Autisme : « Élargir le programme Aspie-Friendly à tous les établissements »
Par Marine Dessaux | Le | Rse - développement durable
Un enseignement supérieur plus accueillant pour les étudiants présentant des troubles du spectre de l’autisme : c’est la promesse du réseau Aspie-Friendly, coordonné par l’ancien président de l’Université Toulouse 3 Paul Sabatier, Bertrand Monthubert. Dans les 25 établissements membres du réseau, ces profils sont désormais mieux accompagnés et au centre de diverses initiatives. Bilan à mi-parcours.
Améliorer l’inclusion des étudiants présentant des troubles du spectre de l’autisme (TSA), également surnommés « Aspies » c’est l’ambition du programme « Construire une université Aspie-Friendly ».
Soutenue par le Programme d’investissements d’avenir 3 dans le cadre de l’appel à projets « Nouveaux cursus à l’Université » (AAP NCU), cette initiative est lancée en 2018 par l’Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées, porteuse du projet au niveau national, et 16 autres établissements d’ESR. Elle bénéficie d’un financement initial de 5 millions d’euros.
Aspie-Friendly est également retenue dans le cadre de la stratégie nationale pour l’autisme 2018-2022 portée par Sophie Cluzel, alors secrétaire d’État en charge des personnes handicapées.
Quatre ans plus tard, de nombreux établissements ont rejoint le mouvement et le déploiement du programme s’approfondit. Bertrand Monthubert, coordinateur d’Aspie-Friendly, retrace les grandes avancées du projet.
Cinq ans après le lancement d’Aspie-Friendly, quel bilan ?
Bertrand Monthubert : Plusieurs établissements nous ont rejoints au fil des années, ils sont plus de 25 aujourd’hui. Nous avons dépassé la phase d’expérimentation et travaillons désormais à modéliser l’accompagnement de ces nouveaux membres.
Nous sommes confrontés à une problématique de double élargissement : du nombre d’établissements et aux autres troubles du neurodéveloppement (TND), en commençant par les plus répandus parmi les étudiants autistes : les Dys et le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).
Une nouvelle étape attend donc Aspie-Friendly qui va plus loin avec les universités de Montpellier 3 Paul Valery, Perpignan, Angers, Tours et Lyon 1 depuis l’automne. Un nouveau volet qui bénéficie d’un financement de 500000 euros de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.
Une charte Aspie-Friendly présentée le 20 avril devant France Universités.
L’un de nos objectifs étant d’élargir le programme à tous les établissements, nous avons rédigé une charte Aspie-Friendly qui sera présentée le 20 avril devant France Universités. Une façon pour les établissements de signaler leur engagement pour les personnes qui présentent un trouble du spectre de l’autisme. Nous travaillons à établir par la suite un label qui permettra de certifier la mise en place de différentes initiatives. Seul exemple en Europe à ma connaissance, l’accréditation irlandaise As I am.
Plus loin à l’horizon, les financements de l’AAP NCU s’arrêtent en 2028. Pour poursuivre et encadrer nos actions, nous travaillons à la structuration au niveau national d’un institut.
Quelle forme prend la formation des personnels et des enseignants ?
La formation est une étape essentielle qui prend plusieurs formes. La sensibilisation de base, d’abord, qui permet de comprendre ce qu’est l’autisme. Elle concerne tous les acteurs de l’enseignement supérieur : étudiants, enseignants comme personnels administratifs. Vient ensuite la formation sur nos outils, destinée aux acteurs de la mise en œuvre d’Aspie-Friendly dans les établissements.
Nous organisons également des webinaires ouverts à tous autour de dix courts métrages que nous avons réalisés. À cette occasion, les animateurs vont échanger avec les participants, évoquer des situations, répondre aux problématiques.
Quel est le plus gros chantier pour un meilleur accompagnement des étudiants qui présentent un TSA ?
Une fois les personnes formées, il faut pouvoir travailler à la recherche des solutions personnalisées les plus pertinentes. Il faut aller au-delà des réponses compensatoires générales comme la mise en place de tiers temps ou de preneurs de notes. Le besoin peut être plus spécifique et nécessite de poser des questions relatives aux caractéristiques autistiques directement aux étudiants concernés. Cela permet de faire émerger des difficultés dont nous n’avions pas conscience. Ces échanges révèlent des besoins très variés : pouvoir accéder à un casque antibruit, recevoir les documents d’un cours à l’avance, etc.
Mais il est aussi important de travailler l’accessibilité, donc mettre en place des initiatives qui auront un impact positif pour tous. Par exemple, quand on travaille sur la forme d’un sujet d’examen pour éliminer ce qui est implicite, on améliore la réussite de tous.
Quand on fait évoluer l’environnement, on peut diminuer voire éliminer la situation de handicap
Surtout, il faut bien faire comprendre que le handicap, d’une manière générale, est lié à un contexte, un environnement qui change : ce n’est pas seulement lié aux caractéristiques d’une personne. Ainsi, quand on fait évoluer l’environnement, on peut diminuer voire éliminer la situation de handicap.
Un environnement notamment numérique…
Effectivement, sans numérique, il n’y aura pas d’accessibilité complète à l’enseignement supérieur, car la diversité des apprenants occasionne des besoins très divers, une individualisation que seul le numérique permet. Nous travaillons également sur des outils en ligne qui permettent d’aider les étudiants, notamment un jeu sérieux pour découvrir le fonctionnement d’une université.
L’accessibilité numérique est un vrai chantier
Un thème Moodle dont l’affichage prend en compte les problématiques renseignées par les étudiants présentant un TSA a également été conçu. Enfin, nous avons créé un habillage pour l’outil de production de supports Scenari, qui permet de choisir une apparence individualisée.
L’accessibilité numérique est un vrai chantier, le problème étant que les normes actuelles ne prennent pas en compte les besoins concernant l’autisme.
Un des axes du programme Aspie-Friendly est le développement d’innovations pédagogiques. Des exemples ?
Nous travaillons sur la manière de répondre à ce grand défi : l’autisme est « une autre intelligence », pour reprendre le titre d’un livre d’un spécialiste de l’autisme. Pour les enseignants nous avons donc créé un kit pédagogique.
Mais nous développons des activités pédagogiques spécifiques pour aller plus loin, grâce à des ateliers pédagogiques où des collègues enseignants ou ingénieurs pédagogiques viennent approfondir les différentes thématiques pédagogiques afin de produire des recommandations les plus adaptées.
L’impact va dépasser très largement ces profils pour faciliter l’expérience de tous les étudiants.
Par exemple, nous travaillons sur les énoncés d’évaluation qui ne sont pas toujours suffisamment intelligibles ou ne permettent pas de comprendre les attendus.
C’est pourquoi nous voulons développer des modèles pour faciliter leur formulation, de façon à ce que les personnes présentant un trouble du spectre de l’autisme comprennent bien le type de réponses à fournir. Un chantier dont l’impact va dépasser très largement ces profils pour faciliter l’expérience de tous les étudiants.
À l’Université de Toulouse, l’association La Bulle rassemble des étudiants « aspies ». D’autres associations de ce type se développent-elles ailleurs ?
On retrouve ce type d’association dans les universités d’Amiens, de Grenoble ou encore Marseille. Les Aspies ont plus de difficultés avec les interactions sociales et sont souvent isolés. Ces initiatives sont de vrais leviers pour bâtir des liens. Cela permet de partager des expériences communes et de mettre en place des actions d’entraide.
Il s’agit d’interlocuteurs avec lesquels nous travaillons beaucoup pour mettre en place nos actions. Et avec le Centre de ressources autisme Midi-Pyrénées, certains sont même devenus formateurs dans le cadre d’un programme d’éducation thérapeutique afin de faire comprendre aux personnes nouvellement diagnostiquées ce qu’est l’autisme et comment bien vivre avec.
Comment est né votre engagement pour ce projet ?
Je suis concerné par les troubles du neurodéveloppement dans ma vie familiale, c’est donc une thématique qui me parle tout particulièrement.
Mais ma prise de fonctions en tant que coordinateur du réseau « Construire une université Aspie-Friendly » est avant tout la suite logique de mon engagement de longue date sur les questions d’inclusion.
De 2014 à 2017, en tant que président d’université puis comme conseiller spécial au cabinet de Thierry Mandon, alors secrétaire d’État à l’ESR, j’ai travaillé sur la création et la mise en place de la stratégie nationale pour l’enseignement supérieur, et j’ai été conduit à travailler sur la fin du troisième plan autisme, qui a débouché sur la création de la stratégie nationale pour l’autisme et les TND. Aspie-Friendly est né de ces travaux.
Comment les universités rejoignent-elles le réseau ? Les grandes écoles peuvent-elles également vous solliciter ?
Oui. Des écoles font déjà partie d’Aspie-Friendly avec, concrètement, des étudiants à accompagner. L’Insa Toulouse par exemple qui fait partie de la Comue de Toulouse ou encore AgroParisTech à Saclay. Nous avons aussi des Instituts d’administration des entreprises (IAE).
Nous allons organiser un webinaire pour les établissements qui souhaitent nous rejoindre le 15 mai à 13 h, mais il est d’ores et déjà possible de nous joindre via le formulaire de contact sur notre site.