[Replay] Comment sont formés les enseignants du premier et second degré dans les Inspé ?

Démissions croissantes du nombre d’enseignants, réforme du master Meef, professeurs qui commencent leur carrière sans avoir été face à des élèves… Dans ce contexte particulier, Campus Matin et son partenaire le réseau des Inspé se sont penchés sur l’évolution de la formation des enseignants dans un webinaire organisé le 2 février dans le cadre de l’événement Think Éducation et Recherche 2022. Synthèse.

Cycle : Campus Matin

Les Inspé, des formations universitaires professionnalisantes

Un master théorique et pratique

La formation actuelle des enseignants découle de la loi pour une École de la confiance votée en 2019 et s’effectue via le master métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation, dit master Meef. « Cette formation permet la construction progressive des compétences professionnelles, disciplinaires, didactiques et psychologiques. L’expérience devant les élèves en est un élément central », commence Alain Frugière, président du Réseau des Inspé, association regroupant les 32 Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé) de France.

« Le master Meef doit permettre aux étudiants d’acquérir les gestes professionnels, mais ce n’est pas suffisant. La formation des Inspé permet surtout aux étudiants d’apprendre à questionner leurs pratiques et construire des solutions propres aux situations qu’ils rencontrent lors de leur stage ou qu’ils vont rencontrer durant leur carrière », ajoute-t-il.

Des formations adossées à la recherche

Guillaume Gellé est vice-président de France Universités. - © Twitter
Guillaume Gellé est vice-président de France Universités. - © Twitter

Autre particularité des formations dispensées dans les Inspé, il s’agit de masters adossés à la recherche, comme le rappelle Guillaume Gellé, vice-président de France Universités  : 

« La recherche est aussi un acte professionnalisant, elle constitue un socle très important pour acquérir des compétences essentielles au métier d’enseignant. Il n’est pas possible d’opposer la professionnalisation à la recherche. » 

De nouveaux concours lancés à la rentrée 2021

Alain Frugière préside le Réseau des Inspé et dirige l’Inspé de Paris. - © Inspé de l’académie de Paris
Alain Frugière préside le Réseau des Inspé et dirige l’Inspé de Paris. - © Inspé de l’académie de Paris

Depuis la rentrée 2021, le gouvernement a fait le choix de déplacer les concours de recrutement du deuxième vers le dernier semestre du cursus de master pour les étudiants en Inspé.

« Cela veut dire que les concours doivent évaluer l’ensemble des compétences. Ils présentent une évolution significative : l’évaluation est faite de manière plus équilibrée des différentes compétences professionnelles, dès les épreuves écrites », salue le directeur de l'Inspé de Paris.

Alain Frugière poursuit : « Concernant la reconnaissance de la professionnalisation, les compétences travaillées en formation le sont dans la perspective de réussite au concours. Il y a la formation, mais aussi le concours, si les deux ne sont pas liés, le système ne pourra pas fonctionner. Le double objectif des Inspé est de former des fonctionnaires et des étudiants au concours. »

Concilier « hard » et « soft » skills ?

Des soft skills qui manquent aux étudiants

La professeure à l’Université de Strasbourg, Isabelle Barth questionne la place des soft skills dans la formation des enseignants : « Ces compétences relationnelles et comportementales qui montent en puissance, sont demandées de plus en plus dans le monde du travail, mais aussi dans le système scolaire », explique-t-elle.

« Je constate le déficit énorme de ces soft skills. Ces compétences manquent aux étudiants. Les enseignants sont-ils formés aux soft skills ? », poursuit-elle en assurant néanmoins qu’il « ne s’agit pas d’opposer les compétences dures aux compétences relationnelles ».

Le vice-président de France Universités souligne également la complémentarité des hard skills et des soft skills. Pour être enseignant, « un gros socle disciplinaire n’est plus suffisant, il faut aussi des qualités humaines », complète-t-il.

La formation tout au long de la vie

Isabelle Barth est professeure à l’Université de Strasbourg. - © D.R.
Isabelle Barth est professeure à l’Université de Strasbourg. - © D.R.

Isabelle Barth s’interroge aussi sur l’objectif des Inspé : préparent-ils au concours ou à la formation tout au long de la vie ? « La France est le champion de la diplomite. Cette notion de diplôme est très importante. Il faudrait se demander ce qu’est un bon prof : quelqu’un qui a du charisme, de l’empathie, de la bienveillance et de l’exigence. Ce qui n’exclut pas sa compétence dure. Il faudrait revenir à certains principes : être un prof suffisamment bon, qui va progresser tout au long de sa carrière », insiste-t-elle.

Le président du Réseau des Inspé souligne lui aussi l’importance de la formation tout au long de vie. « L’objectif des enseignants est d’assurer la réussite de tous les élèves. La formation des enseignants est l’une des clefs. Il faut continuer à les former après l’obtention du concours et rendre visible leur parcours. Penser à l’avenir du pays, cela devrait être une priorité absolue », préconise Alain Frugière.

Guillaume Gellé abonde en ce sens : « Les enseignants ne pratiquent pas leur métier de la même manière du début à la fin de leur carrière. Les profils des élèves évoluent, les enseignants doivent donc en permanence actualiser leurs savoirs et leurs méthodes pédagogiques. »

Quelles attentes par rapport à la présidentielle ?

Des pistes pour améliorer la formation des enseignants

La réseau des Inspé a présenté son mémento le 11 janvier 2022. - © D.R.
La réseau des Inspé a présenté son mémento le 11 janvier 2022. - © D.R.

Dans la perspective des élections présidentielle et législatives en 2022, le réseau des Inspé a présenté le 11 janvier un mémento à l’attention des candidats pour rendre la formation initiale des enseignants et des CPE plus efficace et attractive. 

Il s’appuie notamment sur un constat : 50 % des enseignants débutent leur carrière sans jamais avoir vu un élève pendant leur formation. 

« Nos trois propositions s’inscrivent dans un processus d’amélioration du modèle de formation mis en place, nous ne proposons pas une énième réforme », assure Alain Frugière.

Depuis une trentaine d’années, les réformes de la formation initiale des enseignants se sont en effet succédées au gré des quinquennats. Le réseau des Inspé propose de : 

  • Rendre incontournable un diplôme d’enseignement pour enseigner ou être CPE ;
  • Créer un label “Enseigner et éduquer” en licence pour rendre plus lisible l’offre de formation en licence : « Actuellement les élèves de terminale ont du mal à savoir quelle filière choisir pour devenir enseignant, au vu du foisonnement de possibilités », expose Alain Frugière ;
  • Augmenter le temps de formation sur le terrain.

Questionné sur ses attentes par rapport au prochain quinquennat, Guillaume Gellé souhaite plus de financements publics : « L’État doit investir dans la formation des enseignants. L’éducation et l’élévation du niveau de connaissance, c’est aussi la garantie d’avoir une société qui réussit demain. »

La formation des enseignants, un enjeu éminemment politique

Olivier Maulini rappelle les particularités du système français de formation et de recrutement des enseignants comparés à d’autres pays du monde et le lien fort entre la conception de la formation des enseignants et celle de l’enseignement public.

« Tous les pays ont leur manière de faire pour recruter. Les pays comme la France procèdent par concours et axent le recrutement sur la carrière. Les enseignants sont donc au service de la nation », affirme-t-il.

Olivier Maulini est professeur à l’Université de Genève. - © Linkedin
Olivier Maulini est professeur à l’Université de Genève. - © Linkedin

« La France est le seul pays au monde qui subordonne le métier à sa fonction politique qui est définie par l’État français. Il y a une contradiction dans les termes. Le principe du concours rompt avec la logique de professionnalisation », explique le professeur à l’Université de Genève. Le partage des valeurs de la République des enseignants aux élèves, fait ainsi partie du référentiel de compétences des enseignants, cite notamment le chercheur. 

« Le lien entre professionnalisation et universitarisation de la profession des enseignants est fondamental. C’est la seule façon de faire une formation autonome et non subordonnée à des alternances politiques ou à des choix idéologiques. Cela reste une lutte de légitimer la formation des enseignants. C’est une expérimentation qui a commencé et qui va prendre beaucoup de temps », conclut Olivier Maulini.