Vie des campus

Les universités populaires entre héritage historique et quête de nouveaux publics

Par Antoine Bovio | Le | Relations extérieures

Depuis les années 1970, les universités populaires se sont développées pour répondre à la demande des séniors de se rapprocher du monde universitaire. Ces structures, ouvertes sans condition d’âge ni de diplôme, offrent des enseignements accessibles à tous. La pandémie a impacté leur fonctionnement, les obligeant à s’adapter. Aujourd’hui, elles cherchent à attirer de nouveaux publics. Campus Matin donne la parole à celles et ceux qui les font vivre.

Les universités populaires sont des associations locales d'éducation à but non lucratif. - © Canva
Les universités populaires sont des associations locales d'éducation à but non lucratif. - © Canva

Dans les années 1970, une demande émane des séniors : ils veulent se rapprocher des bancs de l’université qu’ils n’ont pas connus ou qu’ils souhaitent retrouver, par nostalgie. Une attente grandissante qui entraîne l’apparition dans les années 1980-1990 des universités du temps libre, universités interâges et universités populaires.

30 ans plus tard, elles ouvrent toujours leurs portes à tous, sans condition d’âge ni de diplôme. Campus Matin a rencontré des porteurs de projets et enseignants de trois universités populaires pour connaître leur vision de ces structures, grandement affectées par la pandémie.

Des histoires personnelles dans un projet collectif

1975. La gérontologue Hélène Reboul fonde une université populaire dédiée au troisième âge, dans les locaux consacrés à la formation continue de l’Université Lumière Lyon 2. Le projet pédagogique, un programme de conférences à destination d’un public non académique, est alors défini avec des retraités. Progressivement, cette initiative s’ouvre à tous les publics. Si bien que les années 1990 voient l’Université du Troisième Âge devenir l’Université tous âges (UTA), rattachée à la direction sciences et société de l’Université Lumière Lyon 2.

En 1997, Hervé Bruni est étudiant de l’établissement et rédige sa thèse de psychologie. L’époque est à l’avènement d’internet et il réalise alors de nombreuses expérimentations sur ordinateur, ce que remarque la direction de l’Université tous âges. « Elle m’a demandé si j’étais intéressé pour créer un site internet », raconte Hervé Bruni, aujourd’hui chef de service de l’Université tous âges. 

Frédéric Régent est enseignant-chercheur en histoire moderne à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - © Pascal Levy / Panthéon-Sorbonne
Frédéric Régent est enseignant-chercheur en histoire moderne à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - © Pascal Levy / Panthéon-Sorbonne

Pour Frédéric Régent, enseignant-chercheur en histoire moderne à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste de l’histoire de l’esclavage, l’opportunité est venue d’une association. Celle du Comité marche du 23 mai 1998 (CM 98), née au lendemain de l’organisation de la marche pour la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité. C’est avec elle qu’il va lancer un projet, en 2013.

Cette année-là, CM98 et l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF), aujourd’hui intégré à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (IHMC) de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, signent une convention de partenariat, actant la genèse de l’Université populaire du CM98 et de cycles de conférences dédiés à la mémoire de l’esclavage.

Rencontrer divers publics : une richesse pour les enseignants et les dirigeants

Pierre Ancet est enseignant en philosophie et directeur de l’Université pour tous de l’Université de Bourgogne depuis 2007. Confronté à différents publics, il adapte sa manière d’aborder les thématiques. « J’ai parfois pris des risques comme quand, à 37 ans, j’ai fait un cours sur le vieillissement avec un public qui, lui, connaissait intimement ce sujet. C’est une approche que je ne pourrais aborder de la même manière avec mes étudiants de l’Université de Bourgogne. »

Le défi est aussi de rendre accessible à un public novice des sujets parfois complexes. Le tout sans objectif de performance académique. C’est l’idée qui séduit des enseignants-chercheurs, comme Monica Martinat, intervenante à l’UTA et professeure d’histoire moderne à l’Université Lumière Lyon 2 : « Nous avons un enseignement qui ne vise pas les compétences pour une fois, qui vise vraiment une connaissance totalement gratuite. Et cette philosophie devrait exister à l’université classique. »

Questionner ses axes de recherche par l’échange

Monica Martinat est professeure d’histoire moderne à l’Université Lumière Lyon 2. - © D.R.
Monica Martinat est professeure d’histoire moderne à l’Université Lumière Lyon 2. - © D.R.

Pour la préparation de ses cours, Monica Martinat n’hésite pas à mobiliser l’intelligence collective.

« J’avais fait une séance sur Spielberg en alliant cinéma et histoire, et certaines auditrices m’ont proposé de mettre en parallèle des dossiers faits par des écoles sur des films comme La Zone d’intérêt. J’ai aussi des échanges plus informels, en ayant des retours sur mon cours sur l’Italie et sur les villes où des gens passionnés par Turin ont fini par aller. C’est assez réjouissant de créer cela. »

Frédéric Régent a pour habitude de préparer une intervention d’une heure, accompagnée d’un diaporama, d’un support iconographique et de questions/réponses.

« Quelques réponses données sont parfois des affirmations péremptoires, sourit-il. Mais il faut les prendre en considération, les traiter. »

L’intérêt d’être confronté à un public aussi varié, « c’est qu’il pose des questions et attire l’attention sur la lecture que nous pouvons faire des documents. Cela engendre des questions que l’enseignant-chercheur peut lui-même ensuite poser aux sources d’archives, auxquelles il n’aurait pas pensé seul dans son coin. »

S’adapter et se réinventer pour être plus attractif 

En 2020, la pandémie met à mal les universités populaires. Les structures sont contraintes d’annuler des inscriptions et des cycles de conférences, et optent pour la visioconférence, seule solution pour continuer les cours.

Les conséquences sont majeures : l’Université pour tous de Bourgogne a perdu la moitié de ses membres, l’Université tous âges est quant à elle passée d’un millier d’inscrits à un peu plus de 200. 

Lors de la pandémie, l’Université tous âges a vu son nombre d’inscrits divisé par cinq.  - © Université Lumière Lyon 2
Lors de la pandémie, l’Université tous âges a vu son nombre d’inscrits divisé par cinq.  - © Université Lumière Lyon 2

Tirer profit de la pandémie pour se renouveler

Face à un public globalement âgé, l’Université tous âges a subi le manque de connaissances numériques de ses fidèles. Un problème que la structure a voulu tourner à son avantage. « Les visioconférences nous ont permis d’élargir notre cible en touchant un public qui ne souhaite pas se déplacer, qui peut être porteur de handicaps… C’est un plus pour l’Université tous âges. Les enseignants qui nous proposent des cycles et qui nous disent avoir un emploi du temps chargé peuvent aussi opter pour cette solution », note Hervé Bruni.

L’Université populaire du CM98 a choisi l’hybride, avec des sessions tenues simultanément en présentiel et distanciel. Une opportunité d’internationaliser le public sur un sujet, l’esclavage, qui a concerné tous les continents. « Nous allons toucher des populations qui sont en Guadeloupe, à la Réunion, Guyane, au Canada, voire même en Afrique ou en Haïti. C’est nouveau et c’est lié à la pandémie qui a entraîné l’explosion de ces modalités de conférences à distance », souligne Frédéric Régent.

Attirer de nouveaux publics

Pierre Ancet est enseignant en philosophie et directeur de l’Université pour tous de Bourgogne (UTB) depuis 2007. - © Université de Bourgogne
Pierre Ancet est enseignant en philosophie et directeur de l’Université pour tous de Bourgogne (UTB) depuis 2007. - © Université de Bourgogne

Les universités populaires veulent aussi séduire de jeunes et actifs. L’Université tous âges a ainsi officialisé un accès gratuit pour les étudiants de l’Université Lumière Lyon 2, qui payaient auparavant 25 euros par an.

Pour les actifs, la stratégie a été de programmer des cours en visioconférence entre 18 heures et 20 heures, afin que ces derniers aient aussi la possibilité de les suivre après le travail.

Du côté de l’Université pour tous de Bourgogne, moderniser les formats des cours est à l’étude, sans tomber dans un piège. « On sait que des thématiques pourraient être plus professionnalisantes pour faire venir des jeunes et des actifs. Mais il ne faut pas marcher sur les plates-bandes de la formation continue, ce n’est pas le but », conclut Pierre Ancet. 

Trois universités populaires, trois fonctionnements

À l’Université Tous âges, le programme s’axe en majorité sur des thématiques de sciences humaines et sociales, qui est l’une des spécialités historiques de l’université lyonnaise. Tous ses enseignants sont rattachés à l’Université Lumière Lyon 2. L’inscription annuelle est de 25 €, cela correspond au coût administratif pour toute personne voulant suivre un cours à l’UTA. Chaque cycle de six conférences de deux heures coûtera 60 € en 2024-2025. 

L’Université pour tous de Bourgogne propose près de 2000 heures de cours à l’année et compte environ 1500 auditeurs. Les frais d’inscription sont fixés à 103 euros pour suivre tous les cours, avec une augmentation symbolique du coût d’un euro par an. Histoire, sciences humaines, médecine, astronomie, botanique : le programme est varié. La structure est un service financé et rattaché à l’Université de Bourgogne.

Pour l’Université populaire du CM98, l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne met gratuitement à disposition des amphithéâtres avec des conférenciers intervenant à titre bénévole pour l’association, l’accès est gratuit sur inscription. Le projet reçoit ponctuellement des financements de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) afin de couvrir des possibles demandes de défraiements des intervenants venant hors d’Île-de-France.