Ce test veut devenir le Toeic du développement durable !
Par Pauline Tressols | Le | Rse - développement durable
Justifier du niveau des étudiants en matière de développement durable par un test, à la manière du Toeic pour l’anglais. C’est le projet initié par deux professeurs de Kedge Business School. Le Sustainability Literacy Test, ou Sulitest, permet aux établissements d’enseignement supérieur de mesurer les connaissances en soutenabilité de leurs étudiants, afin de les améliorer.
Humanité durable et écosystèmes sur la planète, systèmes mondiaux et locaux construits par l’homme, rôles à jouer pour créer et maintenir les changements systémiques, transitions vers la durabilité : tels sont les thèmes abordés dans le Sulitest.
Ce questionnaire à choix multiples en ligne comporte cinquante questions, sélectionnées dans une large base de données. Parmi elles, trente portent sur des enjeux internationaux ; les vingt suivantes sont spécifiques à certains objectifs du développement durable et adaptées à la zone géographique du participant. Une combinaison de questions qui propose un équilibre entre le problème et sa solution, et couvre toute l’étendue de la soutenabilité*.
À ce jour, le Sulitest, soutenu par les Nations Unies, est disponible dans cinquante pays et accessible en sept langues. 205986 utilisateurs l’ont déjà passé, d’après le compteur en temps réel du site internet de l’association, depuis sa création en 2014.
« À l’ONU, l’enseignement supérieur est absent des débats »
L’idée du Sulitest naît en 2012. Jean-Christophe Carteron assiste alors au Sommet de la Terre à Rio. « Quand on parle de l’éducation à l’ONU, il s’agit des écoles dans les pays émergents. L’enseignement supérieur est absent des débats », regrette-t-il
Le directeur de la responsabilité sociétale des entreprises à Kedge Business School remarque également « le faible niveau de connaissances des leaders politiques et économiques sur les grands enjeux du monde ».
Il en va de même pour les experts, en dehors de leur domaine : « Quelqu’un qui travaille sur le climat ou le handicap a peu de savoirs sur la biodiversité. »
Pourtant, « de nombreuses personnes tentent d’alerter et d’agir en faveur du développement durable. Le problème, c’est que leurs rapports, complexes, ne sont pas lus », constate Jean-Christophe Carteron.
À son retour du Brésil, lui et son collègue Aurélien Decamps, enseignant-chercheur à Kedge, s’interrogent : « Comment s’assurer que n’importe qui, quelle que soit sa formation, soit suffisamment équipé pour avoir conscience des défis du 21e siècle ? »
« Le Code de la route du développement durable »
La solution : vulgariser et condenser la masse d’informations disponible sur le sujet pour déployer une culture de la durabilité. À l’image d’un « code de la route » du développement durable. « Évidemment, ce n’est pas suffisant pour savoir conduire. Mais si tout le monde a les mêmes bases, c’est un bon début » affirme Aurélien Decamps. Et Jean-Christophe Carteron d’ajouter : « Nous n’avons pas la prétention de résoudre tous les problèmes de la Terre, mais nous pensons qu’une telle initiative manquait. »
Le constat des deux fondateurs du Sulitest est unanime :
« Quand l’économie s’est mondialisée, attester d’un certain niveau d’anglais est devenu obligatoire pour les diplômés d’université ou les personnels d’entreprises. À l’ère du numérique, il fallait un certificat digital. »
Il semble ainsi naturel que les organisations exigent des étudiants et collaborateurs une compréhension des enjeux de développement durable actuels.
Grâce au soutien de Kedge et son financement par le mécénat de compétences de la business school, l’association voit le jour. Une version pilote du test est créée et expérimentée par les étudiants de l’école.
Nous n’avons pas la prétention de résoudre tous les problèmes de la Terre, mais nous pensons qu’une telle initiative manquait.
L’épreuve leur est désormais imposée en début de cursus et, depuis deux ans, en fin de parcours, pour établir une « photographie » des connaissances au départ et à l’arrivée. « Cela permet de constater les progrès réalisés et ceux qu’il reste à faire. Cependant, ce n’est pas le score qui importe, mais le passage du test qui est obligatoire » précise Aurélien Decamps.
La majorité des utilisateurs viennent de l’enseignement supérieur
L’initiative s’étend progressivement à d’autres écoles et universités. « Plus de 1000 établissements sont inscrits sur la plateforme à travers le monde », note Aurélien Decamps. En France, HEC, Skema, l’Essec, GEM, EMLyon, Mines Paris (Université PSL), Polytech Nantes ou encore les universités Paris-Dauphine (PSL) et CY Cergy Paris Université s’en sont emparés.
Chargée de mission développement durable et désireuse d’inclure plus d’enseignements sur le sujet dans le supérieur, Émilie Gadoin, maîtresse de conférences à Polytech Nantes, découvre le Sulitest lors d’un atelier animé par Jean-Christophe Carteron.
Le concept la convainc : « Nos futurs ingénieurs s’apprêtent à mettre au point de nouveaux systèmes, de nouvelles solutions. Il est inconcevable qu’ils n’aient pas conscience des impacts de ce qu’ils vont proposer sur l’environnement et la société. »
Un outil de sensibilisation…
En plus d’introduire les concepts clés qui seront abordés au cours de la formation, le Sulitest est un outil de sensibilisation à l’étendue du domaine. « Le développement durable, ce n’est pas seulement éteindre la lumière ou mettre le papier dans la bonne corbeille, souligne Émilie Gadoin. Les thématiques sont vastes : égalité homme/femme, travail des enfants, responsabilité sociétale des entreprises, relations humaines… »
Les co-créateurs abondent :
« Quand un participant s’aperçoit qu’il est loin de tout savoir, le Sulitest lui donne envie d’en apprendre davantage ».
L’envie, et la possibilité, grâce aux explications et ressources mises à disposition après chaque question. L’objectif est donc d’éveiller l’intérêt des étudiants, et pourquoi pas celui du personnel ?
« Lors des passages du Sulitest par les élèves, j’ouvre aussi une session pour les enseignants et membres de l’administration. Chaque année, une vingtaine participent. Certains reviennent tous les ans, d’autres essayent par curiosité », explique Émilie Gadoin.
« Il n’est pas rare que les professeurs obtiennent de moins bons résultats que les étudiants », observe Jean-Christophe Carteron.
… et d’évaluation
Le Sulitest sert aussi à dresser un état des lieux des connaissances en développement durable des étudiants. En effet, « nous sommes démunis sur ce que savent ou non les nouvelles générations, constate Émilie Gadoin. Identifier leurs acquis permet de mieux cibler les enseignements ».
Un outil de diagnostic et un atout pédagogique qui permet d’adapter les formations, et de démontrer l’importance accordée à la soutenabilité dans un établissement.
« Avec le Sulitest, les écoles qui se disent engagées ou concernées par le développement durable sont à même de le prouver. Si tous les établissements d’enseignement supérieur s’engagent, je crois que nous aurons vraiment fait bouger les lignes », espère Jean-Christophe Carteron.
Enseigner la transition écologique dans le supérieur
Le 29 mars dernier, le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation a publié le rapport intermédiaire du groupe de travail « Enseigner la transition écologique dans le supérieur », présidé par le climatologue Jean Jouzel.
Partant du constat que « la transition écologique n’est enseignée que de façon marginale, quand elle l’est », la recommandation principale est la suivante : « Qu’à brève échéance, 100 % des étudiants sortant de l’enseignement supérieur en formation initiale aient été formés aux enjeux, voies et moyens de la transition écologique. »
Une étude prometteuse pour l’intégration de la durabilité dans l’enseignement supérieur, dont le référentiel de compétences est proche de celui de l’Unesco, selon Aurélien Decamps.
Le Sulitest en pratique
Émilie Gadoin souligne la facilité d’utilisation du test. Concrètement, l’établissement s’inscrit gratuitement sur le site internet et, une fois l’adhésion validée, dispose comme il l’entend de son espace sur la plateforme. La durée et les conditions de passage du Sulitest sont très variables.
« L’école organise ses sessions, invite ses étudiants et collecte ses résultats de façon autonome. Certaines universités font passer le test en amphithéâtre aux étudiants en une heure. Au Royaume-Uni, des cours sont organisés pour proposer des feedbacks question par question. À Kedge, nous laissons deux semaines aux élèves, pour leur laisser le temps de faire des recherches », détaille Aurélien Decamps.
À Polytech Nantes, le passage est prévu dans l’emploi du temps dès la rentrée. Une journée et demie est nécessaire pour tester 400 étudiants.
« Après une présentation de la philosophie du Sulitest, les élèves le passent généralement en trois quarts d’heure. Ils ont la possibilité de revenir plus tard pour accéder aux corrections des questions et aux explications », indique Émilie Gadoin.
À l’issue des sessions, les résultats sont anonymisés, envoyés à l’association et enregistrés dans une base de données pour réaliser un rapport annuel. Le « mapping » permet de suivre les tendances et les évolutions.
Les extensions du Sulitest
Deux outils s’ajoutent au test initial :
- Le quizz, une version ludique en équipe que Polytech Nantes projette d’utiliser ;
- Le looping, avec son principe de pédagogie inversée. Au lieu de trouver la bonne réponse, il faut ici produire la question, rédiger les propositions et expliciter la solution.
De plus, l’accès « premium » permet aux établissements de personnaliser les modules, en fonction de leurs disciplines et besoins spécifiques.
« Une vingtaine d’universités et trois entreprises (L’Oréal, La Banque postale et Onet) disposent de cet abonnement annuel », compte Aurélien Decamps.
De quoi générer des revenus pour l’association, bien que les créateurs entendent maintenir le Sulitest gratuit pour le laisser à la portée du plus grand nombre.
Vers une certification reconnue
Aujourd’hui, le Sulitest franchit une nouvelle étape :
« Nous envisageons de créer un outil obligatoire et certifiant, reconnu à l’international, au même titre que le Toiec en anglais, présage Jean-Christophe Carteron. Il pourra ainsi être valorisé par le candidat, mis sur son CV et LinkedIn, pour attester de son score en développement durable. Ce projet, financé par des investisseurs externes, est en cours d’élaboration. »
Avec ce changement d’échelle, le co-créateur du Sulitest prévoit d’embaucher de nouveaux rédacteurs, « capables de vulgariser des documents d’experts et de vérifier si les informations sont toujours à jour ».
L’objectif : se professionnaliser et étoffer le contenu de façon continue. « Nous voudrions également mesurer l’impact direct sur les étudiants, ainsi que l’impact systémique du Sulitest », poursuit Jean-Christophe Carteron. Difficulté toutefois : le test n’est pas encore identifié comme un outil de mesure exhaustif.
L’ambition du fondateur serait aussi d’étendre le Sulitest à l’enseignement primaire et secondaire.
*La soutenabilité, ou durabilité, qualifie le fait qu’un développement soit durable.