Comment former les enseignants à un usage éclairé de l’IA ?

L’intégration de l’intelligence artificielle dans l’éducation transforme le rôle des enseignants ? Comment planifier le déploiement de cette nouvelle technologie dans les politiques éducatives françaises ? Et surtout comment former les enseignants à un usage éclairé de l’IA ? Réponses lors d’un webinaire de Campus Matin, en partenariat avec le Réseau des Inspé, le 13 mai.

Cycle : Campus Matin

Hamid Chaachoua est VP recherche du Réseau des Inspé.  - © D.R.
Hamid Chaachoua est VP recherche du Réseau des Inspé. - © D.R.

« Nous sommes à un moment charnière où l’enseignant est amené non seulement à être un pédagogue, mais aussi un médiateur, indique Hamid Chaachoua, vice-président recherche du Réseau des Inspé et directeur de l’Inspé de Grenoble. Ce qui pose deux enjeux majeurs : la nécessité pour l’enseignant de s’approprier l’IA pour ses propres pratiques pédagogiques, mais aussi la gestion des usages par les élèves, souvent peu critiques, qui suscite des préoccupations autour de la triche et de la fraude », analyse-t-il.

Une problématique d’autant plus forte que le sujet avance très vite, sans usage de référence éclairé par la recherche. « En cinq ans, l’enjeu a glissé de la simple éducation au numérique à une acculturation technologique et éthique », rapporte Aude Guéneau, présidente d’EdTech France et fondatrice de la edtech Plume.

Démystifier l’outil

« Le manque de formation et de recul génèrent une insécurité quant à l’usage des outils numériques, souvent perçus comme une “boîte noire”  », relève George Wilson, directeur des programmes d’anglais et de l’éducation scolaire au British Council en France. Tandis que la focalisation sur la triche et la fraude peut entraîner un rejet du corps enseignant vis-à-vis de l’IA.

Erwan Paitel est inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche. - © D.R.
Erwan Paitel est inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche. - © D.R.

Erwan Paitel, inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche, déplore « une difficulté française à aborder ces sujets de manière globale et non uniquement disciplinaire.  » Sortir de cette vision en silos permettrait de privilégier une vision transversale, intégrant notamment les enjeux sociaux, éthiques et écologiques de l’outil.

« La fin de financements comme les territoires numériques éducatifs ou le partenariat d’innovation et d’intelligence artificielle (P2IA) pose la question de la pérennité et du déploiement à grande échelle de l’IA, avec le risque d’inégalités entre collectivités  », relève aussi Erwan Paitel.

Une acculturation progressive des enseignants et des formateurs

Une adaptation accélérée s’impose pour accompagner au mieux cette transformation.

Aude Guéneau est présidente d’EdTech France et fondatrice de Plume. - © D.R.
Aude Guéneau est présidente d’EdTech France et fondatrice de Plume. - © D.R.

« Avant toute utilisation concrète des outils, il faut commencer par comprendre les enjeux éthiques, les modèles et les risques liés à l’IA », recommande Aude Guéneau.

Hamid Chaachoua conseille de commencer par les formateurs en Inspé, « afin d’éviter à la fois l’enthousiasme naïf et le rejet. La mise en place de modules dédiés dès la formation initiale, puis en formation continue, déjà initiée mais encore fragmentaire, permettra de structurer cette transition », précise-t-il.

L’expérimentation en première ligne

Erwan Paitel encourage à l’expérimentation, même simple, comme la conversation vocale avec l’IA générative. George Wilson encourage, lui aussi, la curiosité et propose des ressources pratiques. Il liste notamment six conseils pour faire une utilisation éthique de l’IA dans l’enseignement : privilégier l’humain, prendre en compte les enjeux de sécurité, la vie privé et le RGPD, être transparent et vigilant aux biais, mais aussi responsabiliser enseignants comme apprenants.

Responsabiliser et rassurer avec un cadre légal clair

« Pour rassurer parents et enseignants, il convient de définir des règles d’usage strictes et responsables, en respectant le RGPD et en garantissant la souveraineté française sur ces technologies », recommande Erwan Paitel.

C’est ce que fait EdTech France, souligne Aude Guéneau, en rappelant que « le réseau travaille en partenariat avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, en œuvrant pour une IA française (Mistral), éthique et respectueuse des enjeux éducatifs. »

Créer un écosystème complet

« La collaboration entre acteurs publics, privés, chercheurs et enseignants est capitale pour aborder ce dossier complexe et évolutif  », estime Hamid Chaachoua. Le Réseau des Inspé a créé différents espaces de dialogue, dont un groupe de travail annuel réunissant tous les référents numériques. « Ces travaux s’inscrivent dans le cadre de la réforme à venir de la formation initiale, afin d’alimenter les maquettes de formation en IA », détaille le VP recherche.

L’IA ouvre d’ailleurs des espaces de collaboration à l’échelle internationale, comme le souligne George Wilson. « Ces échanges permettent de partager bonnes pratiques et expériences, ce qui favorise une appropriation collective et éclairée de l’IA », ajoute-t-il.

Aude Guéneau appelle de ses vœux un système de ressources partagé, accessible à tous. Elle propose aussi un « compte ressources » national pour chaque enseignant, visant à choisir librement ses outils pédagogiques.

George Wilson est directeur des programmes d’anglais et de l’éducation scolaire au British Council en France. - © D.R.
George Wilson est directeur des programmes d’anglais et de l’éducation scolaire au British Council en France. - © D.R.

« L’IA n’est qu’un outil, qui ne va jamais remplacer l’enseignant, qui a un rôle holistique et émotionnel, beaucoup plus complexe  », rappelle George Wilson.

Des perspectives inédites ouvertes aux enseignants

Cette mise en œuvre permettra la consolidation et la généralisation des indéniables atouts de l’IA. C’est, d’ores et déjà, un formidable « assistant » et vecteur de « créativité » pour l’enseignant, relève Aude Guéneau. « Cela peut permettre de réallouer du temps à des tâches complexes, de prévenir le décrochage scolaire et de redynamiser le métier », souligne-t-elle.

George Wilson et Erwan Paitel notent : « L’IA permet une personnalisation et une différenciation des parcours d’apprentissage. »

Hamid Chaachoua, quant à lui, conclut : « Nous sommes à l’aube d’un changement de paradigme. » Une véritable révolution du métier d’enseignant.