[C’est leur mission] « Mettre l’accessibilité numérique au centre, au même titre que le RGPD »
Par Marine Dessaux | Le | Rse - développement durable
Ce sont des traducteurs du digital : les référents accessibilité numérique veillent à l’optimisation des sites et logiciels pour tous les acteurs en situation de handicap au sein des établissements d’enseignement supérieur. Une tâche d’ampleur pour une fonction qui commence à se structurer.
Dans l’enseignement supérieur, le numérique est partout. À destination des étudiants, académiques comme personnels, une multitude d’usages passent par le digital - via les logiciels métier, site de l’établissement ou la plateforme de gestion du parcours pédagogique (LMS). Une présence de la technologie qui crée une fracture lorsqu’elle n’est pas adaptée pour les personnes en situation de handicap.
Un fossé que les référents accessibilité numérique s’efforcent de combler. Campus Matin se penche sur ce métier, présenté lors des journées de l’Anstia, l’association des professionnels des services d’appui à la pédagogie, des services Tice et des services audiovisuels de l’enseignement supérieur, du 2 au 4 novembre 2022.
Une fonction récente…
Endjy Guerchet a été nommé référent accessibilité numérique, un emploi à plein temps, à l’Université de Bordeaux. C’était il y a sept ans, au tout début de l’existence des référents accessibilité numérique en milieu universitaire. « Il a fallu apprivoiser le poste, explorer les missions », raconte-t-il.
« L’accessibilité numérique est un problème transverse, nous sommes amenés à travailler aussi bien pour des étudiants que des personnels et avec plusieurs services : la direction de la communication sur le site internet qui doit être accessible, le service Tice pour que l’environnement numérique de travail soit consultable par tous, les enseignants qui créent des cours à distance… », énumère Endjy Guerchet.
Référent accessibilité numérique à l’Université de la Réunion depuis la rentrée 2019 et lui-même en situation de handicap, car non-voyant, Pierre Reynaud est engagé sur cette question depuis le début des années 2000 dans le milieu associatif et au sein du conseil départemental de la collectivité d’outremer de 2017 à 2019.
« L’accessibilité numérique, c’est la capacité pour toute personne, d’utiliser correctement, pleinement et sans blocage tout ce qui est digital, définit-il. Cela nécessite de rendre accessible ou mieux de concevoir le numérique, d’adapter le contenu et, quand cela n’est pas possible, de proposer un accompagnement par une tierce personne. »
… qui évolue très rapidement
Les référents accessibilité numérique semblent suivre la voie des ingénieurs pédagogiques : d’abord peu connue, la fonction se répand dans les établissements et se définie. « En trois ans, elle est passée de très clairsemée à assez structurée », observe Endjy Guerchet. « Presque chaque mois, nous avons un contact avec un nouveau référent », précise Pierre Reynaud.
Pour autant, il n’existe pas encore de référentiel métier. « Les positionnements et périmètres sont extrêmement variés, bien que les missions soient très proches », témoigne Endjy Guerchet. Ni de formation spécifique. « Les seules formations pour devenir référent accessibilité numérique sont pour les professionnels au sein d’entreprises. Elles ne sont ni diplômantes ni certifiantes, nous nous penchons sur la question pour créer une formation au niveau universitaire », ajoute-t-il.
Un travail de structuration se met en place, et passe notamment par l’implication des référents accessibilité numérique, qui n’ont pas de réseau propre, au sein de l’Anstia.
« Nous avons beaucoup d’atomes crochus et de ponts de convergence avec l’Anstia. Il est impensable d’aller à la bataille en ordre séparé », dit Endjy Guerchet.
« Nous avons pour projet de nous investir plus au sein de l’association. Notamment via des formations, webinaires et conférences. C’est une des étapes pour nous faire reconnaître, ce qui permettra de flécher des moyens sur nos postes », complète Pierre Reynaud.
Travailler en mode projet
Les missions du référent accessibilité numérique touchent à une multitude de supports numériques qu’il est difficile de couvrir en étant seul pour tout un établissement.
« C’est un métier passionnant, mais frustrant : il y a une dette technique considérable. Il y a du travail pour dix ! Depuis le confinement, le sujet a pris de l’ampleur, mais si on est passé du vélo au vélo électrique sur ce sujet, le numérique, lui, va à la vitesse du TGV », illustre Pierre Reynaud.
Il complète : « Nous ne travaillons pas dans l’urgence, mais en mode projet. Les interlocuteurs veulent des solutions pour la veille et nous leur proposons une solution pour dans quelques mois, voire quelques années ! »
Une grosse frustration pour des professionnels engagés qui voient les sollicitations et bonnes volontés s’empiler dans leur boite mail. Afin d’anticiper les demandes, organiser des formations est alors une piste.
« Nous proposons des formations avec les services Tice, pour des demandes individuelles ou de services, explique Endjy Guerchet. Former les ingénieurs pédagogiques à l’accessibilité est également une question stratégique. Même chose avec les enseignants pour leurs cours numériques. Ces derniers viennent parfois nous voir à la fin du processus de création, sauf que cela sera très frustrant pour eux et pour nous : tout doit être pensé dès le début, de la police au sens des images ! »
De manière générale, l’accessibilité doit être intégrée en amont des projets, au même titre que la sécurité. Sinon « c’est trop tard et trop cher », regrette le référent. « C’est notre combat : mettre l’accessibilité au centre, au même titre que le Règlement général sur la protection des données (RGPD), pas à part, ni devant, mais avec. »
Un positionnement qui doit être « au niveau du pilotage »
Pour l’heure, les référents accessibilité numérique n’ont pas tous la même place dans les organigrammes.
« J’ai connu différentes situations : dans le service handicap, qui m’a permis de comprendre la réalité du terrain au-delà du plan réglementaire, puis au sein du pôle insertion et vie professionnelle », décrit Endjy Guerchet. De son côté, Pierre Reynaud travaille dans le service web et accessibilité numérique. Parmi leurs homologues, certains appartiennent à la direction du système d’information.
Quel serait le positionnement idéal selon eux ? Haut dans la hiérarchie. « Plus le référent accessibilité numérique sera visible, mieux ce sera. C’est un poste stratégique qui doit être positionné pas très loin de la gouvernance, qui nécessite une certaine notoriété et de pouvoir faire un peu de lobbying pour être dans les priorités. Un poste de catégorie A, au niveau du directeur général des services. »
Créer de véritables équipes autour de cette thématique ?
Ces professionnels ont des missions très diverses qui nécessitent des compétences techniques pour contrôler et auditer les solutions numériques de l’établissement, mais aussi des connaissances en conduite de projet, stratégie et communication.
« On ne peut pas tout faire seuls, il faudrait au moins deux postes l’un sur les aspects techniques et l’autre au niveau du pilotage », estime Pierre Reynaud.
En effet, certains aspects du poste, tels que l’audit, demandent une pratique régulière difficile à maintenir en parallèle du pilotage. Un fonctionnement en duo semble nécessaire à nos deux interlocuteurs, voire en plus grand nombre au sein d’une équipe. « Comme c’est aujourd’hui le cas pour les ingénieurs pédagogiques », pointe Endjy Guerchet.
Une véritable urgence
Au-delà des aspects techniques et des enjeux RH, les référents accessibilité numérique souhaitent voir les choses avancer.
« Il faut avoir conscience qu’on vit dans un monde de plus en plus dématérialisé, il y a une véritable urgence à ce que ces enjeux soient pris en compte. Si on ne crée pas de l’inclusion, on exclut. Il y a un fossé qui se creuse et c’est une pente dangereuse. Le numérique c’est formidable, à une condition : que ce soit ouvert à tous », rappelle Endjy Guerchet.
« Il ne faut pas oublier que derrière toutes ces problématiques, il y a de vrais enjeux humains », souligne Pierre Reynaud.
L’accessibilité numérique dans la loi
Depuis la loi sur l’égalité des chances de 2005, la notion d’accessibilité numérique est mentionnée dans les décrets « mais n’a pas été assez actée au-delà », explique Pierre Reynaud.
« Une obligation légale largement ignorée et très peu appliquée, poursuit-il. Le 6 octobre dernier, nous avons entendu ce terme pour la première fois hors contexte législatif dans la bouche de la Première ministre. » En effet, Élisabeth Borne a présidé ce jour un comité interministériel du handicap et signé une circulaire sur la politique interministérielle en faveur de l’inclusion des personnes handicapées. Un signe positif pour nos deux référents en accessibilité numérique.