Poitiers, nouveau hub de la formation des cadres de l’enseignement supérieur
Par Marine Dessaux, Théo Haberbusch | Le | Management
Centre de formation bien connu des cadres de l’éducation nationale, l’Institut des hautes études de l’éducation et de la formation (IH2EF) s’adresse aussi à ceux de l’enseignement supérieur public, notamment au moment de leur prise de poste. L’institut poitevin, qui travaille de concert avec l’Agence de mutualisation des universités et les associations professionnelles, veut s’affirmer comme le hub du supérieur.
Ce n’est pas une soucoupe volante ni une des attractions du Futuroscope : non, cette structure blanche en périphérie de Poitiers, c’est l'Institut des hautes études de l’éducation et de la formation (IH2EF). « Historiquement c’est la maison des inspecteurs du premier et du second degré », rappelle son directeur, le mathématicien et inspecteur général Charles Torossian. Ils étaient d’ailleurs 350 inspecteurs à faire leur rentrée dans les locaux à la mi-septembre. Début octobre, c’était au tour des nouveaux chefs d’établissement. Mais l’institut accueille au même moment une population d’un autre genre : les cadres de l’enseignement supérieur.
Du 3 au 5 octobre 2022, des personnels de huit filières suivaient une formation initiale intermétiers : directeurs des ressources humaines, des systèmes d’information, des affaires financières, de cabinet, agents comptables, etc. En parallèle, les directeurs généraux des services (DGS) d’université étaient aussi présents, avec un programme dédié. Au total, une centaine de personnes de l’enseignement supérieur se sont croisées et ont échangé à Poitiers. Ils reviendront au printemps pour poursuivre leur apprentissage, cette fois de manière plus pointue au travers de modules métiers spécifiques.
L’IH2EF se tourne vers le supérieur
Depuis 1997, la mission de l’IH2EF - qui a changé plusieurs fois de nom - est de sensibiliser et de former aux questions d’éducation et d’enseignement supérieur. Il s’agit d’un service à compétence nationale rattaché au secrétaire général du ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Ce sont ces deux entités qui financent l’institut à hauteur de 3,4 millions d’euros, hors masse salariale.
« C’est un modèle économique assez rare : l’État qui forme lui-même ses cadres, dès leur prise de fonctions et tout au long de la vie professionnelle », souligne Tilman Turpin, conseiller-expert recherche et enseignement supérieur au sein de l’institut. « Pour l’ESR, nous organisons également une formation sécurité et gestion de crise qui doit être renouvelée tous les trois ans », ajoute celui qui a dirigé le campus de Sciences Po à Reims avant de rejoindre Charles Torossian pour développer les liens avec le supérieur et la recherche.
C’est une volonté forte du directeur nommé en 2019. Lui-même ancien chercheur au CNRS, il entend créer davantage de lien entre les fonctionnaires et agents des ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. Indispensable pour créer une culture commune et des ponts dans les carrières des agents, estime-t-il.
Illustration, toujours en ce mois d’octobre, avec la venue programmée des directeurs d’unités de formation et de recherche (UFR). Toujours en lien avec le supérieur, les responsables des Instituts nationaux du professorat de l’éducation (Inspé) passent aussi à Poitiers. Et parmi les projets phares du directeur de l’IH2EF figure le développement des liens avec la recherche, ce qui passera par l’accueil de scientifiques en résidence.
Des milliers de stagiaires accueillis chaque année
L’IH2EF est organisé en trois départements : « le secrétariat général, les affaires financières qui s’occupent de la rémunération des intervenants par exemple et le cycle des métiers, est dédié à la conception des formations. Ce pôle gère l’assistance lors des formations, mais aussi la logistique », indique Pierre Cauty, chef du département des cycles métiers.
Un aspect logistique qui n’est pas à négliger ! Pour l’année 2021, ce sont 70 personnels qui ont contribué à la mise en place de 465 sessions de formation pour 3 116 stagiaires en formation initiale et 10 977 participants en formation continue.
Réseauter en terrain neutre
Au cœur de la Vienne, les cadres de l’ESR se retrouvent, « en territoire neutre », sourit Tilman Turpin. « Dans les universités, les directions de différents départements se côtoient, mais parfois ne se connaissent pas. Cet endroit est l’occasion d’apprendre à connaître le travail de l’autre, de discuter selon les affinités », observe-t-il.
Ils viennent de toute la France, y compris des DOM-TOM. Pour tous, la formation, restauration et hébergement sont gratuits, mais les frais de déplacement restent à la charge de l’établissement. « C’est un investissement, mais cela permet de rencontrer les collègues », dit Pascale Legendry, directrice des ressources humaines de l'Université de Guyane depuis huit mois.
Présent en tant qu’accompagnateur et membre du bureau du Comité des services informatiques de l’ESR (CSIESR), Harry Claisse n’a pas pu bénéficier des formations à l’IH2EF qui n’existaient pas encore lors de sa prise de poste. « J’aurais bien aimé avoir ça ! En quelques jours, on a toutes les informations qu’il faut plusieurs mois à rassembler », confie celui qui se rend pour la première fois à l’institut en ce mois d’octobre.
Un travail commun de trois acteurs clés
Les formations de l’IH2EF sont dispensées grâce à un réseau d’accompagnateurs et d’intervenants venant du secteur public, associatif et privé. En 2021, l’institut a ainsi fait appel à 1 410 intervenants.
Pour l’enseignement supérieur, la création des formations est possible grâce à l’implication de trois acteurs clés :
- l'IH2EF et ses agents qui coordonnent et contactent les intervenants ;
- l'Agence de mutualisation des universités et établissements (Amue) qui soumet des thématiques, met son expertise et savoir-faire en formation au service des formations ;
- les associations métiers qui, lorsqu’elles existent, sont centrales dans la conception des modules spécifiques aux différentes fonctions.
Experte responsable de cycles de formation à l’IH2EF, Anne Farge précise : « Dans le supérieur, nous effectuons environ 30 % du travail : l’organisation, le contact des intervenants, comme cette année la professeure des universités en management et conférencière, Isabelle Barth. Pour les corps de métier qui n’ont pas d’association propre, comme les directeurs des affaires financières, nous montons les séminaires. Ce qui remonte des années précédentes, c’est que les stagiaires veulent plus de temps pour partager ensemble, c’est pourquoi nous privilégions les ateliers en intelligence collective. »
Sur le rôle de l’Amue, Carine Guillebaud, directrice adjointe du département développement et accompagnement des compétences au sein de l’agence, explique : « Nous construisons les contenus avec les associations ou nous fournissons des intervenants. Cette année, nous avons par exemple à nouveau mis en place un “world café” sur le management transverse dans lequel nous allons aborder des thématiques d’actualité : la sobriété énergétique, les difficultés de recrutement et la gestion d’équipe avec le télétravail. »
Un rôle majeur pour les associations métiers
Les associations métiers construisent une grande partie des ateliers spécifiques à leur domaine. Ce sont les « fils rouges » qui permettent un bon déroulé des formations, de la communication en amont jusqu’à l’animation le jour même.
Au CSIESR, Emmanuelle Vivier, la présidente, Pierre Saulue, vice-président, et Harry Claisse jouent ce rôle. « Nous prenons en charge trois modules qui se répètent d’une année à l’autre avec quelques modifications. Les DSI suivent cette formation initiale normalement en début de prise de fonctions, mais parfois cela peut parfois être étalé sur deux ans, car ce n’est pas toujours possible de se libérer », témoigne Emmanuelle Vivier.
Cette année, une dizaine de stagiaires DSI sont présents. L’occasion pour le CSIESR de se présenter et d’échanger, rapporte Pierre Saulue. « Il n’y a bien sûr pas d’obligation, mais une bonne partie des stagiaires deviennent membres de l’association à la fin », expose-t-il.
Un lieu de formation avec restauration et hébergement
L’IH2EF, c’est un peu comme si les cadres de l’ESR revenaient sur les bancs de la fac ! L’institut de 11 000 m² dispose de trois espaces : formation, restauration et hébergement. On y retrouve des amphithéâtres, des salles pour les groupes, un centre de la ressource et de la donnée, une cafétéria et un dortoir d’une centaine de places.
Le bâtiment a fait l’objet de rénovations pendant l’été 2021. Le centre de la ressource et de la donnée qui a été créé à cette occasion, témoigne d'« une volonté de décloisonner les espaces pour que les stagiaires puissent échanger », explique Tilman Turpin.
En projet désormais : un lab intégré permettant d’utiliser la réalité virtuelle pour la formation. Avec le Réseau des Inspé, l’IH2EF développe un scénario de conversation qui dégénère, afin de proposer aux stagiaires de s’entraîner à la gestion de crise.
Gagner en visibilité et qualité
Alors que l’IH2EF est bien connu dans l’enseignement scolaire, dans le supérieur, il peine encore à être bien identifié. Deux éléments d’explication : d’abord, la formation n’est pas obligatoire dans le supérieur, alors qu’elle est systématique pour les cadres de l’enseignement secondaire ; ensuite, le nombre de personnes concernées : 1 500 stagiaires dans le scolaire chaque année contre quelques centaines dans le supérieur.
« Aujourd’hui, l’information est envoyée aux présidents, relayée par l’Amue et les associations métiers. Nous travaillons à construire un catalogue pour tout recenser », énumère Tilman Turpin.
L’IH2EF peut aussi être vu comme une concurrence pour les établissements qui, pour certains, organisent leurs propres formations en interne. « Mais dans ce cadre, ils ne rencontrent pas leurs homologues d’autres universités », rappelle Carine Guillebaud.
Autre enjeu clé : « Une montée en qualité, afin que les stagiaires reviennent pour la formation continue et veuillent éventuellement à leur tour devenir intervenants », ajoute le conseiller-expert.
Une évolution des formations qui impose d’améliorer l’approche pédagogique : apporter plus d’interactivité et analyser la satisfaction des apprenants deviennent plus incontournables… comme dans l’enseignement supérieur !