Vie des campus

Idée fumante : bannir la cigarette des campus, comme sur celui de EHESP

Par Marine Dessaux | Le | Rse - développement durable

C’était une contradiction impossible : tolérer l’une des pires nuisances en termes de santé publique, à savoir la cigarette, à l’EHESP (École des hautes études en santé publique).

C’est donc fini depuis juin 2018 : le campus, à Rennes, est sans tabac. Et l’EHESP est le 1er établissement d’enseignement supérieur et de recherche à être totalement non-fumeur.

Bientôt deux ans après, un retour d’expérience s’impose.

EHESP sans tabac - © D.R.
EHESP sans tabac - © D.R.

Convaincre plutôt que sanctionner

Comme l’indiquent d’imposants panneaux signalétiques à l’entrée de l’EHESP à Rennes : la cigarette à proximité des bâtiments, c’est fini ! Le tabac n’est toléré qu’en périphérie du campus extérieur, dans les abris fumeurs.

Pour l’EHESP, il s’agit d’une mesure de cohérence, « en qualité d’école nationale de référence en santé publique formant les futurs cadres de notre système de santé », qui s’inscrit dans une démarche de sensibilisation contre le tabagisme.

Lorsque l’opération est lancée, en juin 2018, le premier challenge consiste à renseigner et à convaincre les étudiants mais aussi le personnel sur le « campus sans tabac ».

Défi largement relevé puisque, dès la rentrée 2019, dans le questionnaire de rentrée des master, 95 % des répondants (personnel, élèves fonctionnaires…) avaient entendu parler du campus sans tabac et 70 % d’entre eux s’affirment « très favorables » au dispositif, pour seulement 3 % de peu favorables.

Le dispositif est accepté sur le papier mais aussi respecté dans les faits, affirme Marie-Hélène Renault, directrice des ressources humaines et cheffe de projet du campus sans tabac à l’EHESP. « L’interdiction de fumer sur le campus est respectée, à 100 % par le personnel et en grande partie chez les élèves, à quelques exceptions près. Depuis la rentrée 2019, je n’ai croisé que deux personnes qui fumaient, à qui j’ai expliqué que c’était interdit et qui se sont excusées. »

Ce qui a été mis en place

Pour atteindre ses objectifs, l’EHESP a mis en place quatre types d’actions :

  • 1) Installation d’un mobilier spécifique : 4 abris pour les fumeurs en périphérie du campus, des panneaux signalétiques aux entrées, cendriers dans les abris et les entrées, des affiches préventives « roll-up » (que l’on peut rouler) utilisées lors des différents événements de la vie du campus.

 « Les abris ont été construit là où de nombreux étudiants avaient l’habitude de fumer. Ils sont maintenus propres et munis de cendriers. Il est important de proposer une solution qui soit convenable pour les fumeurs, de ne pas être répressif », explique Marie-Hélène Renault.

  • 2) Recrutement d’ambassadeurs : embauchés en contrat étudiant, deux à six ambassadeurs, selon les périodes, sont formés à la prévention et promotion de la santé publique. Ils sont payés 10 heures par mois pour discuter avec les fumeurs. On les aperçoit, munis de leur doudoune bleue, gilet « campus sans tabac » et des éléments de langage appropriés, lors des pauses ou aux congrès.

« Nos ambassadeurs sont bien accueillis, ils sont porteurs d’un message positif (ni répressif, ni culpabilisant). Ça se passe toujours bien. Nous n’avons eu qu’un ou deux incidents de mécontentement véhément en plus d’un an de pratique », précise Marie-Hélène Renault.

  • 3) Accompagnement pour les fumeurs qui souhaitent se sevrer : conférences, stands, coaching fumeur/non fumeur, animations, consultations tabacologie, séances de sophrologie…
  • 4) Lutte contre la pollution des mégots : un des points mis en avant par l’EHESP qui s’est avéré facile à résoudre.

«  Il n’est plus nécessaire de mettre en place un dispositif particulier concernant la pollution causée par les mégots. Il n’y a plus que les cendriers des abris et entrées à vider, ce qui est fait par une société de ménage une fois par semaine. Nous avons également une prestation de ménage extérieur, et, quand je trouve de de temps en temps un ou deux mégots, je les ramasse. Parce qu’il est évident qu’un mégot par terre en attire d’autres. »

EHESP - © EHESP
EHESP - © EHESP

Une source d’inspiration pour d’autres établissements ?

Le premier campus sans tabac, dont le modèle semble fonctionner et se pérenniser, donne des idées ailleurs.

« On reçoit beaucoup de demande de renseignements. Comme notre dispositif est rare, d’autres établissements s’y intéressent » confirme Marie-Hélène Renault.

C’est le cas de l’école des travailleurs sociaux de Rennes et du CHU de Brest. Le domaine de la santé est particulièrement concerné par la question de la sensibilisation au tabagisme.

Pour répondre aux sollicitations et inspirer d’autres établissements du supérieur, l’EHESP recherche un étudiant en master de recherche en lien avec la promotion de la santé pour rédiger un guide du campus sans tabac.

« Nous avons fait ce que l’on avait en tête sans prendre le temps de rédiger. Il aura fallu deux ans de maturation, de préparation, de plans progressifs. Nous souhaiterions faire un guide de la démarche à suivre pour en arriver où nous sommes, du temps qu’il faut prendre, des obstacles mais aussi des leviers auxquels on ne s’attendait pas. »

Le campus sans tabac sera-t-il un modèle répandu, demain ? Il ne faut jamais dire jamais, assure Marie-Hélène Renault. « Quand on instaure un projet tel que le campus sans tabac, on ne doit pas partir en se disant qu’on ne pourra pas le faire. Je n’aurais pas parié sur la réussite de ce projet. Finalement, c’est comme dans un restaurant, aujourd’hui plus personne n’oserait sortir une cigarette, à l’EHESP c’est pareil, tout le monde se conforme à la réglementation. »

Et le vapotage ?

Malgré son effet nocif sur la santé, le vapotage, lui, est autorisé sur campus extérieur (mais pas intérieur) - c’est-à-dire même hors des abris prévus pour les fumeurs à l’exception de l’intérieur des bâtiments. Une décision qui peut paraître surprenante.

« La réglementation interdit de fumer à proximité des bâtiments. On ne peut pas fumer près des portes coulissantes par exemple. En revanche, vapoter est permis car cela n’impacte pas la santé des personnes alentours. D’autre part, on considère que le vapotage n’a pas le même pouvoir attractif pour un (ex) fumeur que la cigarette. Dans une démarche d’arrêt du tabac, le vapotage peut-être une étape intermédiaire. Si on demande aux étudiants de vapoter parmi les fumeurs dans les abris, ils risquent de retomber dans la cigarette » justifie Marie-Hélène Renault.

Pour autant, cette souplesse ne risque-t-elle pas d’inciter les fumeurs à laisser leur cigarette pour le vapoteur, sans pour autant avoir l’intention d’arrêter le tabac ? La question reste aujourd’hui en suspens.

Retours positifs

Consultés dès leur arrivée à l’EHESP au travers d’un questionnaire anonyme d’auto-positionnement, 85 % des étudiants se disent favorables au nouveau mode de fonctionnement de leur campus. « Même parmi les fumeurs, le dispositif est bien perçu. »

Malgré tous ces retours encourageants, l’EHESP considère ne pas avoir assez de recul pour déterminer si les actions prises incitent les étudiants à diminuer ou arrêter leur consommation de tabac.

« Notre but n’est pas de demander aux étudiants d’arrêter de fumer, rappelle Marie-Hélène Renault. Ils sont libres dans leurs choix. Nous souhaitons juste leur faire comprendre que s’ils souhaitent arrêter, leurs études sont le moment idéal. Ils ne seront pas tentés, on leur proposera des consultations, des patchs prescrit par le médecin de l’école, etc. »

« La démarche doit être nourrie d’une part par l’information et l’accompagnement des publics, d’autre part par l’évaluation des résultats : quels seront les acquis, les points de vigilance ? Il s’agit d’identifier les évolutions de comportement des usagers dans le temps pour, à terme, étudier également comment cette démarche peut nourrir les formations et recherches de l’école ».

Les partenaires

  • Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie ;
  • CHU de Rennes ;
  • Ligue contre le cancer ;
  • Polyclinique Saint-Laurent;
  • Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives ;
  • lMNH (mutuelle hospitalière) ;
  • Respaad (Réseau de prévention des addictions) ;
  • Ville de Rennes.