L’Université l’Orléans met en place la première charte des usages de l’IA dans l’ESR
Par Isabelle Cormaty | Le | Pédagogie
C’est une première qui devrait en appeler d’autres dans l’ESR : l’Université d’Orléans a publié une charte des usages sur les outils d’intelligence artificielle générative. En plus d’expliquer le fonctionnement de cette technologie et les risques associés, elle présente plusieurs cas d’usage pour les personnels et enseignants-chercheurs et formule quelques interdictions.
Comment mentionner l’utilisation d’IA génératives pour la réalisation d’un travail universitaire ? Les personnels peuvent-ils produire la synthèse ou la traduction d’un document administratif grâce à une IA ? Les chercheurs ont-ils le droit de s’appuyer sur des outils IA pour analyser ou visualiser des données de recherche ?
Autant de questions que se posent bon nombre d’étudiants, personnels ou enseignants-chercheurs des établissements du supérieur. Pour y répondre, le conseil d’administration de l’Université d’Orléans a adopté en octobre 2024 une charte des usages de l’IA. Une première dans l’écosystème de l’enseignement supérieur !
« Le besoin d’une charte n’a pas été exprimé de manière explicite par les collègues, mais il était souhaitable d’établir un cadrage », commence Matthieu Exbrayat, vice-président numérique et pédagogie innovante de l’établissement.
Expliquer ce qu’est l’intelligence artificielle
Pour l’Université d’Orléans, ce document de cadrage remplit plusieurs objectifs : expliquer ce qu’est l’intelligence artificielle, ce qu’il est possible de faire avec dans l’ESR et mettre en lumière les risques associés.
« Cela inclut des risques de dérives, comme la surinterprétation des résultats, l’utilisation d’outils peu fiables ou encore des usages peu éthiques, notamment dans le domaine de la recherche, mais aussi potentiellement dans l’enseignement », détaille Matthieu Exbrayat. Sont aussi évoqués le risque de fuite des données et l’empreinte carbone des outils IA.
Pour le professeur en informatique, le but est aussi de faire passer un message central : « Soyez vigilants avec les résultats générés par ces outils. Revérifiez-les, servez-vous-en comme assistants, mais gardez la maîtrise et la compétence au cœur de vos activités. »
Différents cas d’usage et leurs risques
L’Université d’Orléans présente dans sa charte différentes utilisations possibles de l’IA pour les étudiants, les enseignants, les personnels et les chercheurs. Avec à chaque fois les risques associés aux cas d’usage.
« Nous avons ajouté des annexes qui expliquent des concepts clés comme le fonctionnement de l’IA, le concept d’hallucination générée par les modèles, les textes de référence, ou encore la manière de citer l’IA », précise-t-il.
Sur ce point par exemple, l’établissement recommande de « documenter l’emploi des outils d’intelligence artificielle, de référencer les IA utilisées et de citer les contenus générés par IA et intégrés dans le travail universitaire soumis à évaluation ».
Parmi les interdits, figurent notamment la transmission de données personnelles, RH ou des bilans annuels ainsi que la correction automatique des copies sans aucun contrôle par un enseignant.
La construction de la charte et ses sources d’inspiration
Pour rédiger la première trame de la charte, le vice-président numérique et pédagogie innovante de l’établissement s’est inspiré de la déclaration de Montréal pour un développement éthique de l’IA et des documents de cadrage des universités de Louvain et Liège (Belgique) et de Genève (Suisse).
Il a aussi travaillé avec des personnels du centre de documentation sensibles aux enjeux IA de part leurs liens avec l’international. La charte a ensuite été relue et enrichie par des membres de la gouvernance, des enseignants-chercheurs, et la commission d’intégrité et de déontologie de la recherche de l’établissement.
« Ce n’était pas vraiment une démarche bottom-up, car nous sommes une université de taille modeste. Cela nous a permis d’avancer plus rapidement », explique Matthieu Exbrayat.
Un déploiement progressif de la charte
Adoptée en octobre, la charte a fait l’objet de deux communications par mail auprès de l’ensemble de la communauté universitaire. « Ensuite, le texte a été repris et discuté lors de réunions avec les responsables de service et les directeurs de composantes universitaires. À chaque étape, nous avons expliqué la démarche et présenté des cas d’usage », précise Matthieu Exbrayat.
D’après lui, la charte « commence déjà à percoler parmi les collègues grâce à notre réseau de référents pédagogiques numériques. Dans certains modules, les enseignants discutent déjà de cette charte avec leurs étudiants. Cependant, nous avons encore des efforts à faire pour toucher davantage les étudiants. »
Si l’Université d’Orléans n’achète pas de licences pour des outils IA comme ChatGPT ou Copilot, elle a néanmoins intégré dans son catalogue de formation pour les personnels un module de sensibilisation et d’initiation à l’IA et prévoit de mettre à jour sa charte à l’avenir en fonction de l’évolution des technologies IA.
Vers une charte nationale pour les établissements de l’ESR ?
À l’échelle nationale, les établissements lauréats des Démonstrateurs numériques de l’enseignement supérieur (Demoes) et l’association EdTech France préparent une charte sur les usages de l’IA générative dans l’ESR. Elle sera diffusée à l’occasion du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle du 10 et 11 février et a vocation à être adoptée par tous les établissements qui le souhaitent, comme l’expliquait la responsable du projet à Campus Matin.
« L’objectif est de produire une charte synthétique qui pourrait servir de base de travail pour tous les établissements. Cette charte pourrait être évolutive, comme nous l’avons prévu pour la nôtre », indique Matthieu Exbrayat.
Le professeur en informatique insiste toutefois sur la liberté des institutions de l’ESR. « Il est essentiel de laisser chaque établissement gérer la manière dont il encourage ou encadre l’usage de l’IA. Certains établissements adoptent une posture très ouverte, tandis que d’autres sont plus réservés. Cependant, tout le monde semble avoir compris que l’interdiction pure et simple n’a pas de sens », conclut-il.