[Replay] L’intégrité scientifique face au défi d’une science ouverte sur la société
La pandémie de Covid a accéléré la circulation des résultats des projets de recherche vers des publics élargis. À la clé, la révélation de manquements, parfois graves, à l’intégrité scientifique. Comment lutter contre ce phénomène, dans un contexte d’ouverture de la science ? Tel était l’enjeu du webinaire « L’intégrité scientifique face au défi d’une science ouverte sur la société », mené le 25 janvier 2023 avec notre partenaire Elsevier, dans le cadre de Think Education & Recherche.
Cycle : Campus Matin
La pandémie de Covid a fait office de détonateur pour le monde scientifique. « La science biomédicale a fonctionné à capot ouvert, donnant aux citoyens à voir se mettre en place des avancées incroyables en un temps record. Mais en corollaire ont été révélés petits arrangements, fraudes et méconduites », expose Olivier le Gall, président du conseil de l’Office français de l’intégrité scientifique (Ofis).
Ce que confirme d’ailleurs la récente étude Confidence in Research menée auprès de scientifiques et d’experts de plusieurs pays qui révèle que près des deux tiers des chercheurs scientifiques interrogés (63 %) pensent que la pandémie a accru l’attention du public sur la recherche.
Une nouvelle donne en matière de communication scientifique
Bruno Lina, professeur en virologie à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et membre du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires, détaille le bilan de la période.
« La notion inédite de “connaissance évolutive” a obligé la communauté scientifique à expliquer les actions mises en place dans un contexte d’incertitudes majeures, face à un public qui exigeait des certitudes », relate-t-il.
D’où plusieurs points noirs. « La mise dans l’arène médiatique du discours scientifique avec des interactions de spécialistes aux points de vue et aux connaissances épidémiologiques hétéroclites a brouillé le message. Et le partage en ligne de données fausses a alimenté des stratégies complotistes. »
L’expérience n’est pourtant pas exempte de versants positifs. « La crise sanitaire a accéléré la diffusion de l’information scientifique, ce qui peut permettre de réagir mieux et plus vite », évoque Bruno Lina. La période a aussi été source d’enseignements. « En particulier sur le fait que, pour être sérieuse, la science doit prendre du temps, qu’elle doit être pensée et évaluée correctement », conclut-il.
L’intégrité scientifique mise à mal par la pandémie
La pandémie a occasionné l’afflux d’une masse d’informations scientifiques sans précédent. Un phénomène encore favorisé par l’émergence dans le domaine biomédical des « preprint » (prépublications). « Entre janvier et juin 2020, plus de 15 000 preprints ont été déposés. Ce qui a posé la question de la gestion rapide de cette information, encore non validée et parfois soumise aux comités de rédaction », témoigne Christine Aimé-Sempé, directrice éditoriale adjointe au département des revues médicales d’Elsevier Masson.
Autre danger : les fraudes des structures qui matraquent les éditeurs d’articles parfois basés sur de la fausse science. « Sur les 2,5 millions d’articles soumis, nous en rejetons 80 % pour différentes raisons, indique Christine Aimé-Sempé. Malgré tout le travail de peer-reviewing [évaluation par les pairs, NDLR], on peut encore détecter des fraudes après publication. »
Assurer la sécurisation des données publiées : une problématique majeure
Ce point constitue un enjeu central des prochaines décennies. Mais la notion de méconduite scientifique constitue une zone grise aux contours évolutifs. Olivier le Gall explique : « Son noyau est la fraude volontaire de chercheurs qui falsifient et plagient d’autres auteurs. Mais il est plus compliqué de cerner les autres types de méconduites. À savoir, tout un ensemble de pratiques de recherche erronées, volontaires ou non, conscientes ou non, et potentiellement poussées par un système qui met les chercheurs sous pression. »
Parmi les solutions évoquées, celle de l’appui sur les cahiers de laboratoires (espace où les chercheurs enregistrent l’ensemble des résultats obtenus) semble peu pertinente. « Ce processus permet de montrer, en cas de conflits de date de publication de résultats, lequel peut revendiquer un droit sur le processus. Mais il est très compliqué de revenir dessus et cela suppose que les données ne soient pas falsifiées », estime Bruno Lina.
Autres pistes : l’indication claire des conflits d’intérêts (co-publications avec ou soutien de travaux par des industriels, ou articles dont les auteurs travaillent dans un autre champ avec l’un d’eux) ou la mise en place d’outils pour rejeter et signaler les articles faussés.
Une avancée récente semble prometteuse : l’intégration des questions de l’intégrité et de la culture scientifique à la loi de programmation de la recherche. « Celle-ci oblige désormais 1 % des appels à projets de l’Agence nationale de la recherche (ANR) à se tenir dans le cadre de la culture scientifique », se félicite Laure Darcos, sénatrice, vice-présidente de la commission culture, éducation et communication.
Une évaluation par les pairs complexe à instaurer
Le peer review semble le gage le plus abouti de sécurisation de l’intégrité scientifique des résultats proposés à publication. Mais ce processus d’évaluation rapide est éminemment complexe. « Les rapporteurs n’ont ni les moyens, ni le temps, ni le mandat, de réexaminer les données », rapporte Olivier le Gall.
L’ouverture de cette évaluation (open peer review) est une piste d’amélioration de la transparence qui est actuellement essayée par certains éditeurs comme Elsevier. « Nous avons des pilotes en cours, où nous publions les commentaires des reviewers avec l’article accepté, ou bien après un reviewing interne de l’article soumis par le comité de rédaction de la revue nous mettons un lien dans les articles qui permet aux lecteurs de l’article de faire des commentaires, ce qui permet aussi aux lecteurs de se faire un avis et de poser des questions aux auteurs », explique Christine Aimé-Sempé.
De plus, chaque auteur reçoit un lien qu’il peut partager et qui permet l’accès à son article accepté gratuitement pendant 50 jours.
« Cela répond à une évolution du métier, note Christine Aimé-Sempé : alors que seulement 30 % des jeunes ont une vision positive de la science, les scientifiques ont besoin d’expliquer leurs travaux. D’ailleurs certaines de nos revues publient des lay summaries qui permettent d’expliquer le contenu de l’article à des non-spécialistes. »
Jusqu’où aller dans l’open science ?
Le débat de fond sous-tendu par cette initiative est celui de l’open science. Une formule prônée par Olivier le Gall. « Ouvrir la science, c’est peut-être participer à un processus de solidification scientifique, en permettant à un cercle élargi de chercheurs de vérifier et recontextualiser les résultats », soulève-t-il. Tout en reconnaissant que cette ouverture fait planer des risques : nouvelles formes de fraude, élargissement du fossé digital entre les acteurs les mieux et les moins dotés…
Des limites également abordées dans le cadre du consortium Couperin.org et dont Laure Darcos, co-auteure du Rapport sur la science ouverte de mars 2022, se fait la porte-parole. « Il est nécessaire de ne pas déréguler les publications à tout-va, sous peine de menacer la survie des éditeurs, notamment des petites maisons indépendantes », prévient-elle.
La sénatrice émet aussi un regret : « Le ministère de l’ESR pousse les scientifiques à signer des licences libres, au motif qu’ils veulent avant tout faire connaitre leurs travaux. Ce qui est dangereux, car le monde du net est une jungle. Seul le professionnalisme des éditeurs permet des publications certifiées. »
Elle prône la persistance de plusieurs modèles de publication au choix, « afin de laisser libres scientifiques et chercheurs et faire perdurer l’équilibre économique des éditeurs. »
Christine Aimé-Sempé admet que la nécessaire évolution de leur modèle économique interpelle l’ensemble de ces derniers. « Nous faisons désormais des accords transformants, qui mènent à l’évolution progressive des abonnements en mode open science », illustre-t-elle. Elle reconnaît la nécessité d’une certaine souplesse dans les contrats : « Quand les chercheurs publient chez nous en open access, ils ont le choix entre plusieurs licences, plus ou moins restrictives ».
Bruno Lina avise que pour que les chercheurs continuent, eux aussi, à tirer leur épingle du jeu de cette nouvelle donne, il faut trouver un système qui permette au déposant de s’y retrouver en cas d’utilisation de ses données. Autant de questions actuellement explorées dans le cadre dans du projet européen pour une science ouverte responsable, Rosie.