Apprentissage expérienciel : décryptage d’une mécanique et clés pour sa réussite
Par La Rédaction | Le | Pédagogie
Quelle est la mécanique de l’apprentissage expérienciel et les clés de sa réussite ? Réponses dans une tribune signée par Sarah Alves, professeure en gestion des ressources humaines à l’EM Normandie qui s’est penchée sur ces questions dans ses recherches.
La loi de 2018 sur la formation professionnelle a reconnu sans ambiguïté la place de l’expérience dans le développement des compétences. Grâce à l’action de formation en situation de travail (Afest), la mise en situation et la pratique professionnelle deviennent un matériau possible de formation, selon une véritable logique d’articulation travail/formation. Il était temps !
Un héritage du Moyen Âge
Force est, en effet, de se dire clairement les choses : cette synergie et la puissance formative de la pratique ne datent pas d’hier ! Déjà, au Moyen-Age, le compagnonnage permettait à des apprentis d’apprendre des tours de main, un métier avec ses codes et valeurs associés, grâce à l’observation et la pratique. On reconnaissait donc bien que l’activité et l’expérience étaient source de développement des compétences. L’alternance, telle que nous la connaissons aujourd’hui en France, est un héritage direct de ces pratiques compagnonniques.
Aujourd’hui, l’engouement pour cette modalité de formation en France est indéniable. Selon une étude publiée en février 2024 par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail, plus d’un million de contrats d’apprentissage étaient en cours au 31 décembre 2023, ce qui répond à l’objectif fixé par le gouvernement à la fin des années 2010.
Quelle est la mécanique de l’apprentissage expérientiel ?
Si l’alternance repose sur cette reconnaissance du pouvoir formateur de l’expérience, il semble nécessaire d’en comprendre la mécanique. C’est là que le principe d’apprentissage expérientiel prend tout son sens.
L’apprentissage expérientiel tel qu’il a été conceptualisé par David A. Kolb dans les années 80 suppose quatre étapes. Il y a tout d’abord et inévitablement le temps de l’expérience concrète.
Vient ensuite un temps d’observation réfléchie qui vise à analyser cette expérience. En expliquant ce qui s’est passé, en tentant de comprendre comment (et non pourquoi) les choses se sont déroulées ainsi, en confrontant d’autres points de vue au sien, cette étape d’analyse systémique permet à l’apprenant de prendre du recul et de prendre conscience de ce qui s’est passé.
La troisième étape, appelée la conceptualisation abstraite, permet aux apprenants de dégager ce que l’on appelle des « invariants opératoires », à savoir des règles opératives pour l’expérience, des règles sur ce qu’il convient de faire face à une expérience de même nature.
Enfin, l’expérimentation active vise à mettre à l’épreuve du réel ces invariants opératoires, dans de nouveau contexte d’expérience, de façon à affiner ces règles au fil du temps. Il s’agit par exemple dans cette dernière étape de dégager des jurisprudences ou des exceptions à la règle.
Les conditions à réunir pour un apprentissage expérientiel efficace
Si le premier bienfait de l’apprentissage expérientiel est de développer les compétences des individus, cette manière d’apprendre renforce l’auto-efficacité des apprenants, leur motivation, leur proactivité et leur engagement durant le processus même d’apprentissage. Mais plusieurs conditions sont à réunir pour un apprentissage expérientiel efficace.
- La première condition est inévitablement la qualité de l’expérience et son potentiel apprenant (expérience concrète). Combien d’alternants vivent-ils une expérience pauvre et limitante ? Ici, au-delà de la qualité des activités confiées, laisser de l’autonomie à l’apprenant et lui laisser un espace pour l’essai et l’erreur sont des gages d’une expérience qualitative.
- La deuxième condition est d’accompagner les phases réflexives (observation réfléchie et conceptualisation abstraite). En effet, réfléchir sur son expérience et savoir prendre du recul ne sont pas des pratiques « allant de soi ». Cela suppose que l’apprenant devienne un praticien réflexif en se posant des questions sur sa manière d’agir, en se prenant pour son propre objet de réflexion. Dans cette pratique réflexive, l’apprenant doit à la fois être critique, en objectivant son expérience, et constructif. C’est là aussi où le référent, mais aussi le collectif peuvent jouer un rôle d’accompagnement dans cette démarche d’investigation. En pratique, ces acteurs questionnent la pratique et l’expérience de l’apprenant, lui prodiguent des conseils, lui expliquent d’autres manières possibles de faire et peuvent permettre à l’apprenant de lever le voile sur ses savoirs tacites et non conscients.
- La troisième condition est de laisser progressivement l’apprenant s’affranchir des conseils prodigués par son référent (manager, tuteur…) pour créer ses propres règles (expérimentation active). Cela rejoint l’espace d’autonomie laissée à un apprenant dans la phase d’expérience concrète. C’est à cette condition que l’apprenant « devient soi », qu’il forge ses compétences, construit son répertoire d’actions et développe progressivement son expertise.
Le rôle pédagogique du centre de formation est primordial.
Pour conclure, et parce que l’alternance est un appareillage de formation alliant expérience de terrain et enseignements en centre de formation, le rôle pédagogique de ce dernier est primordial dans l’apprentissage expérientiel. Le centre de formation a en effet sa part à jouer dans le travail de métacognition conduit lors des phases réflexives. Par des séquences pédagogiques dédiées (atelier d’écriture, théâtre…), à distance de l’expérience, il peut aider l’apprenant dans ses prises de conscience et lui montrer encore d’autres manières de faire.
Ces séquences pédagogiques, que certains qualifient d’activité didactique d’explicitation, sont aussi une excellente occasion d’opérer une reliance entre pratique et savoirs. Et lever le principal écueil reproché à l’alternance : l’absence de lien école — entreprise.