[Replay] Les classes préparatoires aux grandes écoles de commerce veulent soigner leur attractivité

En 2021, les classes préparatoires aux grandes écoles de commerce (ECG et ECT) ont connu baisse forte de leurs effectifs, ce qui inquiète les associations d’enseignants. Comment expliquer cet « accident industriel » ? Quel avenir imaginer pour ce parcours en lien avec les établissements du supérieur qui accueillent les élèves après leurs deux années exigeants ? Les invités du webinaire organisé le 10 mai par Campus Matin, en partenariat avec Skema business school, se sont penchés sur la question.

Cycle : Campus Matin

« La rentrée 2021 a été marquée par une baisse du nombre d’élèves en classes préparatoires aux écoles de commerce, de 13,7 % en voie générale (ECG), et de 7 % en voie technologique (ECT) », selon Alain Joyeux, le président de l’Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales (Aphec). Quelles sont les raisons de cette tendance ? Comment rendre les classes préparatoires plus attractives aux yeux des élèves ?

Pour y répondre, Campus Matin et son partenaire Skema business school ont organisé un webinaire le 10 mai dernier. Compte rendu.

« Un accident industriel »

D’entrée de jeu, les invités le soulignent : les chiffres de 2021 sont particuliers. Tout d’abord, cette année arrive dans le sillon de la réforme du lycée et du bac de 2019. S’ajoute à cela la pandémie. Ces deux évènements sont à l’origine de cette baisse, selon Pierre Tapie, ancien directeur général du groupe Essec et dirigeant de la société de conseil Paxter.

« Avec la suppression des filières, le nouveau bac, la manière dont les étudiants se situent a clairement été différente. Vous ajoutez l’effet covid. On peut faire l’hypothèse que cette baisse est un accident industriel. »

Pierre Mathiot est aussi directeur de l’institut d’étude politique de Lille - © Cyril Entzmann
Pierre Mathiot est aussi directeur de l’institut d’étude politique de Lille - © Cyril Entzmann

Une idée que formule également Pierre Mathiot, copilote du suivi de la réforme du bac et du lycée au ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. « Avec la pandémie, nous n’avons pas été performants dans l’information à l’orientation et l’accompagnement à la réforme du bac », reconnait-il.

Une orientation sur laquelle il faut donc miser, mais qui, compte tenu de la réforme, comporte de nouveaux enjeux.

Orienter de plus en plus tôt

Depuis 2019, les élèves en cursus général choisissent dès la fin de seconde les matières qu’ils souhaitent étudier parmi plusieurs modules. Un éventail de choix bien plus large que les trois anciennes filières générales (ES, S, L).

Pour Alain Joyeux, l’orientation proposée aux élèves doit s’accorder avec cette nouvelle pratique. « Désormais, la communication sur les différentes filières post-bac doit se faire dès la seconde », préconise-t-il.

Penser cohérence sur le long terme

Vincent Cornu est proviseur du lycée Descartes à Antony - © D.R.
Vincent Cornu est proviseur du lycée Descartes à Antony - © D.R.

Ce choix précoce pose question à Vincent Cornu, président de l’Association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux grandes écoles.

« Les envies des jeunes en classe de seconde ne sont plus les mêmes deux ans plus tard. Résultat, nous avons de très bons élèves qui n’ont pas suivi de cours de mathématiques, et qui se retrouvent dans l’embarras, car ils ne peuvent pas intégrer le Parcours grande école (PGE) », observe-t-il.  

Une situation qui fait réagir Alice Guilhon, présidente de Conférence des écoles françaises de management (CDEFM). « Pour ce qui est des maths, nous sommes tous d’accord. Il faut qu’il y ait un socle commun. C’est non négociable ».

Pour elle, perpétuer la culture scientifique est d’une grande importance puisque les écoles et les entreprises sont à la recherche de profils capables de comprendre et de maîtriser les nouvelles technologies, qu’il s’agisse de l’intelligence artificielle, du big data ou du métaverse.

Des avis qui ont visiblement été entendus par le gouvernement, puisque replacer les mathématiques dans le tronc commun faisait partie du programme d’Emmanuel Macron pour l’enseignement scolaire

Une formation qui doit gagner en lisibilité

Un grade de licence pour les prépas ?

« Pour un lycéen “Programme grande école” ça ne veut rien dire », pointe Alain Joyeux. Selon lui, le PGE manque de lisibilité en plus de paraître incertain à cause du concours, ce qui ne joue pas en sa faveur auprès des élèves. Il lance alors une piste de réflexion.

« Les bachelors ont un grade de licence alors que les élèves qui ont fait deux ans de prépa et une année d’école, non. Il faudrait permettre à ces élèves d’obtenir une licence, car quand on leur dit : venez en prépa, dans cinq ans vous sortirez avec un master, ça leur paraît très loin. »

Les classes préparatoires, un parcours à forte valeur ajoutée

La lisibilité, c’est aussi mettre en avant les atouts des CPGE dans un paysage du sup’ qui s’étend, entre la multiplication des bachelors et l’apparition récente des classes préparatoires aux études supérieures (CPES). Alors, pourquoi privilégier une CPGE ?

Alain Joyeux est aussi professeur de géopolitique en prépa ECS - © LinkedIn
Alain Joyeux est aussi professeur de géopolitique en prépa ECS - © LinkedIn

Il n’est pas facile pour un lycéen de répondre à cette question, selon Alain Joyeux. Sans compter que l’attractivité de la formation est freinée par tous les préjugés qui l’entourent.

« La prépa c’est tout sauf du bachotage. On apprend à être efficace. On parle des entreprises internationales, de la responsabilité sociétale… La formation a évolué avec son temps. Notre défi, c’est de trouver un moyen pour que cette valeur ajoutée soit identifiable auprès de notre vivier », affirme-t-il.  

Mettre à profit le « continuum »

Pierre Tapie est aussi chercheur en biophysique  - © D.R.
Pierre Tapie est aussi chercheur en biophysique - © D.R.

Pour Pierre Tapie, le problème ne provient pas seulement du manque de lisibilité, mais tout simplement du fait que les élèves ne soient pas informés de l’existence de ce cursus. « Cette formation d’excellence est connue des familles favorisées, mais pas des familles défavorisées », indique-t-il.

Ce manque d’information engendre la perte d’un certain vivier de candidats. Afin d’éviter cette situation, il faut aller vers ces profils, relève Vincent Cornu, qui en a fait l’expérience.

« Quand je dirigeais un lycée avec des classes préparatoires à Neuilly, nous sommes allés visiter les élèves habitant à l’ouest de Paris, pour leur parler de la formation. Ces élèves sont venus et ont formidablement réussi », raconte-t-il.

Une communication qui peut se faire massivement si l’on renforce le « continuum » avec les grandes écoles, selon Alice Guilhon. Elle évoque d’ailleurs une piste pour améliorer la circulation de l’information : communiquer après des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé) puisqu’une fois les futurs professeurs informés des possibilités des classes préparatoires, ils seront alors plus à même d’orienter leurs futurs élèves.

Les prépas de proximité les plus touchées

Alain Joyeux le rappelle, cette baisse du nombre d’élèves a plus largement impacté les classes préparatoires de proximité que celles présentes dans les grandes villes. La conséquence selon lui : une perte d’ouverture sociale pour la formation.

Une situation qui inquiète Alice Guilhon : « La diversité des profils fait que nous pouvons adapter l’évolution des classes préparatoires et des grandes écoles. Si nous voulons nous adapter à un mouvement sociologique global, il nous faut cette ouverture. »

Un cursus cerné par la concurrence 

Alice Guilhon est directrice générale de Skema Business School  - © Lora Barra
Alice Guilhon est directrice générale de Skema Business School - © Lora Barra

« Il y a une montée en puissance des formations post-bac dans lesquelles on entre sans filtrage, constate Alain Joyeux. Il y a des concours qui sont aussi factices dans certaines écoles, et cela attire des élèves qui auparavant allaient en classe préparatoire. »

C’est un constat que réfute largement Alice Guilhon. « On ne peut pas dire que les écoles sont les méchantes puisqu’elles ont ouvert des bachelors. Les étudiants qui viennent chez nous le fon,t car ils veulent un parcours international, parce qu’ils veulent des cours en anglais. »

Faire évoluer et multiplier les possibilités de parcours pour les étudiants est aussi un moyen d’endiguer un problème qui selon elle menace l’ensemble du sup’ français : les étudiants partant s’installer à l’étranger.

« Il faut regarder l’enseignement supérieur dans son ensemble. Je rappelle que nous sommes dans un marché compétitif à l’international. Beaucoup de très bons éléments sont partis aux États-Unis, au Canada. Alors le véritable problème ce ne sont pas les écoles et leurs bachelors. Le problème c’est : qu’est-ce qu’on offre aux étudiants en France ? » poursuit-elle.

Pour la présidente de la CDEFM, la solution est d’écouter les jeunes générations, leurs envies et leurs ambitions, pour répondre au mieux à leurs attentes dans la création des programmes.

De son côté, l’Aphec se dit prête à entamer des discussions à l’automne prochain pour réfléchir à de possibles évolutions concernant les classes préparatoires, si les chiffres de 2022 demeurent insatisfaisants.