Que pensent les maîtres de conférences de leur salaire ?
Par Marine Dessaux, Antoine Bovio | Le | Personnels et statuts
Malgré de longues années d’études et une sélection rigoureuse, certains maîtres de conférences estiment que leur rémunération ne reflète pas leur investissement. Entre une stagnation salariale, la concurrence avec le secteur privé comme le reste de la fonction publique et parfois une inversion salariale, les frustrations s’accumulent. Regards croisés.
Après un doctorat et plusieurs années d’instabilité à enchaîner les postdoctorats, quelques aspirants enseignants-chercheurs obtiennent le fameux sésame : un poste de maître de conférences. Ces places si difficiles à obtenir sont-elles justement valorisées financièrement ?
Trois enseignants-chercheurs racontent leur expérience à Campus Matin : un maître de conférences de 29 ans, un enseignant-chercheur qui arrive au dernier échelon de la classe normale et un universitaire qui a atteint la catégorie hors classe.
Un manque de reconnaissance de l’investissement professionnel
« Le salaire que j’ai est insuffisant par rapport à mon ancienneté. Mon travail n’est pas reconnu. » Après 22 ans de carrière en tant que maître de conférences (MCF), Alain Pagano est au 9e échelon de la classe normale et a donc droit, selon la grille de rémunération commune à toutes les universités, à un salaire de 4110, 52 euros bruts.
Seulement, depuis l’échelon 7, qui équivaut à 15 ans d’ancienneté, il aurait pu intégrer la catégorie « hors classe » qui donne droit à une rémunération plus élevée plus rapidement puisqu’il aurait pu atteindre le même niveau de salaire en trois ans au lieu de six.
Une situation qu’il impute notamment à la baisse du taux de promotion. De 20 % des promouvables jusqu’en 2022, ce dernier est passé à 15 % en 2023, puis 12,5 % en 2024 pour atteindre 10 % en 2025.
« Cela provoque de la frustration, pointe le maître de conférences en écologie à l’Université d’Angers. Le point d’indice des fonctionnaires a par ailleurs été gelé pendant plusieurs d’années donc nous avons perdu beaucoup de pouvoir d’achat. »
Des salaires qui ne font pas le poids face au privé
Selon les disciplines, le privé peut être beaucoup plus rémunérateur que le public. C’est notamment le cas pour certains profils d’ingénieurs. Hamza Allam, maître de conférences en génie civil à l’Université de Bordeaux, évoque le décalage qu’il ressent lorsqu’il compare sa situation avec celle de ses camarades d’études qui ont fait le choix de s’arrêter après un bac+5 et de partir dans le privé.
« Pour pouvoir prétendre au poste de maître de conférences, nous allons jusqu’au doctorat et passons un concours très sélectif pour gagner un salaire au début autour de 1,4 fois le Smic, hors indemnités et primes. Cela ne valorise pas vraiment tous les efforts que nous faisons pour avoir ce poste. Des amis de mon cursus ont décidé de ne pas faire de thèse, mais de partir après leur école d’ingénieur dans le privé, et au bout de trois ans d’expérience, soit la durée de la thèse, ils sont largement au-dessus de mon salaire net de départ », rapporte-t-il.
Jérôme Giordano, maître de conférences spécialisé en mécanique des fluides à Aix-Marseille Université et secrétaire national ESR à Unsa Éducation, observe la même chose : « Pendant de nombreuses années, nous ne rentrions pas dans ce métier avec le critère principal du salaire, et malgré cela il est resté attractif pour la reconnaissance qu’il donne. Nous sentons aujourd’hui que la jeune génération est davantage attentive à ce critère et aux conditions de travail, ce qui peut les attirer vers le privé. »
Au sein de la fonction publique également, des écarts de rémunération
Malgré cela, Jérôme Giordano, qui a atteint la hors classe, estime que les revenus restent « très bons ». Il souligne néanmoins que ces derniers ne sont pas aussi élevés dans l’ESR que dans le reste de la fonction publique.
« Les collègues n’ont pas forcément conscience que, dans la fonction publique, à niveau de recrutement égal, nous sommes loin d’être les mieux payés. La partie indemnitaire est très faible », rapporte-t-il.
Pour les nouveaux maîtres de conférences, un revenu égal au double du Smic pendant dix ans
Pour combler la faiblesse du salaire des nouveaux maîtres de conférences, depuis 2019, une indemnité différentielle permet de toucher deux fois le Smic (soit 3533,84 euros bruts mensuels pour l’année 2024) dès la prise de fonction.
Une mesure liée à la loi de programmation pour ma recherche (LPR) qui concerne les enseignants-chercheurs pendant les dix premières années de leur carrière, soit jusqu’à atteindre l’échelon 5 de la classe normale. « C’est un bel effort », apprécie Hamza Allam qui en bénéficie en étant au troisième échelon (soit 2899,52 euros bruts mensuels).
Rémunération stagnante au début et en fin de carrière
Un effet qui peut s’avérer négatif dans la mise en place de cette indemnité différentielle est de « stagner, pendant une dizaine d’années, sans perspective d’une évolution de salaire », note Hamza Allam. À moins de prendre des responsabilités supplémentaires dans l’enseignement ou la recherche.
Ce constat est également vrai à la fin du parcours des maîtres de conférences qui ne passent pas professeur des universités. « À 45-50 ans, les maîtres de conférences arrivent en bout de grille et n’ont plus de perspectives d’évolution sur leurs 15-20 dernières années d’enseignement. Ce qui peut jouer sur leur moral ou leur motivation », observe Jérôme Giordano.
Des primes augmentées… mais qui ne comptent pas pour la retraite
Le nouveau régime indemnitaire unifié à destination des enseignants-chercheurs, personnels assimilés et des chercheurs, également appelé Ripec a permis d’augmenter le revenu de tous les maîtres de conférences sans modifier les grilles de salaire. Cela pose néanmoins une problématique : l’absence de cotisation pour les retraites.
« Nous avons obtenu significativement plus en termes de primes, mais ce n’est pas pris en compte dans le calcul de la retraite. Pour cette raison, j’aurais préféré avoir une augmentation de salaire. D’autant que les enseignants-chercheurs commencent tard leur carrière, en raison de longues études. Beaucoup d’entre nous s’inquiètent de ne pas réussir à prendre une retraite à taux plein », partage Alain Pagano.
Hamza Allam est plus partagé : « C’est un débat puisque je suis tout de même satisfait de l’indemnité différentielle, mais peut-être qu’un entre-deux est à trouver pour augmenter aussi les grilles. »
Une indemnité résidentielle jugée insuffisante en région parisienne
Même avec un salaire au double du Smic, se loger sur Paris reste complexe pour les nouveaux maîtres de conférences. « Cela veut dire que nous devons trouver un logement qui est relativement loin du travail, car avec ce salaire à Paris, nous n’avons pas les moyens de vivre proches du campus », évoque Hamza Allam.
Malgré une indemnité résidentielle, dont l’objectif est de compenser les différences du coût de la vie selon les régions, il a décidé de quitter la capitale pour Bordeaux. « En Île-de-France, j’avais droit à la prime maximum qui est de 3 % de mon traitement brut, soit 90 euros par mois, ce qui est insuffisant pour payer un loyer parisien », confie le maître de conférences.
Certains maîtres de conférences subissent encore les effets d’une inversion de carrière
Le 23 avril 2009, le décret 2009-462 relatif aux règles de classement des enseignants-chercheurs a instauré la prise en compte de l’expérience professionnelle passée dans l’avancement des maîtres de conférences recrutés au 1er septembre 2009. Ce qui a crée un fort sentiment d’injustice pour leurs collègues en poste avant cette date, parfois moins bien payés que les nouveaux recrutés. C’est ce qui a été désigné comme une « inversion de carrière ».
Un amendement de la loi finances 2010 a modifié un certain nombre de règles (la prise en compte du doctorat et postdoctorat dans l’expérience professionnelle, par exemple) et a permis à tous les maîtres de conférences de demander un recalcul de leur avancement.
Cependant, en contrepartie, les maîtres de conférences qui voudraient bénéficier de ces nouvelles dispositions ont été contraints d’abandonner l’ancienneté acquise depuis leur recrutement, alors ramenée à une seule année. De plus, cette nouvelle possibilité n’a pas bénéficié à tous les profils, notamment les personnes ayant plus de trois ans d’ancienneté.
« Un certain nombre de mes collègues, beaucoup plus jeunes que moi, sont déjà en fin de grille alors que j’y arrive seulement maintenant, à 55 ans. Cette mesure est très injuste », déplore Alain Pagano.
Autre point négatif de l’inversion de carrière qui persiste encore aujourd’hui : un embouteillage au moment de passer hors classe ou classe exceptionnelle. « Pour certains des plus jeunes collègues qui arrivent plus vite en fin de grille, il y a une espèce d’engorgement. Cela concerne aussi des gens qui, comme moi, se retrouvent face à des collègues qui ont dix ans en moins. »
- Pour en savoir plus, consulter l’article dédié à l’inversion de carrière du Syndicat national de l’enseignement supérieur (Snesup).
Le repyramidage : une opportunité supplémentaire d’accéder au corps de professeur
Le repyramidage, validé par un accord signé le 12 octobre 2020 en marge de la Loi programmation de la recherche, offre une nouvelle voie de promotion pour les maîtres de conférences vers un statut de professeurs des universités. En juillet 2024, 1 152 repyramidages ont été réalisés sur les 1 200 proposés.
400 sont encore prévus en 2025 : « Les établissements n’ont pas encore la répartition, mais elle sera certainement différente de 2023 et 2024, certains ayant déjà atteint la moyenne. Nous ferons aussi des recommandations pour certaines sections, mais les établissements restent autonomes pour les gérer », selon le ministère.