[Replay] Comment repenser la voie professionnelle dans le secondaire ?
Quel avenir pour le lycée professionnel ? Le webinaire organisé le 24 novembre par Campus Matin et le réseau des Inspé, se penchait sur ce chantier prioritaire du gouvernement. Avec en ligne de mire la question de l’attractivité de la voie professionnelle pour les enseignants et des compétences attendues de leur part. Les relations lycées-entreprises doivent elles aussi évoluer.
Cycle : Campus Matin
La voie professionnelle : un constat mitigé en termes d’insertion, d’orientation et de formation
Les diplômés professionnels : une insertion encore contrastée
Si le contexte économique est globalement bon pour les jeunes diplômés, les sortants des diplômes professionnels (CAP et bac pro) sont souvent sans emploi six mois après leur formation.
« Toutefois, les bacs pros industriels s’insèrent très bien, beaucoup mieux que certains diplômés de licence », pointe Isabelle Recotillet, économiste et experte de l’évaluation des politiques d’emploi et de formation professionnelle.
Une orientation trop souvent subie et source d’échec
« L’orientation vers l’enseignement professionnel est un point noir de longue date, observe Isabelle Recotillet. On observe des taux d’abandon de l’apprentissage de l’ordre de 20 à 30 %. »
La réforme en cours : quels enjeux ?
Augmenter les synergies entre école et monde professionnel
« Améliorer le lien formation-monde du travail est capital pour les années à venir, en particulier pour répondre aux besoins des branches professionnelles », déclare Jean-Claude Bellanger, directeur général du cabinet Indicom et ancien secrétaire général des Compagnons du devoir.
L’enseignement agricole, qui cultive ce lien de manière étroite depuis 1960, pourrait servir d’inspiration en la matière. « Les métiers du rural siègent dans les conseils d’administration et sont parties prenantes dans la construction des référentiels et des diplômes », témoigne Damien Trémaux, directeur de l’École nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole (Ensfea) et membre du Réseau des Inspé.
Mieux former et certifier les maîtres d’apprentissage
« Il y a un vrai travail à faire avec les branches pour qu’elles s’emparent pleinement de la responsabilité que leur donne la réforme de 2018 », estime Jean-Claude Bellanger. À savoir, mieux accompagner les jeunes dans leur parcours, via le rôle essentiel du tuteur. Les marges de progression sont réelles. « La proportion des maîtres d’apprentissage formés semble encore assez faible, observe Isabelle Recotillet. D’où un vrai chantier à ouvrir. »
Renforcer les compétences professionnelles des jeunes
« L’adaptation des compétences aux besoins dans des délais de plus en plus courts nécessite d’asseoir l’adaptabilité des jeunes, énonce Jean-Claude Bellanger. Et pour accélérer leur montée en compétences, il faut renforcer leur maîtrise des codes de l’entreprise. »
Ne pas fermer des portes aux jeunes issus de l’enseignement pro
Isabelle Recotillet souligne que si les passerelles sont nombreuses de l’enseignement général au pro (troisièmes métiers, secondes « rebond »), l’inverse n’est pas vrai.
« Un des enjeux importants de la réforme est de mettre un peu de fluidité dans le système », appuie Olivier Faron, recteur de l’académie de Strasbourg et à la tête d’un des quatre groupes de réflexion sur la réforme de la voie professionnelle (voir en encadré).
Opposer acquis théoriques et professionnels : un faux débat ?
La réforme voulue par le gouvernement remet sur le devant de la scène un autre débat ancien : faut-il accroître le temps de formation en entreprise, quitte à « sacrifier » un peu le socle de savoirs fondamentaux ? « Je pense qu’on se trompe en opposant ces deux pôles, répond Isabelle Recotillet. Il faudrait plutôt creuser quels sont les apports théoriques de ce qui est vécu en milieu professionnel. »
Une approche capacitaire déjà familière à la filière agricole. « Pour construire un référentiel de formation, on commence par décrire un référentiel professionnel, au sein duquel on détermine un certain nombre de situations de travail significatives, pour conduire à un découpage disciplinaire », illustre Damien Trémaux.
Réforme de la voie professionnelle : les projets du gouvernement
Priorité du gouvernement en matière d’éducation, la réforme du lycée professionnel est préparée par quatre groupes de travail présidés par des recteurs et rectrices. Carole Grandjean, ministre déléguée en charge de l’enseignement et la formation professionnels, leur a demandé de répondre à quatre questions :
• Comment réduire le nombre de décrocheurs ?
• Comment mieux préparer les poursuites d’études supérieures requises par certains métiers ?
• Comment améliorer le taux d’accès à l’emploi après le diplôme ?
• Comment donner des marges de manœuvre aux établissements tout en conservant le caractère national des diplômes ?
D’ores et déjà la ministre a esquissé les nouveautés potentielles : une augmentation des temps de stages d’au moins 50 %, une gratification pour cette période de stage financée par l’État, un rapprochement entre le lycée professionnel et le monde de l’entreprise, ainsi qu’une révision de la carte des formations.
Quelles implications sur la posture et la formation des enseignants en lycée pro ?
Individualiser les apprentissages
« Le formateur ne pourra plus dispenser un cours global auprès de l’ensemble de ses élèves, mais devra prendre en compte ce que chaque jeune aura validé comme compétences au sein de l’entreprise », constate Jean-Claude Bellanger.
Les intervenants pointent l’impératif de cultiver les soft skills, ou compétences sociocomportementales, de mettre l’accent sur la curiosité ou l’esprit d’entreprendre et d’encourager l’approche expérimentale et le droit à l’erreur.
Deux modèles pour former autrement
« Les Compagnons du devoir et les Maisons familiales et rurales sont à taille humaine, l’implication des familles y est favorisée », assure Jean-Claude Bellanger.
Comment rendre la filière pro plus attractive pour les enseignants ?
La filière pro souffre d’une désaffection de ses enseignants. Comment les ramener dans ses rangs ?
Revaloriser la profession, financièrement et moralement
« La première nécessité est une revalorisation des salaires, répond Olivier Faron. Il faut aussi favoriser et valoriser la question de la transmission entre enseignants et élèves, particulièrement forte dans la voie pro. »
Rapprocher enseignants et entreprises
Isabelle Recotillet préconise de faire intégrer l’entreprise aux enseignants, via des stages, pour leur redonner de la flexibilité et actualiser leurs connaissances du monde professionnel.
Damien Trémaux espère, lui, une plus grande fluidité entre école et entreprise en matière de reconversion. « Les enseignants pâtissent d’une image dégradée, alors même qu’ils ont, dans le cadre de leur exercice, développé des compétences transversales, relevant du coaching ou de l’ingénierie », regrette-t-il.
Revaloriser les métiers professionnels
Pour Jean-Claude Bellanger, « il faut présenter les métiers pros comme d’envergure et représentatifs de notre société. » L’attractivité des métiers étant la clé, tant de la réussite pour les jeunes, que de la noblesse de la profession d’enseignant.