À quelques semaines de l’élection présidentielle, les organisations étudiantes appellent le gouvernement, les politiques et les établissements du supérieur à se saisir du rapport Jouzel et à mettre en place des mesures concrètes pour prendre en compte les enjeux de transition écologique dans l’ESR.
Il a enfin été rendu public ! Après deux ans de concertations, le groupe de travail présidé par le paléoclimatologue Jean Jouzel a remis le 16 février dernier son rapport à la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal.
Intitulé « Sensibiliser et former aux enjeux de la transition écologique et du développement durable dans l’enseignement supérieur »,
ce document
d’une centaine de pages préconise notamment de former aux enjeux de transition écologique 100 % des étudiants de niveau Bac+2, quel que soit leur cursus, d’ici cinq ans.
Une recommandation partagée par la plupart des participants à ce groupe de travail : représentants des établissements d’enseignement supérieur, employeurs, enseignants-chercheurs et chercheurs. Quatre organisations étudiantes pointent toutefois la lenteur de la mobilisation gouvernementale sur ce sujet.
« Trois ans après le constat, le signal de la mise en mouvement de la communauté éducative se fait toujours attendre. Pour un réveil écologique, la Fage, le Reses et l’Unef appellent le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation à passer des discours à l’action », déclarent-elles dans un communiqué commun diffusé le 18 février.
Quelles suites possibles dans le contexte présidentiel ?
Mais à quelques semaines de l’élection présidentielle, l’incertitude demeure sur les suites que le gouvernement pourra donner au rapport Jouzel, d’autant que les questions écologiques sont quasiment absentes des débats.
« Nous considérons que l’écologie et l’ESR doivent être une priorité du prochain quinquennat. Le Reses se mobilise pour que ces thèmes soient présents dans cette campagne présidentielle. Nous sommes allés à la rencontre des candidats et candidates à l’élection pour porter nos propositions », insiste CoralieRasoahaingo, responsable plaidoyer du Réseau étudiant pour une société écologique et solidaire (Reses).
Dans une interview accordée à News Tank (abonnés) le 16 février, le président du groupe de travail, Jean Jouzel formule un souhait : « Qu’une conférence puisse être organisée avant l’été, avec l’ensemble des parties prenantes, car il s’agit d’embarquer tout le monde : puissance publique, établissements, enseignants, étudiants, etc. Et si Frédérique Vidal n’avait pas la possibilité de le faire, il faudrait que le futur ministre prenne cela à son compte. Nous prendrons rendez-vous avec elle ou lui. »
Une prise de conscience dans les établissements
Les organisations étudiantes appellent le gouvernement, mais aussi les établissements, « à suivre une stratégie opérationnelle d’accompagnement et de financement de la transformation pédagogique et organisationnelle pour toutes les formations ».
« Certaines universités ont commencé à prendre des initiatives de manière indépendante, mais il n’y a pas de véritable dynamique nationale », regrette Louis Octobon, vice-président en charge de la transition écologique de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage).
Il cite par exemple l’initiative de l'Université Paris Saclay qui a mis en place « un volet de formation à destination des étudiants en licence pour enseigner la transition écologique sous le prisme de chacune des formations ».
Le Reses salue la prise de conscience des conférences d’établissements sur le sujet de la transition écologique, mais déplore que les initiatives soient parfois cantonnées à des démarches individuelles.
« Il y a beaucoup de personnes volontaires au sein des établissements. De nombreux enseignants-chercheurs s’impliquent de manière militante et bénévole parce que cela leur tient à cœur. Mais il est parfois compliqué de faire bouger l’ensemble des personnels, les administratifs et les équipes pédagogiques. Il y a des niveaux d’avancements différents entre les établissements. Au regard de l’urgence, cela reste assez lent », déclare la responsable plaidoyer du Reses.
Des actions prévues dans les prochains mois
En attendant que le gouvernement et les établissements s’engagent avec des mesures concrètes pour la transition écologique, les associations étudiantes comptent se mobiliser auprès des étudiants. « Il va y avoir une vulgarisation de ce rapport qui est destiné aux étudiants, aux universités et aux autorités publiques. Tous les acteurs de la communauté universitaire peuvent le prendre en main et nous allons accompagner les élus étudiants et les fédérations adhérentes de la Fage », précise Louis Octobon.
« Nous avons pour ambition de vulgariser les points saillants du rapport Jouzel qui nous semblent réutilisables pour les étudiants », complète la responsable plaidoyer du Reses.
Le réseau cherche aussi à renforcer ces liens avec la Conférence nationale des étudiants vice-présidents d’université (CEVPU). « Nous souhaitons former les vice-présidents étudiants aux enjeux de transition écologique pour qu’ils puissent porter des recommandations du rapport Jouzel auprès des gouvernances », ajoute-t-elle.
Le Reses a publié en décembre un kit expliquant aux étudiants comment argumenter auprès de leur établissement. « Beaucoup d’étudiants très motivés ne comprennent pas la gouvernance des établissements. Nous leur donnons donc des clés pour savoir comment fonctionne une université et à qui s’adresser pour exprimer leurs revendications. Nous allons également accompagner les associations de notre réseau dans des démarches de plaidoyer », détaille Coralie Rasoahaingo.
Les recommandations du rapport Jouzel
Faire évoluer toutes les formations de l’enseignement supérieur
Cela passera par :
l’intégration des questions de transition écologique dans les enseignements déjà existants ;
des enseignements spécifiques en complément ;
le fait que la contribution à la transition écologique deviendra un critère d’évaluation dans les propositions de projet ou de stage ;
l’inscription de la formation dans l’enseignement supérieur dans la continuité des acquis des cycles scolaires du primaire et du secondaire.
Si toutes les formations ont vocation à prendre en compte la transition écologique, le groupe de travail recommande de prioriser le niveau Bac+2. L’objectif est de former 100 % des étudiants de niveau Bac+2, quel que soit leur cursus, d’ici 5 ans.
Faire évoluer toutes les formations de l’enseignement supérieur
Le groupe de travail propose des modalités permettant aux Inspé et aux masters Meef de jouer un rôle essentiel dans la formation des futurs enseignants à la transition écologique. Leur effort sera accompagné d’une révision des modalités des concours de recrutement des enseignants du primaire et du secondaire.
Des missions d’animation et d’accompagnement pédagogique seront créées à l’échelle des établissements ou des sites, comme à l’échelle nationale
Pilotage et accompagnement par les autorités publiques
Le rapport propose :
de renforcer l’action de l'État par l’expression d’orientations fortes et une coordination interministérielle, qui pourrait être animée par la Dgesip ;
que les ministère de tutelles des établissements du supérieur s’assurent de la systématisation de la référence à la transition écologique dans les contrats avec les opérateurs ainsi que dans les contrats de sites (pour les EPSCP, le Mesri veillera à ce que soit explicité dans les COM) ;
de renforcer le DSG et d’y intégrer un volet dédié à l’accompagnement de cette transformation rapide de l’offre de formations supérieures ;
un relèvement des plafonds d’emploi et de la masse salariale des établissements afin de renforcer les équipes ;
que l'État accentue la mobilisation des moyens du PIA pour accompagner les transformations d’ampleur nécessaires et soutenir l’ensemble des acteurs et en corollaire, un outil de financement de projets plus modestes sera proposé.
Pilotage et accompagnement par les autorités publiques
Le groupe de travail recommande également la création :
d’un fonds pour soutenir la collaboration régionale entre l’enseignement supérieur et la société au travers de projets, stages ou prestations liés à la transition écologique des collectivités territoriales, des entreprises et des associations ;
d’un point d’information national dédié aux opportunités de financement et d’accompagnement de l’évolution des formations.
Accélérer et renforcer l’implication des établissements d’enseignement supérieur
La démarche d’intégration de la transition écologique relève de la responsabilité de tous les acteurs de l’enseignement supérieur, sous l’impulsion de la gouvernance des établissements au plus haut niveau.
Elle reposera sur une organisation spécifique et pérenne : vice-présidence, mission rattachée à la direction ou directeur général des services adjoint dédié, en liaison avec les référents DD&RS au sein des composantes. Elle s’appuiera sur la concertation entre enseignants-chercheurs, personnels et étudiants.
Les établissements seront invités à participer aux programmes européens afin de saisir les opportunités structurantes et ambitieuses qu’ils offrent.
Le ministère valorisera auprès des responsables des classements nationaux et internationaux les politiques de transition écologique des établissements d’enseignement supérieur français.
Les données et indicateurs à même d’être utilisés par les organisations de classements nationaux et internationaux des établissements seront collectés et publiés.
Accélérer et renforcer l’implication des établissements d’enseignement supérieur
Le groupe de travail appelle les établissements à utiliser le référentiel DD&RS comme un outil d’auto-évaluation, et à envisager la labellisation DD&RS. Il ajoute que :
une nouvelle offre de formation continue certifiante doit être proposée à tous les citoyens, y compris en entreprise ou dans la fonction publique, sur la base du socle commun défini pour le niveau bac+2 ;
le Mesri et les conférences d’établissement collaboreront avec les ministères concernés, les branches professionnelles et France Compétences pour valoriser les compétences relatives à la transition écologique auprès des entreprises ;
le Mesri, en collaboration avec le ministère chargé du travail, de l’emploi et de l’insertion, pourra élaborer un accord-cadre avec Pôle Emploi pour définir les modalités d’accès et de financement des demandeurs d’emploi à cette formation certifiante à la transition écologique.
Favoriser la mobilisation des personnels du supérieur
L’engagement des établissements dans cette démarche de transition suppose la mobilisation de l’ensemble de leurs personnels. Le groupe de travail recommande :
d'épauler l’autoformation par un accès facilité aux ressources pédagogiques et par des ingénieurs pédagogiques dédiés ;
l’adaptation des plannings pour favoriser la participation aux échanges et la prise en compte de ce temps dans leur charge de service ;
de proposer des formations dans le cadre du plan de formation continue des salariés des établissements ou par les réseaux disciplinaires ;
l’ajout d’une rubrique dédiée dans les documents des procédures relatives à la qualification, aux recrutements, à l’évaluation individuelle quinquennale et à l’avancement de grade pour favoriser la prise en compte des efforts accomplis par les personnels ;
de reconnaître le temps consacré à faire évoluer les enseignements, les maquettes et les offres, en décomptant ces activités dans la charge de service statutaire et en donnant les moyens aux établissements de compenser ce temps ;
de renforcer le soutien administratif, pédagogique et technique de proximité des équipes pédagogiques ;
d’augmenter le nombre de congés pour projets pédagogiques pour accélérer les transformations nécessaires.
Favoriser la mobilisation des apprenants
Les apprenants et les alumni sont, pour l’évolution des formations face aux enjeux de la transition écologique, une force motrice majeure.
Le soutien aux initiatives des associations étudiantes en matière de transition écologique sera clairement éligible à la contribution à la vie étudiante et de campus (CVEC).
Des étudiants référents DD&RS au sein des établissements pourraient favoriser les projets portés par les étudiants et leurs associations, notamment au sein des promotions les plus nombreuses.
Conformément à la loi, l’engagement pro-actif des étudiants dans ces projets doit être mieux reconnu et valorisé.
L’organisation d’une Convention nationale des étudiants et étudiantes pour la Transition écologique sera soutenue par le Mesri et les ministères concernés.
Mise en place d’un dispositif d’animation du déploiement de la formation
Le rapport recommande donc la mise en place d’un dispositif d’animation du déploiement de la formation à la transition écologique. Doté des moyens financiers et humains nécessaires, il sera chargé :
d’animer les groupes d’experts chargés de décliner, à partir du socle commun, les référentiels de connaissances et de compétences par grandes filières de formation et de leur intégration dans les cadres réglementaires et les programmes nationaux ;
d’organiser les ressources pédagogiques, scientifiques et opérationnelles :
de jouer le rôle d’Observatoire de l’intégration des enjeux de la transition écologique ;
dans les formations supérieures, en publiant régulièrement des états d’avancement de cette dynamique, à l’aide d’un tableau de bord et d’analyses qualitatives ;
d’organiser une conférence annuelle des acteurs impliqués, pour favoriser le partage d’expériences et la montée en puissance collective, avec éventuellement des déclinaisons régionales ;
et de participer aux réseaux européens et internationaux sur ces enjeux.