[Replay] Booster les ODD : ce que peuvent faire l’enseignement supérieur et la recherche
Il y a cinq ans, l’ensemble des États membres des Nations Unies se sont engagés sur 17 Objectifs de développement durable (ODD). En cette fin 2020, ils s’invitent dans l’actualité en figurant à l’agenda politique. Lors des débats au Parlement, ils ont été introduits dans la nouvelle loi de programmation pour la recherche (LPR).
Les étudiants se mobilisent aussi, pour exiger plus de leurs établissements. Enfin, les chercheurs sont confrontés à un véritable changement d’approche pour développer les « sciences de la durabilité », de manière beaucoup plus transversale.
Cycle : Campus Matin
« Améliorer la contribution du monde universitaire aux Objectifs de développement durable. » C’était le thème du webinaire organisé par Campus Matin et Elsevier, partenaire de l’événement. Quatre personnalités se sont réunies en ligne, pour un tour d’horizon de la question, le 30 octobre 2020.
- Pierre-Alain Raphan, député (LREM), co-rapporteur de la loi de programmation pour la recherche,
- Jean-Paul Moatti, ancien P-DG de l’Institut de recherche pour le développement,
- Agathe Euzen, directrice adjointe de l’Inee (Institut écologie et environnement) du CNRS,
- Anne-Catherine Rota, consultante Research Intelligence chez Elsevier.
1. Des ODD à intégrer au travail législatif
Pierre-Alain Raphan, député (LREM) et co-rapporteur de la LPR, dit s’être « attribué le rôle d’essayer d’être un ambassadeur des ODD dans le système politique, dans la construction des lois, dans leur évaluation et dans la promotion de la connaissance de ces ODD au niveau du grand public ».
Les ODD doivent en effet être intégrés dans les projets législatifs. « On a insisté avec des collègues pour que ces ODD, qui sont une boussole politique, soient intégrés dans chacune des lois, notamment la LPR », expose-t-il.
Dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche, « on veut que les établissements s’évaluent avec les indicateurs ODD. On a demandé à ce que chaque chercheur qui entre dans le processus doctoral soit sensibilisé aux ODD, et prévu des financements dans le cadre de l’ANR », poursuit Pierre-Alain Raphan.
Et pour aller plus loin, « s’il y a une réforme de la Constitution : nous voulons y intégrer l’état d’esprit des ODD. On va forcer le système politique à intégrer ce sujet », martèle-t-il.
2. Les étudiants en demande de formation sur ces enjeux
« C’est aberrant qu’on n’ait pas obligatoirement des cours sur ces enjeux ! », dénonce Julie Pasquier, vice-présidente de l’association étudiante Refedd.
Alors que nombre d’étudiants font part d’une « écoanxiété », ils se retrouvent démunis par leur manque de formation, d’après elle.
« Quand on prend conscience de ces enjeux, on se rend compte qu’il y a un mur en face de nous et qu’on devrait dès le plus jeune âge avoir des cours là-dessus, expose Julie Pasquier. Les étudiants ne peuvent pas agir s’ils n’ont pas les connaissances et ne comprennent pas tous les enjeux systémiques. (…) Il y a un vrai enjeu à former, à éduquer. »
50 000 répondants à la consultation nationale du Refedd
Une récente enquête du Refedd auprès 50 000 étudiants révèle « une volonté et un besoin [des étudiants] d’être formés sur ces enjeux pour 69 % des répondants qui estiment ne pas être assez formés, et 93 % estiment que les enjeux autour de l’environnement et du social doivent être pris en compte dans les métiers de demain ».
Cette consultation nationale étudiante a trouvé un écho auprès de la population visée : alors qu’il y a trois ans, les étudiants étaient 5 000 à répondre, ils sont sont aujourd’hui dix fois plus !
Abordant cinq thématiques liées aux ODD (société, campus, formation, insertion professionnelle et consommation), l’enquête a livré ses résultats début septembre 2020. Ces derniers ont été remis au Mesri ainsi qu’au ministère de la Transition écologique et solidaire.
L’idée de cours obligatoires en débat
Les députés Cédric Villani et Delphine Batho ont tenté de légiférer pour les enseignements aux enjeux climatiques soient intégrés aux cursus des étudiants, mais ont fait face à l’hostilité des universités qui saluaient l’intention du texte, mais défendaient leur liberté pédagogique.
Pierre-Alain Raphan, qui avait signé cette proposition de loi, constate qu’« on se heurte à quelque chose de très sensible en France : les libertés pédagogiques et académiques, dès qu’on veut imposer dans un socle commun des cours [pour] sensibiliser l’ensemble des personnes qui entrent dans un cursus ».
Jean-Paul Moatti, ancien P-DG de l’Institut de recherche pour le développement est contre une obligation. Cependant il insiste : « Rien d’empêche le Mesri, le Hcéres et l’ensemble des institutions d’évaluation et de financement de la recherche de donner une attention particulière à des projets de masters ou de licences qui s’inscrivent en relation avec les ODD. Si le Parlement trouve une façon de renforcer ces citations, c’est très bien. Si on ne fait pas ça, très souvent la référence aux ODD ou à la science de la durabilité restera un écran de fumée ».
3. La recherche doit prendre le virage des sciences de la durabilité
Jean-Paul Moatti était membre du groupe d’experts indépendants qui a rédigé le premier rapport quadriennal sur la mise en œuvre des Objectifs de développement durable, remis en septembre 2019 au Secrétaire général des Nations Unies.
« Nous lancions un cri d’alarme », résume-t-il. Car, sur la plupart des 169 cibles des 17 ODD, « on n’était pas du tout dans le bon tempo pour arriver à leur réalisation significative d’ici 2030 ». Le rapport voyait même « des tendances régressives sur la montée des inégalités, la perte de biodiversité, l’emprunte écologique des modes de production et de consommation et sur le changement climatique ».
Son crédo pour que la science contribue aux ODD ? « Faire émerger un nouveau champ scientifique : la science de la durabilité ». Ce qui nécessite des approches interdisciplinaires et efface la distinction entre recherche fondamentale et recherche appliquée.
Jean-Paul Moatti voit ainsi la crise covid comme « une opportunité pour avancer dans cette direction » qui peut également avoir la conséquence inverse, en raison de la grande pression d’agir sur un temps court.
Il faut aussi, poursuit-il, que les agences de financements analysent les projets de recherche au regard des ODD.
« L’ANR commence à le faire, mais qu’il y ait une pression politique ça permettra de dépasser un certain nombre de réticences », ajoute Jean-Paul Moatti.
Un sujet à s’approprier et repenser par les chercheurs
Pour Agathe Euzen, directrice adjointe de l’Institut écologie et environnement du CNRS, il est primordial, en tant que chercheuse de revisiter sa façon d’habiter la science. « C’est le début de l’intégration de ces enjeux via la LPR », dit-elle. « Le rôle des scientifiques c’est de venir éclairer tout ça », c’est-à-dire « s’emparer de ces ODD, les reformuler de façon scientifique et participer à la construction de connaissances qui sont essentielles à prendre en compte ».
Elle suggère de « reformuler, remobiliser des résultats de recherche déjà obtenus et de les coupler ». Puis de « poursuivre la recherche et identifier les manques en termes scientifiques et par rapport aux enjeux ».»Il n’y a pas d’ODD transport par exemple et pourtant c’est un sujet complètement transversal», précise-t-elle.
Agathe Euzen évoque une prise de conscience des chercheurs qui réinterrogent leurs pratiques et leur rôle primordial dans l’application des ODD.
Le CNRS a d’ailleurs produit plusieurs documents de référence sur le sujet, comme ces fiches.
Des blocages structurels
« Tant que le Conseil national des universités (CNU) reste strictement structuré par discipline, tant que ce sont les UFR qui font la pluie et le beau temps des formations (…) tant qu’on ne casse pas l’organisation par rapport aux UFR disciplinaires, on aura des blocages mais c’est vrai qu’il y a de plus en plus d’initiatives positives, les choses évoluent mais beaucoup sur la base du volontariat et des personnalités dans le monde des universités », analyse Jean-Paul Moatti.
4. Publications : la recherche française « n’est pas en avance »
Anne Catherine Rota, consultante Research Intelligence chez Elsevier, indique que la maison d’édition, en se basant sur un socle de données issues de publications scientifiques, a construit un « mapping des publications de recherche relatives aux ODD ».
Cette analyse révèle que l’ESR français « n’est pas en avance » et n’a pas encore assez intégré les ODD dans son pilotage, contrairement à d’autres pays, notamment nordiques où les acteurs sont « poussés par des appels à projets dans les institutions au-delà des initiatives nationales et des actions pour structurer recherche et éducation, ce qui n’est pas encore le cas dans beaucoup d’établissements français ».
En revanche, un point positif : les appels à projets pour construire des universités européennes sont, selon Anne Catherine Rota, « un très bon catalyseur, les projets ayant reçu des fonds étant très structurés autour de ces éléments relatifs aux ODD, à la fois sur le volet recherche et éducation ».
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