[Replay] Comment doit s’organiser la formation des enseignants au numérique ?

Les États généraux du numérique pour l’éducation se tiennent dans un contexte d’hybridation accélérée. La réflexion sur la formation des enseignants au numérique est plus que jamais d’actualité avec la préparation des nouvelles maquettes des masters « Métiers de l’enseignement, de l’éducation, et de la formation », proposés par les Inspé.

Comment envisager cette formation ? Dans un webinaire de Campus Matin et son partenaire, le réseau des Inspé, quatre intervenants spécialisés sur le sujet apportent leurs réponses.

Cycle : Campus Matin

Dans son webinaire « La formation des enseignants au numérique : constats et enjeux », qui s’est tenu le 15 octobre dernier, Campus Matin et le réseau des Inspé ont abordé plusieurs questions centrées autour de la formation des enseignants au numérique.

Sept points sont particulièrement à considérer, selon nos intervenants, pour construire cette formation que le contexte sanitaire a rendu particulièrement pressante.

1. Une formation à construire collaborativement

Jean-Marc Merriaux, directeur de la DNÉ - © D.R.
Jean-Marc Merriaux, directeur de la DNÉ - © D.R.

C’est l’un des enjeux des Etats généraux du numérique pour l’éducation qui se dérouleront les 4 et 5 novembre prochains : instaurer une réflexion commune sur la façon dont le numérique doit s’intégrer aux enseignements scolaires, notamment par la formation des enseignants.

Selon Jean-Marc Merriaux, directeur de la DNÉ (Direction du numérique pour l’éducation) du ministère de l’éducation, cette construction collective est primordiale. Il est nécessaire de « construire ensemble cette vision partagée de ce que doit être l’usage numérique au sein de l’éducatif », souligne-t-il au cours du webinaire.

Daniel le Bret, spécialiste de l’éducation, qui fut syndicaliste et enseignant avant de devenir entrepreneur, suggère lui « l’installation d’une permanence collaborative » pour « apporter son hypothèse de travail dans un ensemble plus vaste ».

2. Des spécialisations par disciplines à considérer

André Tricot, professeur des universités à Montpellier 3 et auteur de plusieurs rapports sur le numérique, l’enseignement et l’apprentissage - © D.R.
André Tricot, professeur des universités à Montpellier 3 et auteur de plusieurs rapports sur le numérique, l’enseignement et l’apprentissage - © D.R.

André Tricot, qui a coordonné et participer à la grande étude « Numérique et apprentissages scolaires » du Centre national d’étude des systèmes scolaires (Cnesco), souligne l’importance d’une approche par discipline.

Les recherches menées montrent que sont utilisés « des outils différents avec des fonctions pédagogiques différentes selon les matières », rapporte le professeur des universités à Montpellier 3.

Il prend comme exemple une pratique qui se répand en éducation physique et sportive : filmer l’élève pour lui montrer sur la vidéo ce qui est à corriger. « Cela peut être utilisé en théâtre, mais il n’y a pas d’application ailleurs ». Même chose en géographie et en mathématiques, il y a « des outils spécifiques qui ne passent pas dans d’autres disciplines ».

Par ailleurs, l’auteur de plusieurs rapports sur le numérique, l’enseignement et l’apprentissage, ajoute qu’il existe « des domaines avec de fortes plus-values, des domaines sans et d’autres où tout ce que l’on sait c’est que l’on ne sait rien ».

« C’est très compliqué, si on regarde les choses de près, d’analyser les pratiques quotidiennes du numérique. Il y a une porosité à double sens dans ce qu’on apprend à l’école et on réutilise chez soi, et ce qu’on apprend chez soi et réutilise à l’école », explique André Tricot.

3. … Mais un socle commun à avoir

« Chaque discipline peut être amenée à faire un usage du numérique très différent, la liberté pédagogique comme approche fondamentale n’est pas du tout remise en cause, mais on a un enjeu de commun numérique, ce socle de base à partir duquel chacun peut évoluer », dit Jean-Marc Merriaux.

4. Former aux usages pertinents

Elsa Lang Ripert, vice-présidente du réseau des Inspé et directrice de l’Inspé de Bourgogne, indique qu’une première formation au numérique existe déjà chez les futurs enseignants  : « Dans les maquettes, il existe des modules et des temps de formation à destination des étudiants de master Meef pour apprendre à utiliser le numérique ».

« Cet apprentissage est développé dans le cadre des enseignements (…) il est nourri par les travaux et résultats de la recherche », précise-t-elle.

Un aspect important pour la directrice de l’Inspé de Bourgogne  : « C’est la base de son aptitude à discerner ce que peuvent être des usages pertinents, à les mettre en œuvre, à les analyser et les utiliser avec les élèves ».

Le numérique n’est jamais présenté comme l’alpha et l’oméga de l’enseignement

Ainsi, « le numérique n’est jamais présenté comme l’alpha et l’oméga de l’enseignement ». Il est donc important, toujours selon Elsa Lang Ripert, de discerner les usages pertinents du superflu.

Elle cite notamment parmi les outils à maîtriser : « ceux qui facilitent la différenciation (…), les outils de type compensatoires (qui favorisent l’inclusion), les robots de téléprésence » ainsi que « tous ceux qui facilitent la collaboration entre les élèves et enseignants » et « tous ceux qui vont permettre de varier les lieux et apprentissages de l’élève ».

5. S’inspirer des pratiques des élèves

Daniel Le Bret, spécialiste de l’éducation à la triple casquette : celle d’instituteur, syndicat et entrepreneur  - © D.R.
Daniel Le Bret, spécialiste de l’éducation à la triple casquette : celle d’instituteur, syndicat et entrepreneur - © D.R.

Daniel Le Bret estime qu’il faut se poser la question :  « Est-ce que les usages nouveaux des jeunes ont quelque chose à dire à la formation ? ». Il prend en exemple des « pratiques numériques intéressantes à regarder » tel le « snap, share, tag »*, cette habitude des élèves prendre en photo ce qu’ils font, le partager et le décrire avant de recevoir des commentaires. Une approche des choses qui peut être appliquée au partage de travaux en cours. 

« Est-ce que ces pratiques des jeunes sont suffisamment connues des enseignants ? Je n’en suis pas sûr », regrette Daniel Le Bret.

 6. Ne pas omettre la formation ni la relation avec les parents

C’est un point d’attention soulevé par Jean-Marc Merriaux. En effet, « Il y a une question en matière de formation qui est très en lien avec la relation aux parents ». Alors que « les parents n’ont pas tous la même pratique du numérique », le directeur de la DNE le souligne : « Il nous faut intégrer cette dimension-là dans les dispositifs de formation ».

Les outils améliorent beaucoup la fluidité et la quantité des échanges

André Tricot explique que les études font état d’une amélioration des échanges avec les familles qui comporte néanmoins des exceptions. « Globalement, les outils qui sont utilisés aujourd’hui améliorent beaucoup la fluidité et la quantité des échanges des familles avec l’école. Sauf pour celles qui sont éloignées ou fâchées avec l’école », dit-il.

Un déploiement d’équipements numériques en phase de test

En cette rentrée 2020, l’Education Nationale lance le projet « Territoires numériques éducatifs » (bénéficiaire du Programme d’investissements d’avenir à hauteur de 27,3 M€) dont l’objectif est le déploiement d’équipements numériques sur tout le territoire mais aussi de dispositifs de formation des professeurs et des familles.

L’Aisne et le Val d’Oise, sont les pionniers qui testeront huit mesures clés, parmi lesquelles :

• mettre à disposition des professeurs un bouquet de services et de ressources en ligne via une plateforme assurer un socle minimal d’équipement numérique pour les écoles élémentaires ;

• équiper chaque classe (premier et second degrés) d’un kit d’enseignement hybride ;

• permettre l’équipement des élèves des classes élémentaires en état de fracture numérique sous forme de prêt.

7. Former en continu

Elsa Lang Ripert, vice-président du réseau des Inspé et directrice de l’Inspé de Bourgogne - © D.R.
Elsa Lang Ripert, vice-président du réseau des Inspé et directrice de l’Inspé de Bourgogne - © D.R.

« Je voudrais qu’il y ait des ponts créés pour réduire l’écart entre les enseignants qui sortent de formation initiale et ceux qui n’ont pas eu cette formation [au numérique, NDLR] », dit Elsa Lang-Ripert.

« Il y a une certaine frustration quand les stagiaires sont sur le terrain », causée par « une différence de matériel et/ou des pratiques différentes des collègues en poste ».  

« On essaie de trouver dans nos Inspé des leviers pour réduire les écarts, en sachant que nos élèves stagiaires sont des vecteurs parce qu’ils sont dans les établissements », indique la vice-présidente du réseau des Inspé.

Ainsi, la formation continue est primordiale de l’avis des intervenants. « Soit on fait une formation globale soit on arrête ! », défend Daniel le Bret.

La certification : vers un Pix enseignant

« Depuis que le c2i2e n’est plus obligatoire, on a été un peu en perte de vitesse sur les certifications », admet Elsa Lang Ripert. Mais le ministère de l’éducation travaille désormais à la mise en place d’une certification Pix destinée aux enseignants.

« On aurait aimé l’intégrer dans la réforme », déclare Elsa Lang Ripert. De nombreux participants marquent leur impatience, l’enjeu étant d’intégrer ce dispositif dans les nouvelles maquettes du master Meef.

Jean-Marc Merriaux assure que le ministère entend aller vite. Et pour l’heure, les enseignants peuvent s’auto-évaluer avec Pix, une certification obligatoire depuis cette rentrée pour les élèves de 3e et terminale.

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