Écoles de management : la crise fait évoluer la formation des enseignants
Par Catherine Piraud-Rouet | Le | Management
Dans les écoles de management, la règle est, pour le moment, celle de la liberté de formation des enseignants à la pédagogie, notamment ceux nouvellement recrutés. En-dehors d’un socle minimal, ceux-ci ont accès à un catalogue de prestations vaste et diversifié, à utiliser sur leur temps personnel.
Une situation que la crise sanitaire devrait toutefois faire évoluer prochainement, à la faveur de la digitalisation accélérée et de la nécessité d’installer de nouvelles méthodes pédagogiques.
Campus Matin a parlé du sujet avec HEC et Kedge business school.
Contrairement aux universités, dont le processus de formation des maîtres de conférences stagiaires est cadré depuis 2018 sur le plan national, avec obligation d’une formation interne de 32h au cours de leur année de stage, les écoles de management ne sont soumises à aucune règle en la matière.
C’est librement et selon les modalités de leur choix qu’elles forment leurs enseignants nouvellement recrutés. Pour les profs juniors, pas de décharge d’enseignement pour se mettre à la page. Les formations suivies sont totalement à la carte, en fonction des besoins.
Sessions sur mesure
« Des formations en interne, nous en avons toujours eu, mais nous ne sommes pas sur les mêmes volumes de recrutement que les universités - 5 à 10 en moyenne chaque année - donc le sujet est différent », estime Anne Michaut, doyenne associé à la Faculté « Education Track » et à la pédagogie à HEC.
Une formation de base, à la maîtrise du français, s’impose souvent pour des enseignants juniors massivement recrutés à l’international. « Plus de 65 % de nos nouveaux enseignants sont étrangers, pas forcément tous francophones à leur arrivée, note Anne Michaut. Nous leur offrons des cours de français à la demande, personnalisés et individuels, pour eux comme pour leur famille, en vue de les aider dans leur intégration. »
Par contre, côté métier, les enseignants juniors sont tous titulaires d’un doctorat, et les formations suivies pendant leur thèse, ainsi que leurs expériences d’enseignement diverses préalables, leur confèrent une base pédagogique. La plupart du temps, tout le reste est à la carte, en fonction des besoins et des demandes de chacun.
« Nous leur proposons des sessions d’information visant à les préparer aux différents publics de la grande école, qu’ils ne connaissent pas encore forcément : étudiants français issus des classes prépas, des admissions parallèles, étudiants étrangers… », explique Anne Michaut.
Mentoring privilégié
Sur la pédagogie elle-même, les écoles privilégient un modèle de communauté de formation, qui se retrouve beaucoup à l’international. « Nous pratiquons plutôt le mentoring, via des visites mutuelles de leurs cours par deux professeurs, illustre Anne Michaut. Nous proposons aussi des séances de coaching plus ponctuelles et ciblées, sur la prise de parole en public ou l’organisation d’un cours. »
Des séances de coaching sur la prise de parole en public ou l’organisation d’un cours
Le calendrier est souple : ces sessions peuvent se dérouler en amont d’un enseignement ou pendant celui-ci. Nombre des formations proposées (serious games, par exemple) sont le fait d’intervenants ou d’organismes extérieurs.
C’est le cas notamment d’ITP (International Teachers Programme), une formation de prestige à la pédagogie proposée par ISBM (International Schools of Business Management), un consortium des écoles de commerce internationales, dont fait partie HEC. Et qui, chaque année, offre à une poignée d’enseignants de tous âges et profils, triés sur le volet par leurs établissements respectifs, des cours magistraux, mais aussi des micro-formations à l’enseignement par la pratique, par petits groupes, analysées ensuite par les pairs.
« Il s’agit d’ateliers par lesquels on essaie d’accroître l’intelligence situationnelle des professeurs dans leur enseignement, en s’appuyant sur les méthodes d’enseignement de chacun des pays », précise Kristine De Valck, directrice du doctorat à HEC.
Pas de minimum imposé
Même logique, jusqu’ici, à Kedge business school. À son arrivée en juillet 2018, après un doctorat en sciences de gestion obtenu en 2010, Soraya Belhadjali, professeure assistant en comptabilité, contrôle et audit à l’école aux campus parisien, marseillais et bordelais, avait déjà plus de 13 ans d’expérience en enseignement.
« La seule formation obligatoire suivie a été 30 minutes de découverte de la plate-forme numérique de l’école, pour apprendre à me connecter et à partager des documents », témoigne la jeune femme.
Pour tout le reste (approfondissement de cet apprentissage de l’outil numérique et pédagogie), on lui a proposé, comme à ses collègues, de se former à la carte, tant sur le contenu que sur le rythme. « Il n’y a pas de minimum, mais cela entre aussi dans le calcul de notre service », précise Soraya Belhadjali.
Forcée de modérer mes ambitions, faute de temps
Le catalogue est large et diversifié. Des formations aux méthodes pédagogiques, d’une durée de 2 h à plusieurs jours : gaming (apprentissage par la compétition), formation Lego (basée sur le jeu), mind mapping, études de cas, conception d’évaluations en ligne, mais aussi aux outils, avec par exemple la création d’un POC (cours digital)…
« Au final, je comptabilise au moins deux jours de formation prévus par mois sur les six prochains mois, note Soraya Belhadjali. Ce qui dépasse mes attentes, même si je suis forcée de modérer mes ambitions, faute de temps. »
La crise sanitaire rebat les cartes
La crise sanitaire actuelle, en faisant passer les écoles de management au digital et à l’hybride à vitesse accélérée, a toutefois remis la formation des enseignants au premier plan, tant sur le plan de la maîtrise de l’outil numérique que de l’adaptation des pédagogies.
« Depuis fin février dernier, nous proposons des formations quotidiennes d’une heure pour qui veut dans la faculté, déclare Anne Michaut. Les questions des enseignants sont très axées sur les outils, sur le maniement et l’utilisation optimale de notre plate-forme de cours en ligne. »
À Kedge, un plan de formation obligatoire
Certaines écoles préparent d’ores et déjà un revirement à 180 degrés. Kedge s’apprête ainsi à lancer, en janvier 2021, TWIP (Teaching With Innovative Pedagogy), un plan de formation obligatoire de toute la faculté (180 permanents), sur trois ans.
« L’idée est de créer une communauté de professeurs basée sur la coopération, pour enclencher une vraie dynamique, sur des thématiques comme la classe inversée, la pédagogie par projets ou par le gaming, les neurosciences, l’art oratoire… », précise Cédric Ghetty, doyen associé à la pédagogie à Kedge.
L’école va solliciter des intervenants extérieurs, tous experts de leur domaine, et assurer un suivi mis en place de ces acquisitions, ainsi que la continuité de ces communautés de pratiques.
« Il s’agit de faire monter en compétences la faculté, car les étudiants ont changé, ils apprennent seuls, à la faveur notamment des nouvelles technologies. Et notre métier doit évoluer de concert. Or, la formation est la pierre angulaire de l’évolution des méthodes pédagogiques », explique Cédric Ghetty.