Rentrée 2020 : quand les enseignants du sup’ réinventent leur métier
Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie
Depuis la rentrée, les enseignants du supérieur dispensent leurs cours en présentiel, en distanciel ou en hybride. Selon les directives des établissements, les initiatives personnelles et les demandes des étudiants, chaque cours s’adapte avec un point commun : le numérique devient incontournable. C’est d’autant plus vrai dans plusieurs villes universitaires où est désormais imposé le respect d’une jauge de remplissage des salles à 50 % de leur capacité.
Campus Matin s’est rendu à CY Cergy Paris Université - nouvel établissement né de la fusion notamment de l’Université de Cergy-Pontoise et de l’Eisti - pour partager l’expérience de deux enseignants-chercheurs de CY Tech et d’une ingénieure pédagogique.
« On a tous dû mettre la main à la pâte pour bien s’organiser dans la préparation de la rentrée. Pour faire face à cette crise majeure, toute l’équipe pédagogique a participé à mettre en place des solutions techniques, s’est formée aux outils », témoigne Sophie Mano-Avril, enseignante-chercheuse et directrice du département de sciences humaines et sociales à CY Tech.
L’école d’ingénieur, qui était encore récemment l’Eisti avant de rejoindre la nouvelle CY Cergy Paris Université, a dû s’équiper pour aborder la nouvelle année universitaire dans un contexte de crise sanitaire, le plus sereinement possible.
Aujourd’hui, Sophie Mano-Avril donne à la fois des cours en distanciel et en présentiel.
« Ce n’était pas notre quotidien, dans beaucoup de matières, les enseignants n’utilisaient qu’une craie et un tableau noir », dit-elle.
Intégrer de nouveaux outils
En effet, particulièrement dans un cursus où les mathématiques prennent une place importante, la simple utilisation de diaporamas n’était pas répandue. Après un été à préparer ses cours, Elian Masnada, enseignant-chercheur en mathématiques et physique également à CY Tech, est passé au tout distanciel.
Faire du distanciel est une volonté de ma part
« On nous a laissé très libres sur la façon dont on voulait enseigner : faire du distanciel est une volonté de ma part car, pendant le confinement, j’ai pris conscience que ce cours pouvait être enseigné à distance, j’ai donc préparé les séances dans cette optique, basées sur des diaporamas qui peuvent être annotés en direct à l’aide d’une tablette », décrit Elian Masnada.
S’adapter aux étudiants
L’enseignant raconte que sa pratique a changé et que, dans un contexte de retour à la normale, il continuerait d’utiliser le diaporama ,même si le format reste spécifique au distanciel. Ce dernier a d’ailleurs été adapté aux désirs des étudiants :
« À la rentrée, plusieurs collègues et moi avons effectué des sondages auprès de nos étudiants sur la façon dont ils préféraient que les cours se déroulent.
En l’occurrence, pour mon module de mathématiques, plutôt qu’une correction en direct, les élèves ingénieurs ont demandé à avoir un corrigé détaillé et commenté pendant la classe virtuelle », précise-t-il.
Cours virtuel : « Il faut déployer beaucoup d’énergie pour l’animation »
On le sait pour les étudiants : suivre plusieurs heures de cours en distanciel est beaucoup plus difficile que de les enchaîner en présentiel. Mais c’est également le cas pour les enseignants : même si la classe en visioconférence permet de faire cours depuis chez soi, de diminuer le temps de transport, elle demande une autre forme d’effort.
Il faut aller les chercher, même sans les voir
« La grosse difficulté pour nous aujourd’hui, c’est l’écran. La relation avec les étudiants a beaucoup changé et il faut déployer beaucoup énergie, des outils différents, pour retenir leur attention. On sent d’ailleurs bien quand ça décroche : il faut alors réellement aller les chercher, même sans les voir, les nommer pour les faire réagir », souligne Sophie Mano-Avril.
Pour cela, chacun sa technique. « J’impose une règle simple : tout le monde commence par allumer sa caméra en début de cours, dit bonjour. De même, celui qui prend la parole allume sa caméra de façon à garder un contact visuel plutôt qu’un logo impersonnel constitué des initiales de chacun. Il faut déployer de nouvelles techniques d’animation, sur padlet par exemple, on peut créer des galeries pour présenter les travaux, qu’ils soient commentés, critiqués. Mais tout cela est assez difficile à mettre en place au début, maintenant on commence à prendre le rythme », dit Sophie Mano-Avril.
Garder le lien
« L’interaction avec les étudiants reste difficile à établir. Le lien est légèrement rompu sur le live du cours, notamment parce qu’ils hésitent plus à poser des questions en sachant que le cours est enregistré », indique Elian Masnada, qui rend ses séances accessibles sur YouTube en catégorie « non répertoriée » de façon à ce que seules les personnes avec le lien puissent avoir accès à la vidéo.
Une réalité que confirme Sophie Mano-Avril : « Un cours de SHS sans échanges, sans humain, ça n’existe pas dans ma conception pédagogique. Alors, il faut créer du lien, ce qui n’est pas toujours facile face à des vignettes en visioconférence et des visages masqués en cours ». Malgré tout, « on y arrive », déclare-t-elle.
Certains, à l’instar d’Elian Masnada, vont jusqu’à donner leur contact pour échanger via WhatsApp. Sophie Mano-Avril, elle, privilégie les conversations instantanées sur Zoom :
« Dès que mon ordinateur est allumé, les étudiants m’interpellent sur plusieurs choses. Mon temps de travail est moins clivé et pour l’instant ça ne me dérange pas. Le contact est plus direct ».
Le challenge de l’enseignement hybride
C’est le point le plus complexe pour les enseignants et qui devient incontournable avec la nouvelle mesure de restriction des accès aux salles à 50 % de leur jauge (si un amphi fait 400 places, seuls 200 étudiants pourront être accueillis) : dispenser un enseignement hybride, appelé « présentiel bi-modal » ou « co-modal ». Il s’agit de jongler entre une partie de groupe présent physiquement et une autre qui suit en visioconférence.
Sandra Despujos, cheffe du service diversification pédagogique à CY Université livre ses conseils aux enseignants :
Dans l’actu : les jauges des espaces d’accueil à 50 %
Via une circulaire adressée aux établissements du supérieur, le 5 octobre, Frédérique Vidal demande aux chefs d’établissement situés en zone d’alerte renforcée et en zone d’alerte maximale « d’instaurer une jauge pour tous les espaces d’accueil (espaces d’enseignement, espaces de restauration, bibliothèques universitaires) à 50 % au plus de leur capacité nominale », et ce dès le lendemain de la demande !
Une mesure en discussion le week-end précédent, comme l’annonçait News Tank le 03/10 (abonnés), mais qui n’avait pourtant pas été évoquée lors d’une visioconférence convoquée en urgence le samedi à midi, et qui a réuni Ali Saïb, directeur de cabinet de Frédérique Vidal, et les présidents des universités parisiennes, d’Aix-Marseille Université et de l’Université Côte d’Azur.
Par ailleurs, la ministre de l’Esri ajoute aux obligations la réalisation d’ « un point de situation quotidien entre les chefs d’établissements publics d’enseignement supérieur et le recteur de région académique afin de suivre au plus près l’évolution de la situation sanitaire ».
Sont concernés : Bordeaux, Lyon, Nice, Lille, Toulouse, Saint-Étienne, Rennes, Rouen, Grenoble, Montpellier, l’Île-de-France (Paris et la petite couronne), la Guadeloupe et la métropole d’Aix-Marseille.
Plusieurs établissements ont déclaré que leurs jauges étaient déjà à 50 %, du moins dans les amphithéâtres.