Numérique

Faut-il créer une habilitation à diriger la pédagogie ?

Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie

Comment inciter les enseignants-chercheurs à s’investir plus dès le premier cycle universitaire et reconnaître l’engagement en pédagogie ? Pour répondre à ces problématiques, ISC Paris a imaginé une habilitation à diriger la pédagogie, en référence à l’incontournable HDR en recherche. Côté universités, l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche suggère, elle, de créer une habilitation à diriger des formations. Décryptage.

L’habilitation à diriger la pédagogie d’ISC Paris donne droit à une prime. - © PX Here
L’habilitation à diriger la pédagogie d’ISC Paris donne droit à une prime. - © PX Here

Donner aux universités les moyens d’accompagner, de professionnaliser et de faire réussir un plus grand nombre d’étudiants : c’est ce que recommande un rapport sur l’organisation de la première année des formations supérieures de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igésr) de mars 2023 publié le 15 juillet 2024.

Ce rapport, dont la mesure phare est de financer le premier cycle pour un budget allant de 393 millions d’euros jusqu’à 2,9 milliards selon le scénario retenu, suggère la création d’une habilitation à diriger des formations afin de mieux valoriser l’investissement des enseignants-chercheurs en L1.

Il s’agirait du penchant pédagogique de l’habilitation à diriger des recherches (HDR), un diplôme qui valorise la production de connaissances scientifiques et permet d’accéder au corps de professeur des universités. Son objectif serait de « reconnaître et promouvoir l’investissement dans la pédagogie ».

L’habilitation à diriger la pédagogie expérimentée en école de commerce

Une école de commerce a, elle, déjà franchi le pas. Depuis la rentrée 2023, ISC Paris a lancé une habilitation à diriger la pédagogie (HDP). « L’action learning fait partie de l’ADN de l’école et nous voulions trouver un moyen de l’ancrer plus fortement. Ce dispositif permet d’acter l’importance que nous y attachons », contextualise Coralie Damay, directrice des programmes d’ISC Paris.

Un premier comité d’éligibilité s’est réuni en décembre dernier et a permis à cinq enseignants-chercheurs de se lancer dans l’habilitation à diriger la pédagogie. En cette rentrée 2024, l’un d’entre eux a rendu son dossier et s’apprête à passer sa soutenance.

Les différentes étapes de cette « HDP »

Une première expérimentation… avant d’aller plus loin ?

L’habilitation à diriger la pédagogie d’ISC Paris ne donne pas droit, contrairement à l’HDR dans les universités, à une augmentation de salaire via un changement de corps, mais à une prime de 1000 à 12000 euros en fonction du nombre d’étoiles obtenues. Cette distinction pourra en outre être mise en avant pour la progression interne.

Coralie Damay dirige les programmes d’ISC Paris. - © D.R.
Coralie Damay dirige les programmes d’ISC Paris. - © D.R.

L’objectif de l’école est d’inciter ses enseignants-chercheurs à s’investir sur le long terme.

« Une fois l’habilitation à diriger la pédagogie obtenue, il sera attendu de l’enseignant-chercheur qu’il s’engage au sein du lab d’innovation pédagogique d’ISC Paris, mais aussi qu’il partage ses apprentissages avec d’autres collègues. Nous l’inciterons également à participer à des articles pédagogiques. Et en contrepartie, l’école sera plus encline à financer des colloques ou autres déplacements en lien avec la pédagogie. »

Et l’idée pourrait même en inspirer d’autres… « Cette initiative est déjà un signal fort en faveur de la reconnaissance de l’engagement en pédagogie. Cela crée une bonne dynamique afin qu’à terme d’autres écoles puissent s’en inspirer et que le modèle actuel se développe », se projette Coralie Damay.

Dans les universités, définir les contours d’une habilitation à diriger des formations

Le déséquilibre entre reconnaissance de l’implication en recherche et en pédagogie est également un sujet constant pour les enseignants-chercheurs des universités. Pour leur évolution de carrière et notamment l’accès au corps des professeurs des universités, l’évaluation se base en premier lieu sur la production d’articles scientifiques et les avancées de recherche. La conséquence ? De nombreux enseignants-chercheurs ne s’investissent pas dans ce domaine, ce qui pourrait pourtant participer à améliorer le taux de réussite étudiante.

C’est pourquoi l’Igésr propose la création d’une habilitation à diriger des formations. Une mesure disruptive qui est un peu passée inaperçue, mais qui a tout de même été repérée par Guillaume Blanc, maître de conférences en physique à l’Université Paris Cité. Sur le réseau social Mastodon, il se positionne contre cette initiative.

Il explique pourquoi à Campus Matin : « Ce n’est pas le bon levier pour promouvoir la pédagogie : cela ajoute une couche administrative en plus, demande du temps pour la rédaction d’un mémoire, mobilise des relecteurs et un jury de soutenance. Il faut avant tout que le Conseil national des universités (CNU) [NDLR : instance qui gère l’évaluation et la promotion des enseignants-chercheurs, au niveau national] élargisse ses critères. »

Il poursuit : « L’habilitation à diriger des recherches est déjà décriée parce que ce n’est pas un diplôme qui évalue la capacité à diriger des doctorants, mais qui est basé sur la capacité à écrire des articles. Créer autre chose sur le même modèle me semble contre-productif. »

De premières améliorations dans la considération de la pédagogie

Certaines sections disciplinaires du CNU s’attachent aujourd’hui à privilégier les profils équilibrés entre pédagogie et recherche. « Ce n’est en revanche pas le cas pour toutes et puis, cela me semble compliqué d’être complètement équilibré entre les deux. L’un prend le dessus sur l’autre. Il faudrait pouvoir reconnaître chaque aspect du métier d’enseignant-chercheur », défend Guillaume Blanc.

Il nuance néanmoins : « Par rapport à il y a quinze ou vingt ans, les mentalités évoluent. Quand on parle de pédagogie, on nous regarde un peu moins comme un extra-terrestre, en partie parce que les nouvelles générations y sont un peu plus formées. Il y a cependant encore beaucoup de travail à faire à ce niveau-là. »

Un point positif du rapport de l’Igésr ressort néanmoins pour le maître de conférences : « Les auteurs admettent qu’il existe une problématique de reconnaissance en matière de pédagogie. J’espère que cela peut amener des réflexions au niveau du CNU. »

Distinguer la pédagogie et la direction de formations

L’habilitation à diriger des formations, de par son nom, soulève plusieurs interrogations : parle-t-on de promouvoir les initiatives pédagogiques ou la prise de responsabilité pédagogique ? Faudra-t-il posséder ce diplôme pour diriger des formations ? Donnera-t-il lieu à une rémunération supplémentaire pour ces activités ?

Guillaume Blanc est maître de conférences à l’Université Paris Cité. - © D.R.
Guillaume Blanc est maître de conférences à l’Université Paris Cité. - © D.R.

« Trouver le meilleur moyen de faire passer des connaissances et diriger des formations ne mobilise pas les mêmes compétences. Avec une habilitation à diriger des formations, nous allons créer de super responsables de licence ou master, mais la classe inversée, les cours de TD en petit groupe, etc. ne vont pas leur parler », distingue Guillaume Blanc.

Autre initiative soulignée dans le rapport de l’Igésr, Sorbonne Université propose une prime pour les enseignants qui s’impliquent auprès des premières années. Une solution plus simple à mettre en place qui ne convainc pas pour autant Guillaume Blanc : « Je préférerais qu’on reconnaisse le travail pédagogique dans l’avancement de carrière plutôt que de créer des dispositifs en plus. »

Valoriser l’engagement pédagogique en lien avec la transition écologique via Labos 1point5

Animateur de l’équipe « enseignement supérieur » de Labos 1point5, qui vise à mieux comprendre et réduire l’impact des activités de recherche scientifique sur l’environnement, Guillaume Blanc a participé à la création de la revue académique « Enseigner les enjeux socio-écologiques dans le supérieur ».

« Nous l’avons créée avec l’idée de permettre aux enseignants d’obtenir une certaine reconnaissance en publiant sur leurs expérimentations pédagogiques », explique-t-il.

Depuis 2023, le collectif académique organise un colloque annuel sur l’enseignement des transitions écologique et sociale. « Dans ce cadre nous partageons nos retours d’expérience, des contenus de cours, etc. », détaille le maître de conférences.