« Poser pour la liberté » : ils sont les 51 visages du programme Pause
Par Marine Dessaux | Le | Rse - développement durable
Ils sont 51 femmes et hommes, principalement des chercheurs en exil mais aussi accueillants : ces lauréats du programme d’accueil Pause et personnels impliqués dans le dispositif français, ont été immortalisés dans le cadre du projet Restrica. Il a donné naissance à l’exposition « Poser pour la liberté », menée par l’enseignante-chercheuse Pascale Laborier et le photographe Pierre-Jérôme Adjedj. Campus Matin revient avec eux sur les échanges et les portraits qui les ont marqués.
Le projet Restrica
Restrica est né en 2018. Ce projet a été financé grâce à une petite partie de l’enveloppe destinée au projet Liberade, soumis à la Comue Paris Lumières par une équipe de chercheurs de l’Université Paris Nanterre et Paris 8. « Sans cette recherche de plus grande envergure, jamais Restrica n’aurait été financé. Et pourtant, ça a été particulièrement enrichissant de travailler en collaboration avec un artiste, cela apporte une dimension supplémentaire », raconte Pascale Laborier, professeure en science politique qui a participé à créer le Programme d’accueil en urgence des scientifiques en exil (Pause).
L’exposition qui en découle, « Poser pour la liberté », a été réalisée de toutes pièces par l’enseignante-chercheuse et le photographe Pierre-Jérôme Adjedj, avec l’aide de Amaryllis Quezada, coordinatrice de Pause. Le concept est simple : réaliser le portrait d’une personne impliquée dans Pause - lauréat ou personnel accompagnant - en le mélangeant avec des photos et objets significatifs pour elle. La réalisation est en revanche plus complexe ; c’est avec un jeu délicat de miroirs que la superposition des images est atteinte en une seule prise de vue, sans photomontage.
Ces objets qui racontent une histoire
Dans tous ces portraits, les objets, les photographies ou encore les textes occupent une place importante, allant parfois jusqu’à prendre le dessus sur la personne. Choisis sans contrainte, chacun raconte une histoire.
« Certains chercheurs n’utilisaient pas leur objet de recherche. L’un d’entre eux a choisi la tour Eiffel, ce qui peut sembler générique, mais avait un sens. Ce chercheur est arrivé à Paris, la ville des lumières, dans une situation de grande pauvreté. Et il s’est rendu compte qu’il n’était pas toujours le bienvenu », rapporte Pascale Laborier.
Le casque de réalité virtuelle, qui est en lien avec le sujet de recherche d’un doctorant, le trousseau de clés d’un appartement dans un pays où un chercheur ne peut plus retourner, la cassette avec l’enregistrement d’un chœur de prisonniers dans un camp chilien … Il n’est pas toujours possible de décrypter le sens de ces fragments de mémoire. « Mais leur présence exprime toujours quelque chose. Ces éléments intriguent, posent une question », explique Pierre-Jérôme Adjedj.
Des chercheurs en exil comme des accueillants
Au cœur de l’exposition Restrica, des portraits de chercheurs en exil, comme d’universitaires en position d’accueillants.
« Cela aurait été très bizarre d’exclure les accueillants de ce projet, la recherche c’est une communauté. L’invitation dans les universités passe par eux », dit Pascale Laborier.
Ainsi, le protocole pour prendre les photos est le même pour les deux profils. Et comme beaucoup d’accueillants sont passés par l’étranger, les indices participent à complexifier la distinction.
« Souvent, les gens s’imaginent qu’avec Pause, les chercheurs n’ont qu’à candidater au programme et, qu’ensuite, ils se débrouillent. Mais en réalité, il y a un accompagnement régulier. Il y a un côté humain à l’accueil. Les accueillants, qui souvent ont des profils internationaux, savent ce que c’est que de se retrouver dans un nouvel univers. »
L’histoire du portrait de Levent Yilmaz, professeur d’Histoire contraint de quitter la Turquie
Levent Yilmaz est le seul participant à Restrica qui ait été photographié à deux reprises ! Ce professeur d’Histoire intellectuelle et culturelle, qui a fui la purge universitaire en Turquie, a été accueilli à l’Université Paris Nanterre pour l’année 2019/2020. Au début du projet Restrica, cependant, il n’a que le statut de professeur invité classique. Il avait été accueilli auparavant à l’EHESS et au Collège de France.
Néanmoins, il évolue pour un mois au sein du même établissement que Pascale Laborier, là où se font les séances photographiques de Pierre-Jérôme Adjedj, et s’avère donc facile à joindre pour la première séance improvisée.
Au retour d’un voyage à New-York, il est interpelé par Pascale Laborier pour la séance. « À ce moment-là, il s’apprêtait à repartir dès le lendemain, il n’avait aucun objet pour la séance, pas même un de ses livres ! Il a dû en prendre un dans mon bureau. Cette séance a été un premier essai qui n’a pas été gardé. Néanmoins, ce portrait d’un chercheur en transit, sans ses livres, dit quelque chose », se remémore-t-elle.
Pierre-Jérôme Adjedj se rappelle lui son premier rodage technique. « Il y a eu une évolution dans la façon de faire, dans le rapport avec les personnes photographiées. Il fallait que je comprenne les enjeux. Au début, je pensais faire des appels en visioconférence pour préparer les séances et puis on a décidé de tout faire sur le moment. Imprimer les photos que chacun envoie, positionner les objets choisis, les miroirs… Cela prend du temps mais permet de mettre en place une sorte de rituel, qui crée l’échange. »
Deuxième portrait, deuxième message
Pour l’exposition, un nouveau portrait de Levent Yilmaz a donc été tiré. Une deuxième séance plus détendue. « Techniquement, je n’étais pas au même niveau de maîtrise du dispositif, indique Pierre-Jérôme Adjedj. À la première séance, il m’a fallu porter plus d’attention à l’agencement des objets. Cette fois-ci, je connaissais déjà un peu Levent, nous nous sommes beaucoup amusés. Le dispositif peut être pesant, mais si l’ambiance est bonne, le moment devient très ludique. »
Le professeur a choisi deux éléments pour figurer dans son portrait : un texte, qu’il préparait pour la soirée Science et Art en exil, organisée par Pause le 2 octobre 2019 à la Gaîté Lyrique pour annoncer l’ouverture du programme aux artistes en exil, et une photo de la Turquie.
« On dirait une photo un peu ‘gag’ avec un pigeon mais en fait il s’agit d’une cabine téléphonique », explique le photographe.
L’histoire du portrait d’Omar Mohammed, le professeur recherché par Daech
Il a dénoncé les agissements de Daech dans son blog anonyme « Mosul Eye » avant d’être contraint à l’exil pour sa propre sécurité : l’historien Omar Mohammed porte lui aussi un lourd passé. Récemment, il racontait son arrivée en France et son intégration en tant que lauréat Pause à Campus Matin.
Si aujourd’hui son quotidien est stabilisé et qu’il ne craint plus constamment pour sa vie, Restrica a immortalisé une période où il était encore très marqué par son vécu.
« La photo a été prise début 2019, se remémore Pascale Laborier. On y lit quelque chose de la terreur d’Omar, alors qu’il revenait de Mossoul où il a assisté à des scènes terribles. »
Pierre-Jérôme Adjedj se souvient de leur échange : « La séance était détendue, mais la photo fixe quelque chose. Au moment d’appuyer sur le déclencheur, la personne se retrouve au cœur d’un dispositif qui est constitué d’éléments de son histoire. Comme on fait plusieurs essais, il a pu voir ce que ça allait donner. Ce qui contribue à faire ressortir des expressions, des émotions ».
L’histoire du portrait de Liora Israël, accueillante dont la famille a connu l’exil
Liora Israel est directrice d’études de l'EHESS et accueillante Pause. Sa mère, elle aussi connait une forme d’exil alors qu’elle doit quitter l’Algérie. Un fragment de son histoire familiale qu’elle représente par un bracelet aux deux têtes de serpent, visible dans son portrait.
L’autre élément qui ressort particulièrement de cette photographie, c’est le bâtiment qui s’affiche en transparence. Il s’agit de la Maison des Sciences de l’Homme où se trouve le siège de l’EHESS. Une référence au programme d’accueil, « Exilés », qui prit forme avant Pause au sein de l’école, en 2015.
« Ce bâtiment (…) ouvrit ses portes à ces nouveaux étudiants, renouant avec la tradition qui l’avait vu accueillir des élèves ou des collègues venus d’Amérique Latine, d’Afrique ou d’Europe de l’Est au fil des dictatures », explique-t-elle dans un texte rédigé pour le hors-série Hommes & Migrations dédié à Restrica.
Dans cet établissement, le programme est remplacé par Pause en janvier 2017, qu’elle participe à créer. Aujourd’hui encore, Liora se bat pour l’accueil des chercheurs en exil.
« Il y a un vrai rôle d’accueil des lauréats Pause, explique Pascale Laborier. Liora est engagée dans l’aspect pratique de l’accueil de personnes. Plus généralement pour nos universités, le défi est celui du marché du travail académique, ce n’est pas le marché du travail ordinaire. Les maquettes de cours sont construites sur quatre ans alors, pour accueillir quelqu’un rapidement, il faut une imagination débordante et réussir à trouver des bouts de chandelles pour réunir un salaire d’un an. »