Vidéo pédagogique : quels usages dans les établissements du supérieur ?
La vidéo pédagogique est désormais au cœur des pratiques éducatives dans l’enseignement supérieur. Quels sont ses usages et ses atouts, pour les enseignants comme pour les étudiants ? Quels défis l’intégration de ce nouvel outil entraîne-t-elle pour les établissements ? C’est ce dont ont débattu quatre experts réunis en ligne le 28 mai dernier par Campus Matin et Ubicast.
Cycle : Campus Matin
La vidéo pédagogique s’impose dans les pratiques pédagogiques du supérieur : c’est ce qu’a mis en lumière la quatrième enquête d’Ubicast, publiée en avril 2024. Ce sont plus particulièrement les capsules vidéo courtes, d’une dizaine de minutes maximum et ciblées sur un point de cours précis, qui sont en forte progression.
« En deux ans, elle est devenue l’usage numéro 1, devant la digitalisation des cours magistraux et la production de tutoriels, présente Jean-Marie Cognet, CEO d’Ubicast et vice-président (VP) en charge de l’ESR d’EdTech France. 85 % des sondés ont indiqué l’avoir comme modalité pédagogique et, pour 97 % d’entre eux, les professeurs sont désormais en autonomie pour créer ces capsules. »
Toutes les disciplines aujourd’hui concernées
Cet usage est aujourd’hui résolument transversal. « Les UFR santé sont les plus gros consommateurs de vidéos, mais celles-ci sont aussi en nette progression dans les UFR de langues », indique Emmeric Courtois, ingénieur enseignement numérique à l’Université de La Réunion.
Des bénéfices nombreux et généralisés
« La vidéo pédagogique nous permet d’aller plus vite et plus loin, en lissant les écarts de niveaux entre nos étudiants — qui peuvent s’approprier les contenus à leur rythme — et en concentrant les heures “professeurs” sur de l’application, tout en développant des modules complémentaires », déclare Jérémy Pillevesse, responsable pédagogique à l’école d’intelligence artificielle et de data Enesia.
Céline Joiron, maîtresse de conférences et VP transformation pédagogique à l’Université de Picardie Jules Verne, ajoute : « Elle favorise le développement et l’évaluation des mises en situation, leviers de l’approche par compétences. »
De son côté, Emmeric Courtois estime : « En dynamisant les enseignements, elle renforce l’engagement étudiant et donc l’ancrage des acquisitions. »
Des défis à surmonter
Plusieurs obstacles restent cependant à surmonter.
Pas de vidéo efficace sans ingénierie pédagogique
« Une simple vidéo YouTube ne suffit pas pour générer de l’engagement. C’est tout l’enjeu de l’ingénierie pédagogique, qui consiste à accompagner les enseignants pour trouver les modalités les plus propices à diffuser leur savoir », note Jean-Marie Cognet.
S’appuyer sur les « early adopters » pour mobiliser le plus grand nombre
On compte un noyau de 20 % d’enseignants early adopters, très dynamiques face à l’outil numérique et, à l’autre extrémité, sensiblement le même taux qui en sont très éloignés. Pour mobiliser les 60 % qui sont à mi-chemin, s’appuyer sur les early adopters est un levier efficace.
Ne pas ajouter d’écueils techniques
Pour continuer à se développer, la pratique nécessite de la simplicité. « La vidéo doit être un outil de plus dans le Learning management system (LMS, Moodle le plus souvent) et non pas une tierce plate-forme, prévient Jean-Marie Cognet. Il faut que cela reste dans le cadre de ce que les enseignants maîtrisent au quotidien, sous peine de les perdre. »
Une démarche bien comprise à l’Université de La Réunion. « L’équipe Tice santé fait un travail énorme d’accompagnement des enseignants en la matière », salue Emmeric Courtois.
L’enseignant doit rester au cœur du dispositif
« L’enseignant est le chef d’orchestre de la réflexion, la conception, la scénarisation même des vidéos », rappelle Céline Joiron.
Adopter les bonnes stratégies d’investissement
Alors que le monde du numérique fonctionne sur des modèles par abonnements, les universités sont surtout sur des budgets d’investissement. D’où l’enjeu de réussir à trouver le bon compromis pour implémenter au mieux l’outil. « Il y a toujours une balance à faire entre ce que nous coûte un abonnement et ses bénéfices », pointe Céline Joiron. Il faut en effet prendre en compte les coûts directs et indirects (en temps, en ressources humaines, en équipements annexes…).
Il convient ensuite de rentabiliser cet investissement. « Moins d’étudiants rime avec place libérée dans les locaux, moindre consommation d’énergie, économie de temps enseignants… », énumère Jérémy Pillevesse.
Suivi et évaluation : deux impératifs majeurs
Mesurer ce retour implique d’avoir des remontées statistiques : si les étudiants regardent la vidéo, s’ils décrochent, si les enseignants en produisent… Une démarche pas toujours évidente. « Les données pédagogiques sont parfois incomplètes, difficiles à agréger », remarque Céline Joiron.
Emmeric Courtois ajoute : « Tout cela prend du temps, alors que nous en manquons tous. »
L’IA : quels usages, quelles limites ?
Depuis l’avènement de ChatGPT fin 2022, énormément d’outils quasi instantanés se créent pour la conception pédagogique.
Des usages variés
L’intérêt pour l’IA est considérable dans le supérieur. « 85 % de nos sondés se sont déjà penchés sur le sujet », illustre Jean-Marie Cognet. Les usages, et surtout les expérimentations, se développent.
Céline Joiron précise : « Chez nous, la vidéo, pour le moment, est plutôt une aide à la scénarisation ou une base pour alimenter une IA qui va elle-même générer des contenus complémentaires, comme des quizz. » Tandis qu’à l’Enesia, c’est la veille qui domine. « L’IA va si vite qu’il faut en permanence procéder à des remises à niveau, des tests et des analyses », explique Jérémy Pillevesse.
Deux points de vigilance
Parmi les limites, une fiabilité encore limitée. « Si l’IA est déjà efficiente pour aider à scénariser un contenu et l’enrichir, ce n’est pas encore le cas pour la production de vidéos dotées d’une réelle qualité pédagogique et académique », estime Jean-Marie Cognet.
Ensuite, la nécessité de préserver l’éthique et la souveraineté des données. « Nous ne savons pas où vont les data qui alimentent les contenus et comment elles sont réutilisées », souligne Emmeric Courtois. Enfin, « Il faut aussi respecter des principes d’inclusion et d’accessibilité », ajoute Jean-Marie Cognet.