et une interaction entre les différentes structures internes de l’école, puis de rayonner vers l’extérieur  », note Nadia Maïzi.

Philippe Drobinski dirige le Centre Interdisciplinaire Energy4Climate. - © IPSL
Philippe Drobinski dirige le Centre Interdisciplinaire Energy4Climate. - © IPSL

De même, le centre interdisciplinaire Energy4Climate (E4C) de l’Institut polytechnique de Paris, créé en juin 2019 avec l’École des Ponts Paristech et en partenariat avec le CNRS et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), s’appuie sur l’alliance des sciences de l’ingénieur et du climat avec les sciences économiques, politiques et sociales. « Nous traitons de problèmes systémiques complexes, sur lesquels on est obligés de croiser des visions et des analyses », note Philippe Drobinski, son directeur.

Avoir une approche résolument bottom-up

Pour démontrer la faisabilité de la transition énergétique sur le terrain, l’équipe a fait du campus de l’Institut polytechnique de Paris un terrain de test de la transition écologique.

« Nous y avons déployé des démonstrateurs technologiques de taille réelle : ferme agrivoltaïque, système innovant de capture et de valorisation du CO2, smart grids électriques… », expose Philippe Drobinski.

Ces démonstrateurs sont à disposition de tous les personnels et visiteurs de l’Institut. À la clé, un important vecteur de sensibilisation et d’acceptabilité de la transition énergétique. « Nous sommes un incubateur à petite échelle de leviers qui pourront ensuite être activés à des échelles plus grandes », résume Philippe Drobinski.

Créer un écosystème avec l’industrie

Nadia Maïzi dirige l’Institut pour la transition 1.5. - © Nadia Maïzi / Mines Paris
Nadia Maïzi dirige l’Institut pour la transition 1.5. - © Nadia Maïzi / Mines Paris

C’est un enjeu d’abord financier. « N’ayant pas de budget, nous faisons appel à des mécènes, relève Nadia Maïzi. Nous allons tenter de lever 10 à 15 millions d’euros, pour pouvoir mettre en place le cœur de notre système sur cinq ans. »

L’enjeu est également stratégique. S’associer à l’industrie est le fer de lance du déploiement des solutions. Parmi les partenariats mis en place ou en cours pour E4C, on compte aussi bien des majors de la production d’énergie tels que Total Énergie, EDF, ou  Engie que des acteurs clés du monde financier, du bâtiment ou du digital.

« Ce mécénat crée un tissu de collaborations nous permettant de voir quels sont les verrous de terrain, décrypte Philippe Dobrinski. En contrepartie, nos mécènes ont accès à des expertises multiples : en sciences de l’ingénieur, mathématiques appliquées, digital, économie, sciences sociales sur les comportements des usagers, etc. ».

Ce travail en écosystème est également le fait de Genvia, entreprise spécialisée dans l’hydrogène décarboné née en 2021 et dont les deux principaux actionnaires sont Schlumberger et le CEA. « Nous comptons aussi à nos côtés Vicat et Vinci Construction, ainsi que l’Aris (agence régionale des investissements stratégiques) », précise Marie-Noëlle Dessinges, manager du transfert de technologie chez Genvia.

Accélérer le transfert de brevets pour massifier les solutions

Face à l’ampleur de l’enjeu et de la tâche, il est essentiel d’être capable de massifier, de répliquer, de disséminer des innovations le plus rapidement possible. « Pour accélérer la transition, il faut montrer qu’on est capable de délivrer des choses, et donc favoriser et accélérer les transferts de brevets », déclare Philippe Drobinski.

Marie-Noëlle Dessinges approuve : « Les transferts de brevets sont fondamentaux pour protéger les avantages compétitifs des acteurs industriels. Ce sont aussi des clés, dans une économie mondialisée, pour défendre nos portefeuilles. »

Des projets pour peser en tant qu’acteurs engagés.

« Nous sommes mandatés pour participer à une entreprise dont dépend l’avenir de l’humanité  », pointe Nadia Maïzi. Les équipes de l’Institut pour la transition 1.5 vont développer un programme scientifique en quatre grands axes : le design de la transition ; comment ne pas tomber dans une autre difficulté en allant vers le tout électrique ; la planète inclusive (prise en compte d’une distribution équitable des efforts) ; la planète comme enjeu d’influence entre puissances.

Genvia s’implique également. « L’hydrogène est une molécule à forte teneur en énergie utilisée depuis longtemps comme fioul pour la propulsion des fusées, mais qui entre complètement dans le jeu de la transition énergétique  », expose Marie-Noëlle Dessinges. Elle peut notamment être exploitée comme vecteur de décarbonation, pour remplacer les brûleurs à gaz naturels utilisés dans l’industrie et qui libèrent énormément de CO2 (contre de simples molécules d’eau pour l’hydrogène). « On estime qu’à l’horizon 2030, en incluant taxe carbone et la densité énergétique de la molécule d’hydrogène, la compétitivité sera au rendez-vous en termes de coûts », informe Marie-Noëlle Dessinges.

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