Le moral des universitaires en berne face aux conditions de travail et au manque de soutien
Manque de soutien, grande inquiétude face aux crises actuelles et des signes de quiet quitting… Les résultats du baromètre de l’enseignement supérieur et de la recherche 2024 de la Conférence des praticiens de l’ESR en association avec le media TheMetaNews, publié le 19 mars, montrent un pessimisme partagé par une majorité des personnels, tous métiers et statuts confondus.

Conditions de travail en berne, sentiment de solitude institutionnelle et perte de sens… Faut-il s’inquiéter du mal-être qui gagne l’enseignement supérieur et la recherche ? À en croire les résultats du baromètre 2024 de la Conférence des praticiens de l’ESR, portée par Julien Gossa, maître de conférences en IUT à l’Université de Strasbourg, le doute s’est installé chez une majorité de personnels.
Si, avec 2 234 réponses, cette étude ne prétend pas à une représentativité parfaite, elle permet d’observer des tendances et de recueillir des témoignages. À noter : ce sont essentiellement des chercheurs, enseignants-chercheurs et doctorants qui ont participé.
Un avis partagé sur les conditions de travail
Concernant les conditions de travail, les avis sont partagés : 44 % des opinions sont positives, contre 44 % négatives. Les relations professionnelles sont les mieux perçues (67 % d’opinions positives). En revanche, les conditions d’évolution de carrière (56 % d’opinions négatives), les conditions de rémunération (55 %) et les conditions de travail relatives à l’administration (67 %) sont source d’insatisfaction.

56 % des répondants regrettent une dégradation de leurs conditions de travail et seulement 10 % notent une amélioration. Dans la même lignée, 67 % sont pessimistes sur l’amélioration future de leurs conditions de travail, contre seuls 10 % d’optimistes.
Les répondants sont le plus pessimistes pour les conditions de travail relatives :
- à l’administration (86 % de pessimistes),
- à la recherche (81 %)
- à l’enseignement (80 %),
- ainsi qu’aux rémunérations (77 %)
- et aux évolutions de carrière (75 %).
Manque de soutien, particulièrement au niveau national
65 % des répondants ont le sentiment de ne pas être soutenus par les instances, contre 21 % qui estiment bénéficier d’un soutien.
Sont perçus comme les plus soutenantes :
- les directions de composantes (61 % de soutien vs 27 % de non-soutien) ;
- les instances paritaires locales (39 %/42 %) ;
- et le Conseil national des universités (35 %/49 %).
Les répondants ne sentent pratiquement aucun soutien de la part de l’État et du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (tous les deux avec 5 % de soutien/91 % de non-soutien), ni l’Agence nationale de la recherche (9 %/79 %) ou du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (11 %/77 %).
Les organismes nationaux de recherche sont mieux perçus (23 %/59 %) que France Universités (9 %/77 %), l’Alliance des universités recherche et formation (5 %/81 %) et Udice (5 %/82 %). Une perception de manque de soutien liée à la méconnaissance de ces institutions ? En effet, 66 % des répondants déclarent ne pas connaître l’Alliance des universités recherche et formation (Auref), 47 % Udice et 38 % France Universités.
Un sentiment d’inquiétude et d’impuissance face aux crises
83 % des répondants témoignent d’une inquiétude face aux crises.
Ce qui inquiète le plus est :
- la crise climatique (89 % d’inquiétude/6 % sans) ;
- la crise politique (86 %/7 %) ;
- la crise économique (82 %/7 %) ;
- et la crise diplomatique (71 %/13 %).
Les répondants se sentent en revanche plus impactés par : la crise économique (85 % d’impact/9 % sans) ; la crise politique (77 %/15 %) ; la crise climatique (64 %/23 %) et la crise diplomatique (41 %/41 %)
62 % témoignent d’un effort insuffisant de leur institution face aux crises, vs 17 % dont la démarche est jugée suffisante. La crise climatique est celle qui génère le plus d’efforts (27 % d’effort/58 % sans).
Les commentaires montrent que la question des crises est très clivante parmi les personnels, certains considèrent que les établissements ne font que du green-washing, quand d’autres estiment que les crises ne relèvent pas des responsabilités des établissements.
Sentiment d’injustice et quiet quitting

Les expressions libres font apparaître deux nouveautés par rapport au dernier baromètre :
- Une situation conflictuelle entre les différents statuts de personnels, due notamment aux injustices subies par les précaires et vacataires, ainsi que par les titulaires de statut second degré.
- Plusieurs témoignages s’apparentant à du quiet quitting (« retrait silencieux »), par des personnels qui hésitent entre diminuer leur implication dans leur profession et démissionner.
49 % s’estiment capables de faire le même travail jusqu’à la retraite (contre 37 % qui s’en sentent plutôt incapables), et 54 % souhaitent faire le même travail jusqu’à leur retraite (contre 37 % qui ne le souhaitent pas).
Des commentaires qui soulignent aussi la perte de sens et la précarité
La très grande majorité des commentaires pointent des conditions de travail dégradées et un pessimisme durablement installé. « La souffrance au travail est visible dans tous les services à tous les échelons », témoigne un répondant. « Les tâches administratives ont explosé en nombre et en complexité », renchérit un autre.
75 % estiment que ce qu’ils font dans leur vie à du sens et de la valeur, mais seulement 30 % estiment que leur métier est valorisé (contre 59 % qui estiment le contraire). « La dégradation [de l’ESR] me remplit de tristesse, de honte, de colère et je ne me reconnais plus dans cet environnement. »
Enfin, la précarité est soulignée : « Je suis payée à peine au-dessus du Smic, je ne trouve que des CDD, je ne peux pas me stabiliser comme mes amis qui sont souvent moins qualifiés que moi. » La mensualisation des vacataires est loin d’être un objectif atteint partout : « 42 heures de vacations de l’année précédente toujours impayées. »
Sur la totalité des réponses, seuls deux commentaires ont une tonalité positive, l’un d’eux soulignant « le lien avec les étudiants, entre (certains) collègues, le travail en équipe qui permet encore de tenir ! »