Confinement : visioconférence ou pas pour le recrutement des chercheurs et enseignants-chercheurs ?
Par Marine Dessaux | Le | Concours/recrutement
Si la visioconférence est déjà une option pour les candidats aux concours de chercheur et d’enseignant-chercheur, la mise en place de ce mode de recrutement pour l’ensemble des candidats, et l’organisation d’un jury, dans les conditions imposées par le confinement et les règles de distanciation, pose de nombreuses questions.
La visioconférence pour tous : une option envisageable ? Campus Matin a posé la question à une post-doctorante, deux chercheurs et un directeur de jury au CNRS.
Maude Beaudoin, post-doctorante
« Faire passer les entretiens depuis chez nous, pendant le confinement, cela ne fera que renforcer les inégalités entre les candidats »
Maude Beaudoin, post-doctorante en neuroscience et vacataire à l’université Lyon 1, se positionne « absolument contre » les entretiens de recrutement en visioconférence pour les chercheurs et enseignants-chercheurs. « Faire passer les entretiens depuis chez nous, pendant le confinement, cela ne fera que renforcer les inégalités entre les candidats. Il y a des personnes seules, confinées depuis 7 semaines chez elles et qui sont plus enclines à souffrir d’angoisse, de dépression. A l’inverse, il y a ceux qui, comme moi, sont confinés avec des enfants. Assurer la continuité pédagogique auprès des enfants, télétravailler et préparer des entretiens : c’est mission impossible. »
postuler aux concours, visio ou pas visio
Le temps du confinement, Maude Beaudoin redoute également les problèmes de bande-passante, le manque de temps pour organiser des entraînements, qui requièrent habituellement l’encadrement de collègues, et l’impossibilité de vérifier certains points de littérature à cause de la fermeture de son labo. Malgré ces craintes, la jeune femme reste déterminée à postuler aux concours, visio ou pas visio : « Il y a tellement peu de postes qu’on ne peut pas se permettre le luxe de ne pas postuler, même si je sais que ma candidature sera moins bonne, au vu du contexte. »
David Monniaux, CNRS
« Cette mesure qui existe déjà pour les candidats mais risque d’être délicate à mettre en place pour le comité de sélection »
« Avant de se positionner sur les recrutements des chercheurs par visioconférence, il faut rappeler que les textes préconisent déjà la visioconférence pour les candidats qui le souhaitent », explique David Monniaux, directeur de recherche* au CNRS, membre de Verimag, une unité mixte du CNRS et de l’université de Grenoble, spécialisée dans les systèmes embarqués.
En revanche, concernant le comité de sélection, la présence physique d’au moins quatre membres est obligatoire, depuis un établissement. Ce qui exigerait des déplacements, dans des établissements actuellement fermés. Une pratique envisageable mais peu souhaitable au vu des conditions : « la moitié des membres du comité sont extérieurs à l’établissement, ce qui est facile à organiser à Paris mais déjà plus complexe à Grenoble où il faut faire venir des gens d’autres villes, souvent dès la veille, Qui plus est, la composition des comités est déjà fixée, si on veut changer pour prendre des gens plus près il faut faire re-voter les conseils universitaires, etc. ».
Dans l’éventualité d’un décret qui changerait les règles et permettrait de faire passer tous les entretiens en visioconférence, David Monniaux nuance les critiques qui évoquent une rupture d’égalité entre les candidats : « Il y a bien évidemment une inégalité entre celles et ceux qui seront tranquilles chez eux avec une liaison à haut débit et celles et ceux qui devront composer avec des interruptions par des enfants, mais le problème de garde d’enfants se pose aussi quand il faut se déplacer. Et, d’une certaine façon, à partir du moment où tous les candidats passent les entretiens en visioconférence, il n’y a plus de différence de traitement, comme dans la situation initiale, entre ceux qui étaient sur place et ceux qui devaient être à distance. Par ailleurs, on ne peut pas dire que les conditions initiales étaient particulièrement égalitaires : pour être physiquement présent, il fallait pouvoir se rendre sur place, payer des billets de train, parfois d’avion, etc. D’une certaine façon, avec la visioconférence, on redistribue les cartes ».
Chez soi, pas forcément une ambiance professionnelle sereine
Concernant les membres du comité de sélection, un passage en visioconférence serait une première et une question plus épineuse. « Pour les entretiens, je n’ai jamais entendu parler de comité qui ne soit pas présent. Il faut être assuré de bonnes conditions techniques pour que chacun puisse suivre la conversation et se faire entendre » affirme David Monniaux.
Les membres du jury, dont les délibérations s’étalent habituellement sur une journée, sont également concernés par les problématiques diverses qu’apportent le confinement. « Il est déjà difficile de se concentrer chez soi pour lire les dossiers de candidats si on est confiné avec de jeunes enfants. Pour faire passer les auditions, faudra-t-il passer des journées entières en visioconférence depuis chez soi ? Quand on se rend sur place, on ne se consacre qu’à ça, on peut mettre le reste dans un coin de sa tête. Chez soi, on ne se trouve pas forcément dans une ambiance professionnelle sereine. »
Sébastien Vidal, CNRS
« Dans la situation actuelle, c’est la solution la moins pire »
Chercheur en chimie au CNRS depuis plus de 15 ans, Sébastien Vidal a participé comme candidat à de nombreux recrutement. Aujourd’hui directeur de recherche, il a passé cinq fois ces concours pour le recrutement ou la promotion. Il en est d’autant plus conscient de l’immense importance que revêt cette épreuve pour les aspirants chercheurs.
permettre une prise de poste à la rentrée scolaire
Pour lui, ne pas reporter les épreuves répond à une volonté sociale : celle de ne pas précariser les candidats. « La plupart des candidats qui passent le concours du CNRS, postule plusieurs fois, deux, trois, quatre voire cinq, avant d’être sélectionnés. Pendant ce temps, ils se trouvent généralement dans une situation professionnelle et financière instable. Ne pas annuler ni repousser les jurys, c’est permettre une prise de poste à la rentrée scolaire et ne pas risquer d’imposer quelques mois sans revenus aux candidats, qui ont souvent des postes de vacataires prenant fin en août ».
Comme son collègue, Sébastien Vidal ne considère pas que la rupture d’égalité entre les candidats soit un argument suffisant pour s’opposer à la visioconférence : « Je pense que la visioconférence est une bonne chose, ce n’est pas la meilleure des solutions mais, dans la situation actuelle et exceptionnelle, c’est la “moins pire”. Sinon c’était l’annulation des concours ou le report à une date encore inconnue et incertaine ».
Il conseille aux candidats qui font face à des difficultés particulières, comme un mauvais accès à internet, de se rapprocher de l’organisateur du concours et d’exposer leur problématique : « Il faut en parler tout de suite avec l’organisation qui pourra proposer une solution ».
Emmanuel Magnier, CNRS
« La visioconférence pour le jury serait l’ultime recours »
Directeur de recherche et président du jury d’admission de la section 12 (Architectures moléculaires : synthèses, mécanismes et propriétés), Emmanuel Magnier chapeaute un comité de sélection composé de 18 personnes. Il aborde la question de la visioconférence et du recrutement en temps de distanciation sociale avec philosophie : « La situation étant exceptionnelle, il faudra accepter que les conditions ne soient pas aussi favorables que celles des années précédentes ».
L’objectif du CNRS est clair : reporter les concours et privilégier la présence physique des candidats et du jury mais, comme le souligne Emmanuel Magnier, « même avec le déconfinement en France, il y aura des candidats bloqués à l’étranger qui devront avoir recours à la visioconférence ».
être sûr que le candidat soit dans de bonnes conditions
Toute la problématique réside alors dans les conditions de cette visioconférence : « Pour un concours aussi important, je ne pense pas qu’on puisse auditionner un candidat dans un petit espace partagé avec des enfants et un conjoint. La visioconférence se fait habituellement dans des conditions rigoureuses, par exemple dans des ambassades ou consulats à l’étranger. Il faut être sûr que le candidat soit dans de bonnes conditions, avec un accès à internet suffisant mais également qu’il ne puisse pas être aidé par un tiers ni en mesure de tricher, d’une façon ou d’une autre ».
Quant à un jury en visioconférence, Emmanuel Magnier n’y croit pas : « Ce serait la dernière chose à faire, l’ultime recours ».
Réussir un tel exercice relèverait de la prouesse technique. Et quand bien même ce serait réalisable, on imagine difficilement le déroulement serein d’une discussion en ligne entre plus de vingt personnes.
* L’objectif de sa recherche est de prouver la correction des logiciels. « Ceci est relié à la théorie de la calculabilité, puisque la correction des logiciels, en général, est un problème indécidable, à la théorie de la complexité, puisque de nombreux problèmes de vérification sont de haute complexité, à la logique mathématique, et à des champs aussi divers que la théorie des jeux, l’algèbre, et l’optimisation convexe. »