[Replay] Quels défis relever pour mettre en œuvre l’approche par compétences ?

Prévue dans les textes réglementaires depuis plusieurs années, l’approche par compétences se développe timidement dans les établissements du supérieur français en raison de nombreux freins. Pour faciliter sa mise en œuvre, Campus Matin et son partenaire le Réseau des Inspé, ont réuni jeudi 9 décembre quatre experts du sujet lors d’un webinaire. Synthèse.

Cycle : Campus Matin

Souvent affichée, la volonté de mettre en œuvre une approche par compétences dans les formations universitaires suppose la réécriture des référentiels de formation. Pas si simple dans de nombreux établissements du supérieur confrontés à des blocages !

L’approche par compétences, késako ?

Définition de l’approche par compétences

Sophie Kennel est VP de l’Unistra. - © Unistra
Sophie Kennel est VP de l’Unistra. - © Unistra

« L’approche par compétences, c’est une méthode de conception des programmes de formation, une méthode de mise en œuvre des modalités de cette formation, une méthode d’évaluation et de certification des compétences que doivent développer les étudiants pour leur insertion professionnelle et sociale », commence Sophie Kennel, vice-présidente déléguée à la transformation pédagogique et directrice de l’Institut de développement et d’innovation pédagogiques de l’Université de Strasbourg.

Mais que recouvre la notion de compétence ? Tous les interlocuteurs de ce webinaire s’entendent sur la définition du chercheur Jacques Tardif (Université de Sherbrooke au Québec) qui considère la compétence comme un « savoir agir complexe », soit bien plus qu’une juxtaposition de savoir-faire et de savoir-être.

« Les compétences ne sont pas opposées aux connaissances : maitriser un savoir et le mettre en application dans une situation de savoir agile complexe est fondamental », souligne Lynne Franjié, directrice du département d’évaluation des formations du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) et ancienne vice-présidente de l’Université de Lille.

Objectifs de cette approche par compétences : rendre les étudiants acteurs de leur apprentissage, et améliorer leur insertion professionnelle, grâce à une meilleure lisibilité de leurs acquis par les employeurs.

La France, en retard dans cette démarche ?

Lynne Franjié est directrice d’un département du Hcéres. - © D.R.
Lynne Franjié est directrice d’un département du Hcéres. - © D.R.

« Si l’approche par compétences est prévue dans les textes réglementaires depuis près de 20 ans, nous sommes encore dans une approche titubante. Nous avons longtemps opposé dans les évaluations, la formation initiale qui n’était pas concernée par l’approche par compétences, et la formation continue qui devait l’être », constate Lynne Franjié.

Sophie Kennel précise que l’enseignement supérieur français s’est penché sur l’approche par compétences plus tardivement que d’autres pays : « Dès les années 1960, les pays nord-américains se sont posé ces questions alors qu’en Europe, cela date plutôt du cadre réglementaire du processus de Bologne [en 1999] et de l’arrêté licence en France [en 2018]. »

La directrice de l’Institut de développement et d’innovation pédagogiques de l’université strasbourgeoise note toutefois qu’une conjoncture favorable bénéficie ces derniers temps à l’approche par compétences. Elle cite notamment les réformes de la formation professionnelle, du bachelor universitaire de technologie et des maquettes des masters Meef dans les Inspé.

« Les appels à projets du PIA sur les nouveaux cursus universitaires (NCU) ont créé une forte dynamique, donné des moyens d’action et des moyens humains autour de l’approche par compétences. Ils ont permis de créer un accompagnement indispensable à la transformation », ajoute Sophie Kennel.

L’évaluation du Hcéres prendra en compte cette approche

La prochaine campagne d’évaluation du Hcéres, qui se déroulera pendant l’année universitaire 2022-2023, comptera parmi ses critères la prise en compte de l’approche par compétences et de l’approche programme dans les formations.

« L’idée n’est pas d’en faire un critère contraignant d’accréditation ou d’émettre un avis défavorable quand une formation n’est pas déclinée en approche par compétences, assure Lynne Franjié. En revanche c’est un point d’attention pour que le Hcéres puisse accompagner dans les cinq ans à venir les équipes pédagogiques. »

Deux modèles pour mettre en place l’approche par compétences

L’exemple des IUT

Xavier Sense dirige l’IUT de Paris. - © D.R.
Xavier Sense dirige l’IUT de Paris. - © D.R.

Dans les instituts universitaires de technologie (IUT), l’approche par compétences s’est inscrite dans le cadre de la réforme du bachelor universitaire de technologie, le BUT.

Un laboratoire de recherche de l'Université de Liège, le LabSET a aidé les directions d’IUT dans la mise en œuvre de cette démarche. Ces cursus se sont posé une question centrale exprimée par vice-président Évaluation de l’association des directeurs d’IUT (Adiut), Xavier Sense : 

« Comment faire en sorte que ce référentiel de compétences ne soit pas un arrière-plan que l’on oublie au quotidien, mais davantage une colonne vertébrale qui vient structurer la trajectoire de l’étudiant et les pratiques pédagogiques des équipes enseignantes ? »

« Le référentiel de formations correspond totalement au référentiel de compétences, c’est-à-dire que chaque unité d’enseignement renvoie à une seule et même compétence. Nous avons défini des niveaux de compétences calés en fonction des années », détaille Xavier Sense, par ailleurs directeur de l’IUT de Paris.

L’UE est ensuite structurée en deux pôles, l’un comprenant des mises en situation professionnelles et l’autre avec des ressources, c’est-à-dire un ensemble d’enseignements disciplinaires et académiques en lien avec la compétence ciblée.

Une logique matricielle dans les Inspé

Les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé) ont eux opté pour une logique matricielle dans la mise en œuvre de l’approche par compétences. En clair, plusieurs modules d’enseignement parviennent à construire une même compétence, ce qui nécessite un travail important de l’équipe pédagogique pour mettre en relation le bloc de compétences et les enseignements.

« Nous avons bien été aidés par l’annexe de l’arrêté master Meef définissant trois blocs de compétences en prise avec le métier, les attendus, les axes et objectifs de formation, reconnaît Fabien Schneider, directeur de l'Inspé de Lorraine. Nous avons fait le changement pour tous les master Meef de l’Inspé, ce qui représente un peu plus de 2200 étudiants. il fallait que l’approche corresponde aux quelque 25 parcours de formation, et que cela soit acceptable par la dizaine de composantes de l’université concernées par la formation initiale. »

Quels sont les freins à lever ?

Dépasser les débats idéologiques et les idées reçues

La mise en place de l’approche par compétences dans un établissement nécessite de lever un certain nombre de freins. À commencer par dépasser « un débat idéologique chez un certain nombre de nos collègues sur le rôle de l’université dans la professionnalisation et la soumission de la formation académique à des exigences économiques », selon Sophie Kennel.

On a souvent opposé certification et diplomation

Lynne Franjié identifie de son côté un autre frein : « On a souvent opposé certification et diplomation. En France, on veut créer une corrélation directe entre les diplômes et les métiers exercés. Si l’on était dans une logique de compétences à acquérir et transférables, quels que soient les métiers évoqués, on pourrait plus facilement travailler sur l’approche par compétences. »

Contrairement aux idées reçues, « le Hcérès ne voit pas au niveau national, de disciplines ou de cursus plus engagés qu’un autre dans l’approche par compétences. Les freins ne sont pas disciplinaires, mais plutôt liés à la perception de la réussite des étudiants. J’ai vu beaucoup plus de réticences en discutant de la non compensation en raison de la mise en place de blocs de compétences », cite par exemple la directrice du département d’évaluation des formations.

En effet, une compétence est acquise ou ne l’est pas… le sacro-saint principe de compensation des unités d’enseignement entre elles permettant d’obtenir in fine un diplôme devient inopérant dans une telle approche.

Accompagner tous les enseignants

Fabien Schneider dirige l’Inspé de Lorraine. - © D.R.
Fabien Schneider dirige l’Inspé de Lorraine. - © D.R.

Le travail de l’équipe pédagogique est l’une des clés pour réussir la mise en œuvre de cette démarche.

« L’approche par compétence nécessite un travail supplémentaire de l’équipe pédagogique pour créer le lien entre un enseignement et un bloc de compétences, témoigne Fabien Schneider. Les enseignants dispensant quelques heures ont eu du mal à accepter cette approche par compétences, car ils auraient préféré évaluer leur cours et transmettre le résultat à l’équipe pédagogique qui se serait débrouillée. »

L’accompagnement de tous les enseignants, y compris les vacataires, fait donc partie des étapes indispensables à la conduite de changement.

« Il faut du temps pour convaincre les uns et les autres, une acculturation à ces transformations et un contexte favorable », résume le directeur de l’Inspé de Lorraine.

Quid de la place des étudiants dans cette démarche ?

« Les étudiants ne sont pas des freins, mais ils ressentent très fortement l’inquiétude des formateurs, insiste Fabien Schneider. Si les formateurs sont convaincus, les étudiants seront convaincus. Pour que les étudiants adhèrent, il faut qu’ils comprennent bien comment ils vont être évalués. » 

Un avis partagé par Sophie Kennel qui confirme la forte adhésion des étudiants à l’approche par compétences.