Vie des campus

Responsabilité sociétale : le supérieur essaie de combler son retard

Par Isabelle Cormaty | Le | Rse - développement durable

Réflexion longtemps cantonnée aux entreprises, la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux dans les établissements du supérieur est assez récente. Elle a été notamment impulsée par les grèves pour le climat et le rapport Jouzel.

Campus Matin et l’Arces ont interviewé une série d’acteurs du supérieur et de la RSE. - © Unsplash
Campus Matin et l’Arces ont interviewé une série d’acteurs du supérieur et de la RSE. - © Unsplash

Rapport après rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) ne cesse de sonner l’alarme face à l’urgence climatique. Dans ce contexte, comment s’implique l’écosystème de l’enseignement supérieur ? 

Après deux ans de concertations avec les acteurs du secteur, le paléoclimatologue Jean Jouzel a remis le 16 mars dernier à la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation un rapport majeur sur la sensibilisation et la formation aux enjeux de la transition écologique dans le sup'. 

Comment se positionnent les établissements sur le sujet ? Pour esquisser quelques pistes, Campus Matin a réalisé une série d’interviews vidéos d’acteurs du supérieur, en partenariat avec l’Association des responsables de communication de l’enseignement supérieur (Arces), en amont du colloque de l’association sur la communication responsable les 2 et 3 juin à La Rochelle.

Une prise de position récente des établissements

« Les universités ont 40 ans de retard par rapport aux entreprises. » Voilà le constat que dresse la professeure de management Isabelle Barth quand elle évoque la prise en compte des sujets de responsabilité sociale (RSE) dans le supérieur.

Gérald Majou, chargé de mission RSE et politique régionale à la Conférence des grandes écoles (CGE) retrace l’émergence des enjeux sociaux et environnementaux. « Les premiers soubresauts datent de 2003 : la première charte du développement durable est actée au niveau des grandes écoles. En 2009 se tient le Grenelle de l’environnement qui engage les universités, les écoles. Les établissements apprennent à ce moment-là à travailler ensemble, avec les ministères et les associations étudiantes », raconte-t-il.

Marie Stadge a réalisé une thèse sur l’institutionnalisation de la responsabilité sociétale des universités. - © D.R.
Marie Stadge a réalisé une thèse sur l’institutionnalisation de la responsabilité sociétale des universités. - © D.R.

« En 2015, la COP 21 a donné lieu à une impulsion, mais pas assez forte. Les établissements s’engagent, mais toujours à bas bruit », ajoute le chargé de mission de la CGE.

Marie Stadge, attachée temporaire d’enseignement et de recherche à l’école de commerce EM Strasbourg remarque une évolution récente. Ces derniers temps, « les universités adoptent de plus en plus une approche semblable à celle développée dans les entreprises », d’après elle. 

La chercheuse a soutenu une thèse sur l’institutionnalisation de la responsabilité sociétale des universités (RSU). « L’objectif était de voir quels étaient les leviers pour une meilleure intégration du développement durable par les universités à la fois dans leurs missions d’enseignement et de recherche, mais aussi dans leur fonctionnement », détaille-t-elle.

Les étudiants, moteurs du changement

La mobilisation forte des étudiants ces trois dernières années a forcé les pouvoirs publics à réagir. « Les grèves pour le climat organisées par les associations étudiantes ont secoué les ministères et ont débouché à la création du groupe de travail présidé par Jean Jouzel », précise Gérald Majou.

Pia Benguigui préside le Reses depuis 2020. - © D.R.
Pia Benguigui préside le Reses depuis 2020. - © D.R.

« Les grèves pour le climat ont beaucoup mobilisé les jeunes depuis 2019. Il y a une prise de conscience grandissante des étudiants. 85 % d’entre eux s’estiment inquiets voire angoissés pour leur avenir au regard du changement climatique », rappelle Pia Benguigui, la présidente du Réseau étudiant pour une société écologique et solidaire qui regroupe 150 associations étudiantes engagées sur les enjeux sociaux environnementaux.

« La volonté d’entendre la parole étudiante a débouché sur l’Accord de Grenoble dont la plupart des établissements sont signataires », complète Magali Jaouen, vice-présidente politique de site de CY Cergy Paris Université. Ce texte engage les établissements à prendre des mesures pour intégrer les enjeux de la transition socioécologique dans leurs programmes et sur leurs campus.

Magali Jaouen invite à prendre en compte les attentes des étudiants dans la politique des écoles et universités. « Nous devons renforcer la démocratie dans les établissements et donner plus de poids à la parole étudiante », insiste-t-elle.

L’ESR, un écosystème particulier

Isabelle Barth est professeure des universités. - © Twitter
Isabelle Barth est professeure des universités. - © Twitter

Le rapport Jouzel recommande notamment de former aux enjeux de transition écologique 100 % des étudiants de niveau Bac+2. Mais faut-il inclure la formation à ces enjeux dans tous les enseignements ou y consacrer des cours dédiés ? Et comment enseigner ces enjeux ?

Autant de questions qui se heurtent à la liberté académique des enseignants, souligne la professeure des universités en management à l'Université de Strasbourg, Isabelle Barth. Cela peut donc compliquer la mise en place d’actions liées à la RSU.

« Les enseignants-chercheurs au nom de la liberté académique ont toujours eu tendance à penser qu’ils étaient dans une bulle qui les protégeait de la société », avance-t-elle. 

À cela s’ajoute une autre particularité de l’écosystème de l’enseignement supérieur : l'autonomie des établissements. La prise en compte des enjeux RSU reste donc très dépendante de leurs dirigeants et dirigeantes. 

Pour ceux qui veulent initier un mouvement et disposer de levier, des outils spécifiques existent. « Une trentaine d’établissements sont labellisés DD&RS. Il s’agit d’un label exigeant, qu’il ne faut pas voir comme une finalité », conclut Gérald Majou.

Quel rôle pour la communication ?

Avant le colloque de l’Arces qui se penchera sur les enjeux de la communication responsable, Campus Matin a interrogé ses invités sur la fonction de la com'. Pour Marie Stadge« la communication peut valoriser des actions qui vont dans le sens de la résolution des problématiques sociétales. Elle peut soutenir les équipes de direction pour établir des plans stratégiques et embarquer tout le monde, en interne, comme en externe. »

Toutefois, gare au greenwashing ! « La communication est une arme à double tranchant, rappelle Gérald Majou. Quand on communique sur ce que l’on fait avec une approche de communication responsable, on est un moteur puissant. Si on communique un peu trop tôt, on tombe très rapidement dans le greenwashing. La frontière est compliquée, c’est une ligne de crête entre la réalité. »