CRM pour les activités scientifiques : enjeux et défis
Si l’intérêt des outils de customer relationship management (CRM) est largement reconnu dans le monde de l’entreprise, notamment pour déployer une stratégie marketing, ils se révèlent aussi très utiles dans le domaine de la recherche publique, notamment pour gagner davantage d’appels à projets et renforcer la part des financements externes dans les ressources des établissements et des organismes. Retours d’expérience.
Cycle : Campus Matin
Le recours à un CRM pour soutenir les activités scientifiques n’est sans doute pas une évidence pour tous les acteurs de la recherche publique. Pourtant, il répond à des enjeux organisationnels majeurs, comme l’explique Éméric Donche, expert CRM d’Eudonet, à l’occasion du webinaire organisé par Campus Matin et l’éditeur de logiciels CRM, lors de Think Éducation & Recherche 2024.
« Il s’agit de renforcer la capacité des acteurs à chercher des fonds propres, dans un contexte où les subventions sont en diminution et où les budgets reposent de plus en plus sur des contrats de recherche — bilatéraux avec les entreprises, appels à projets (AAP) de l’Agence nationale de la recherche (ANR) ou européens, etc. Le CRM est la mémoire de ces démarches. »
Par exemple, en amont de la réponse à un nouvel AAP de l’ANR, l’outil permet de disposer de l’historique des autres appels à projets. Autre atout du CRM : répondre aux enjeux de sécurité des données et de conformité avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD).
De multiples cas d’usage à l’Inria et CentraleSupélec
Plusieurs organismes nationaux de recherche et grandes écoles ont franchi le pas, avec à la clé une diversification des usages. Au sein de l’Institut national de recherche en sciences et technologies numériques (Inria), le CRM a été mis en place par la direction de l’innovation pour documenter les phases de prospection, de contractualisation et de suivi de projets de transfert et d’innovation.
« En constatant le potentiel de l’outil, nous avons décidé de le mettre à la disposition d’autres lignes métiers, pour démultiplier les utilisations : annuaire des organisations partenaires et des contacts associés, historique de ces relations, emailing événements… », précise Guillaume Turpin, responsable des partenariats stratégiques de l’Inria.
À CentraleSupélec, le budget repose sur 40 % de subventions publiques et 60 % de ressources propres. « Pour sécuriser ces dernières, il est essentiel de suivre les différents contrats de partenariat et de mécénat dans la durée, indique Renaud Monnet, directeur des systèmes d’information de l’école d’ingénieurs. Dans le cadre d’AAP, dont la réalisation s’inscrit sur plusieurs années, il est crucial de partager, d’archiver et de valoriser la donnée. »
CRM : bien plus qu’un soutien aux activités de recherche pour les universités
Quid des universités, qui hébergent des unités de recherche et partagent des tutelles avec des organismes de recherche ? Si certaines se sont dotées d’un CRM, leurs besoins dépassent l’activité scientifique : projets France 2030 de transformation des établissements, collecte de taxe d’apprentissage, activités des fondations, etc.
« On constate la volonté d’un meilleur tracking des partenariats, mais aussi celle d’une traçabilité plus rigoureuse des actions, des dépenses associées, et des justifications de ces dépenses, remarque Nadia Jacoby, fondatrice de Simone et les Robots, cabinet de conseil en stratégie. Mais dans l’ensemble, les universités ne sont pas très avancées dans le déploiement de CRM pour les activités de recherche. »
Emeric Donche avance deux éléments d’explication : d’un côté, les clauses de confidentialité associées à certains contrats ; de l’autre, une communauté scientifique peu encline au partage d’information.
« Le niveau de partage de l’information peut avoir un impact sur la manière de monter le projet et les probabilités de succès, d’autant plus que les équipes de recherche d’un même établissement peuvent être en concurrence, confirme Nadia Jacoby. Par exemple, un même partenaire industriel ne va pas s’associer à deux projets portés simultanément pour répondre au même AAP. »
Une base de données utile à tous les acteurs de l’établissement
La plus-value d’un CRM dépend avant tout du cadre de déploiement et d’usage mis en œuvre. Par exemple, à l’Inria, ce sont les correspondants des équipes de recherche, au sein de la direction de l’innovation, qui ont la main sur le CRM, et non les chercheurs eux-mêmes.
Une même volonté de limiter la charge administrative qui pèse sur eux est à l’œuvre à CentraleSupélec, qui mise sur le service d’appui aux contrats de recherche pour gérer les dimensions juridique, administrative et financière.
« Une fois la base de données constituée et alimentée par ce service, elle mérite d’être partagée dans l’établissement, avec les chercheurs et au-delà de la communauté scientifique », estime Renaud Monnet, en rappelant qu’une entreprise engagée dans un contrat de recherche peut aussi s’investir sous forme de taxe d’apprentissage, de mécénat, etc.
Le CRM permet donc de disposer d’une vision globale de l’activité BtoB entre l’établissement et l’entreprise.
Un déploiement progressif et alloti pour sécuriser la conduite du changement
Les experts rassemblés pour ce webinaire ont également partagé leur expérience du déploiement de la solution. Pour Emeric Donche, la priorité consiste à définir les besoins : « La recherche de consensus peut être difficile quand les enjeux stratégiques sont importants, mais une fois les attentes précisées, le déploiement technique est facilité ».
D’autres recommandations ont émergé : par exemple, le fait de mettre l’utilisateur au centre de la démarche, ainsi que le service apporté par le CRM et le levier de performance qu’il peut représenter.
Pour Nadia Jacoby, « l’initiation doit être la vision stratégique de l’établissement ». Il s’agit aussi de dimensionner le projet et de mobiliser les ressources humaines suffisantes. Autres retours d’expérience : miser sur une approche progressive, avec un allotissement des projets ; et recourir à la méthode agile et au prototypage.
L’essor du recours à un CRM pour les activités scientifiques pose donc de nombreux enjeux et défis — comme le contrôle de la data recueillie par l’outil —, mais tous les participants reconnaissent que le jeu en vaut la chandelle, avec un retour sur investissement (ROI) certain à en attendre sur le financement de la recherche publique.