[Replay] Comment l’adaptive learning peut-il favoriser un accompagnement personnalisé ?
Proposer un accompagnement personnalisé des étudiants par le numérique : c’est la promesse de l'« adaptive learning ». Si le sujet d’utiliser les traces d’apprentissage pour offrir des parcours plus individualisés n’est pas nouveau, il prend une importance particulière avec le passage au distanciel cette année.
Une tendance de fond dans les grandes écoles et universités, analysée lors d’un webinaire proposé par Campus Matin et Nomad Education, le 27 novembre dernier. Synthèse.
Cycle : Campus Matin
« L’adaptive learning c’est la vieille promesse qu’on allait pouvoir utiliser des solutions numériques pour s’adapter au rythme et au contexte de l’apprenant », définit Stéphane Potelle, directeur de cabinet à Télécom Paris.
Une solution pour proposer un accompagnement personnalisé des étudiants par le numérique, donc, qui devient une nécessité en temps de crise sanitaire.
« Beaucoup de solutions ont co-existé pendant des années » mais « c’est resté un petit peu sous le radar parce qu’il n’y avait pas eu le momentum qui vient de nous arriver — la crise sanitaire et le confinement — où on s’est dit que ce n’était plus quelque chose qu’il fallait explorer : il fallait réellement s’intéresser à ce domaine-là », expose Stéphane Potelle.
Identifier le niveau de l’étudiant
Caroline Maitrot, directrice associée de Nomad Education, explique comment fonctionne l’adaptive learning au cœur de la solution proposée par la edtech française pour la formation initiale : « On s’interroge sur le niveau de l’élève à l’instant T à partir de quizz. Pour cela, on va catégoriser les questions en termes de difficulté, selon leur taux de réussite, et on va positionner l’élève par rapport à cette cohorte. En fonction de ces résultats croisés, on va proposer un parcours adapté ».
Un positionnement de l’apprenant qui est également préconisé par Corinne Kolinsky, qui s’exprime sous la triple casquette d’enseignante-chercheuse en physique, de responsable du centre d’innovation pédagogique de l’Université du Littoral — Côte d’Opale et de membre de l’association Promosciences :
« Dans l’été, j’ai conçu des tests de positionnement en physique, (…) ce qui m’a permis de tester trois profils type (…) les traces d’apprentissage m’ont permis de détecter les étudiants en difficulté ». Elle explique avoir utilisé la plateforme d’enseignement proposant entre autres des exercices et des cours interactifs, Wims. Une démarche qui lui « a permis d’atteindre un public plus large » qu’elle ne le pensait.
Des différences de compétences exacerbées par la crise
Dans un contexte de rentrée bouleversée, Corinne Kolinsky note, parmi les étudiants de la licence de physique-chimie où elle enseigne, « des profils très hétérogènes[qui]cette fois, ne sont pas arrivés avec le même background ».
« Nous avons accueilli nos étudiants pendant deux mois et on a pu se rendre compte de problèmes d’hétérogénéité et de niveaux de compétences en travaux pratiques exacerbés » ainsi qu’un appauvrissement « des habilités orales » et « du vocabulaire scientifique », souligne l’enseignante.
Pour ceux qui étaient en très grande difficulté, Corinne Kolinsky a ensuite « créé des séquences asynchrones » et proposé en plus « des rendez-vous individuels en visioconférence » ainsi que « des exercices ciblés ».
L’adaptive learning pour rattraper son retard… mais aussi aller plus loin
Si l’adaptive learning est souvent utile pour combler les lacunes et reprendre des concepts de niveaux inférieurs, elle peut aussi permettre d’approfondir des notions au-delà des attendus.
« L’idée est venue des jeunes, explique Caroline Maitrot. On a vu des étudiants passer d’un programme de terminal et aller jusqu’à la licence. »
Pour s’adapter à tous, « il faut avoir une densité de contenus très importante et très sérieuse en termes de pédagogie ». Ainsi, Nomad couvre les notions du « programme scolaire depuis le CM1 jusqu’au niveau bac+3 ».
Dé-silloter les enseignements
Une fluidité que Télécom Paris veut intégrer à son enseignement en privilégiant « une logique d’apprentissage en majeure/ mineure où les étudiants peuvent choisir une partie des contenus qui les intéresse », expose Stéphane Potelle. L’objectif étant « de dé-silloter les contenus » pour « les adresser à des personnes qui sont demandeuses ». Ce qui, néanmoins, « ne va pas sans une certaine structure des systèmes d’information ».
« La priorité aujourd’hui pour nous à Télécom-Paris c’est d’avoir une approche modulaire et que les gens fassent du pick and choose* dans leur vie de tous les jours et dans leurs usages », souligne le directeur de cabinet.
Quant à la propriété intellectuelle des enseignants dans ce modèle, « elle doit être garantie », précise Stéphane Potelle. « C’est fondamental et c’est ce que font les grandes plateformes de contenus en ligne. »
Du côté des étudiants, la demande est forte
À Télécom Paris, Stéphane Potelle est formel sur les retours, « les étudiants ont encore plus envie d’adaptive learning ».
« L’idée d’avoir du savoir à disposition de manière asynchrone apparaissait comme une ressource très, très souhaitable », précise-t-il.
Dans cette optique, une solution avait été imaginée avec Nomad « pour proposer des contenus pour les premières années des écoles d’ingénieurs » dans le cadre de l’initiative d’excellence de CY Université (ex- Université de Cergy Pontoise). Elle n’a cependant pas été retenue.
Une décision et un manque d’échanges avec les universités que Caroline Maitrot regrette : « On a répondu cette semaine à deux appels à projets : objectivement en comprendre les termes, c’est très compliqué pour nous. Ce qu’on attend quand on parle d’échelle, c’est de pouvoir parler plus facilement avec l’université, autour d’une table, (…) et essayer de monter ensemble des projets qui peuvent être à court terme très efficaces. » Et d’ajouter : « C’est ce qu’on a essayé de faire avec Télécom Paris : on se met ensemble, on déploie un outil auprès des élèves, on fait un premier bilan, on fait des opérations tests. »
En un mot, « on a envie de libérer l’échange public-privé dans l’intérêt de l’élève. »
Chez les enseignants, l’adaptive learning encore peu utilisé
Dans sa pratique d’enseignante-chercheuse, Corinne Kolinsky explique personnaliser ses enseignements manuellement. « Depuis une dizaine d’années, j’utilise des outils numériques pour collecter des informations sur mes apprenants et je ne dispose pas d’autres algorithmes que mon cerveau pour faire des propositions pédagogiques adaptées à chacun de mes étudiants. » Une pratique partagée par ses collègues universitaires.
Une prise en main parfois chronophage
L’un des problèmes soulevés par les enseignants qui ne se sont pas mis à l’adaptive learning est le manque de temps. « Dans mon université tous les collègues n’utilisent pas Wims, pour un enseignant-chercheur ça demande énormément de temps pour se former à ces outils numériques, dit Corinne Kolinsky. On est enseignant, chercheur, on fait pas mal d’administration … Ce que demandent les enseignants le plus c’est du temps et des opportunités de se former. »
Un enjeu de formation… mais surtout d’ergonomie des outils, estime Caroline Maitrot. « Il ne faut pas toujours parler de formation, mais rendre les choses faciles et accessibles à tous », défend-elle.
Plus c’est low tech plus ça marche
Ce que confirme Stéphane Potelle : « Les outils, plus c’est low tech, plus ça marche. »
« Quand vous créez un outil dont le but est de l’innovation pédagogique, il ne faut jamais oublier l’utilisateur final or l’étudiant on ne l’entend pas beaucoup, souvent, dans le cahier des charges. C’est pourquoi on a un décalage entre l’offre et l’utilisation », souligne-t-il.
Un rôle d’accompagnateur grandissant
Outils adaptés et adoptés ou non, le métier d’enseignant évolue vers l’accompagnement personnalisé. « On a de plus en plus se rôle d’accompagnateur des étudiants dans leur apprentissage. On observe des postures très ancrées qui se transforment », estime Corinne Kolinsky.
L’engagement au cœur de l’adaptive learning
Ce qui fait le succès de la plateforme Nomad, selon Caroline Maitrot, est sa capacité à motiver l’apprenant : « Il faut engager les élèves. Quelles que soient leurs difficultés personnelles, ils pourront suivre un parcours et ne pas décrocher ».
Pour cela, il faut travailler sur les leviers de motivation : « On travaille vraiment comme des coachs », dit la directrice associée de Nomad Education.
Ainsi, Nomad est pensé comme « un programme d’entrainement » qui permet de se tester, revoir le programme de l’année, refaire des mini cours, des exercices. L’objectif étant de relever des challenges « en individuel et avec les pairs ».
En outre, né de la crise sanitaire et demandé par les écoles, l’application entièrement déclinable et personnalisable, Nomad School, s’adresse aux établissements et fonctionne hors connexion.
Une technologie qui commence à se pencher sur les compétences comportementales
S’il est aujourd’hui reconnu que l’adaptive learning est performant pour les compétences dures — en mathématiques, français, histoire… —, l’enseignement des compétences douces commence aussi à trouver sa place dans cette technologie.
Chez Nomad, « c’est au cœur du projet sans utiliser le mot “soft skills », dit Caroline Maitrot. On a travaillé sur un programme d’expression orale». Ce dernier demande à l’élève de « parler seul face à sa caméra » puis, « à partir d’une grille de critères, de juger sa prestation ».
Si Stéphane Potelle acquiesce sur l’importance de ces compétences qui « sont au cœur de la pédagogie des grandes écoles », il indique qu’il « est assez compliqué de travailler là-dessus avec le numérique ». En effet, « il est possible d’utiliser l’IA pour les softs skills, mais ça s’appuie sur des tests de personnalité » or « il y a un très grand débat sur ces choses-là ».
Au sein de la société edtech, « on ne juge pas la psychologie, mais on étudie beaucoup les parcours, indique Caroline Maitrot. On utilise du machine learning qui va créer des courbes de positionnement de l’élève, ce qui nous permet d’adapter le programme, d’approfondir ou de revenir sur des notions qui peuvent dater de 3 ou 4 ans. » Et, sur les compétences douces, ce n’est pas la machine qui juge, mais l’élève qui s’autoévalue.
*sélectionner et choisir