Prime d’intéressement collective : une université saute le pas
Par Isabelle Cormaty, Audrey Steeves | Le | Management
La gouvernance de l’Université de Tours et deux syndicats ont signé en septembre un accord inédit dans l’enseignement supérieur public. Il propose la création d’un régime d’intéressement collectif afin de reconnaître l’investissement des personnels et enseignants-chercheurs, titulaires ou contractuels, sur des projets transformants pour l’établissement.
« Reconnaître l’investissement des personnels, à titre collectif, indépendamment de leur statut, dans certains domaines d’actions prioritaires pour l’établissement » : tel est l’objectif principal de l’accord signé le 25 septembre 2024 par l’Université de Tours et les représentants de la CFDT et de l’Unsa, qui pèsent tous deux 56,46 % des voix au comité social d’administration.
Un texte inédit dans l’enseignement supérieur public qui doit encore être validé en conseil d’administration le 14 octobre pour une mise en vigueur au 1er janvier 2025. Voici les coulisses de cette négociation et les détails de l’accord.
Un accord conclu après six mois de négociations
À l’origine de cette démarche, des membres de la section locale de la CFDT éducation, formation, recherche publiques formés à la négociation collective et qui souhaitaient la mettre en pratique.
Fin 2023, le syndicat a demandé à la gouvernance de l’Université de Tours l’ouverture de négociations collectives autour des trois sujets. La présidence a reçu les syndicats en janvier 2024 et a répondu positivement sur le seul sujet de la prime d’intéressement collective.
« Cela nous semblait plus réaliste, étant donné que ce dispositif d’accord collectif constituait une nouveauté et qu’il fallait se l’approprier, mais aussi que l’agenda social était déjà établi et que nous étions en année électorale », explique Christine Georgelin, vice-présidente moyens et finances de l’établissement à News Tank (abonnés).
Des élections aux conseils mi-octobre
Les élections pour les conseils centraux ont lieu les 16 et 17 octobre pour les personnels, et les 22 et 23 octobre pour les étudiants. Le président de l’Université de Tours depuis 2020, Arnaud Giacometti, ne se représente pas. Sa vice-présidente recherche SHS, Emmanuelle Huver, est candidate à la présidence, face à Philippe Roingeard, un professeur des universités-praticien hospitalier.
Tous les statuts concernés par l’accord
« Il ne s’agit pas d’une prime au mérite, mais de la possibilité de reconnaître l’engagement des personnels sur un projet structurant pour l’université, quel que soit son statut (enseignant-chercheur ou Biatss, titulaire ou contractuel). Ce n’est pas non plus fait pour rémunérer indirectement les heures supplémentaires », souligne Benoît Wolf, le responsable local de la CFDT éducation, formation, recherche publiques.
Le conseil d’administration définira l’enveloppe globale annuelle allouée dans le budget à la prime d’intéressement dont le montant sera compris entre 150 euros au minimum et 5 000 euros brut maximum.
Dans le détail, l’accord prévoit trois catégories de primes en fonction de l’implication des personnels dans le projet soutenu par l’intéressement : 100 % pour le porteur du projet, 50 % pour ceux y qui participent et 20 % pour ceux qui y sont associés ou qui en sont impactés.
Valoriser les projets transformants ou de réorganisation d’un service
Une commission consultative composée de représentants de l’établissement et des personnels issus du comité social d’administration sera chargée d’établir les projets qui pourront donner lieu à l’intéressement et étudier les propositions d’enveloppes par projet validées par la direction des ressources humaines. Impossible donc pour l’instant d’estimer le nombre de bénéficiaires !
Quels pourraient être les projets concernés par une prime d’intéressement ? La vice-présidente finances et moyens cite par exemple le déploiement du logiciel Sages pour le suivi des heures enseignées et des heures complémentaires ou l’agenda stratégique de transformation écologique et sociale de l’établissement « qui aura un impact assez large, et pour lequel nous voulons pouvoir valoriser l’engagement des personnels ».
Une démarche inédite dans l’enseignement supérieur public
L’accord signé à l’Université de Tours est une première dans les écoles et universités publiques françaises ! Il découle de la loi de transformation de la fonction publique de 2019 qui permet aux administrations employeuses et aux organisations syndicales de conclure des accords collectifs, comme dans le secteur privé.
D’après la loi, 14 domaines peuvent faire l’objet d’un accord collectif au niveau national, au niveau local ou à l’échelon de proximité sur des sujets aussi divers que les conditions et l’organisation du travail, le temps de travail, le déroulement des carrières, l’action sociale ou encore l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
« La CFDT est attachée à la question du dialogue social. Même si nous avons contesté la loi Fonction publique sur le fond, ce dispositif d’accords majoritaires dans le public, à l’image de ce qui existe dans le privé, nous semblait intéressant », précise Benoît Wolf.
Une expérience réussie du dialogue social
« C’est un dispositif qui change la nature du dialogue social, car ce n’est pas l’employeur qui consulte les syndicats sur un texte qu’il a préparé. Il s’agit là d’ouvrir et mener une vraie négociation autour d’un sujet qui peut venir des organisations syndicales ou de l’employeur, en avançant avec des propositions, et d’aboutir à un texte de compromis acceptable par les parties, qui conduit à un accord majoritaire », résume Benoît Wolf qui tire un bilan positif de l’expérience.
Le syndicaliste y voit aussi des bénéfices plus lointains. S’il existe un risque que les négociations n’aboutissent pas, « cela instaure un dialogue. Il faut aussi le voir comme une démarche de plus long terme qui permet d’établir de la confiance entre l’employeur et les syndicats. » Un avis partagé par la vice-présidente moyens et finances de l’Université de Tours.
« Dès que les organisations syndicales ont fait cette démarche, l’état d’esprit était très constructif, même si chacun est resté sur les lignes propres à leurs organisations », constate Christine Georgelin.
La FSU, qui a participé aux négociations, n’a en effet pas signé l’accord pour s’aligner avec les positions nationales de la fédération.
Un modèle que les syndicats souhaitent répliquer
Après les élections aux conseils centraux de l’établissement, le responsable local de la CFDT éducation, formation, recherche publiques souhaite ouvrir des négociations sur deux autres sujets déjà envoyés à la gouvernance : les carrières des personnels contractuels et l’organisation des services.
« Et nous pourrons envisager d’autres thématiques d’accords, comme la mobilité des personnels, la mise en place d’outils de dialogue au sein des équipes, les modalités d’organisation du temps de travail, ou l’amélioration du cadre de travail », cite-t-il par exemple.
Ce mode de dialogue social peut-il inspirer d’autres établissements du supérieur public ? « Il y a un relai en interne à la CFDT Éducation recherche, et d’ailleurs notre secrétaire générale, Catherine Nave-Bekhti, était présente pour la signature de l’accord », note le syndicaliste.
Un dispositif qui nécessite de former les directions ?
Pour que le dispositif de l’Université de Tours soit dupliqué ailleurs, Benoît Wolf espère que « le ministère et les réseaux et conférences comme France Universités vont se saisir de l’enjeu de former les cadres à ces nouvelles modalités de dialogue social ».
Christine Georgelin nuance toutefois cet enjeu. Dans son établissement, la direction générale des services et la DRH se sont tournées vers les associations professionnelles. « Il a fallu proposer un cadre, bien baliser les choses, mais nous n’avons pas ressenti le besoin d’une formation », indique-t-elle.
Concepts clés et définitions : #Biatss ou bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, personnels sociaux et de santé