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Soutenance de thèse en visio : l’expérience des doctorants du MIT et de Harvard

Par Marine Dessaux | Le | Doctorat

Des pouces approbateurs, des grands-parents qui observent depuis leur salon et des anonymes invisibles : voilà ce qu’ont connu les doctorants du MIT et de Harvard pendant leur soutenance de thèse… en visioconférence !

© Christine Daniloff, MIT - Dominick Reuter - © Christine Daniloff, MIT ; Dominick Reuter
© Christine Daniloff, MIT - Dominick Reuter - © Christine Daniloff, MIT ; Dominick Reuter

La soutenance de thèse est un rituel, passage déterminant dans la vie d’un doctorant. C’est le grand moment, celui de défendre plusieurs années de travail face à un jury, devant un public composé notamment sa famille et de ses proches.

Cependant, depuis la mi-mars, à cause de la crise sanitaire, plusieurs étudiants de MIT et de Harvard ont dû faire une croix sur cet exercice en présentiel et se contenter d’échanger en visioconférence. Une expérience qui s’avère surprenante mais pas dénuée de points positifs.

Pouce levé = thèse approuvée

L’initiative est pour le moins originale : mettre un pouce levé, habituellement utilisé comme signe d’approbation, pour signifier que le doctorant a passé sa thèse. C’est ce qui est arrivé à Jesse Tordoff qui a connu le résultat des délibérations du jury en voyant apparaître un emoji sur son écran d’ordinateur. « C’était mon moment le plus ‘2020’ », témoigne-t-elle sur le site du MIT News.

Pour donner à cet instant toute sa particularité et son intensité, chacun y va de son idée, comme le raconte un article sur le site Havard.edu. La famille de Clint Smith, contrainte d’attendre au sous-sol pour lui permettre d’être au calme, a débarqué dans son bureau à la fin de sa soutenance en brandissant une pancarte : “Félicitations papa”.

Après la délibération du jury, Clint Smith a été invité à entendre le verdict dans une salle virtuelle à part. Le public s’est alors retrouvé seul. Amis et membres de la famille en ont profité pour poster des messages d’encouragement, que le candidat a pu visionner à son retour. Cela a rendu le moment encore plus spécial et plein de sens.

Plus généralement, post-soutenance, la tendance est à la célébration par visioconférence, chacun brandissant une coupe vers son écran. Une façon de partager ce moment particulier sans restriction géographique.

Grands-parents, village natal et habitants de 7 fuseaux horaires différents pour audience

Dans une vidéo intitulée Devenir docteur sur Zoom publiée sur MIT News, Erin Looney explique : « J’étais assez déçue de ne pas vivre l’expérience en réel. Mais après coup, j’ai réalisé qu’il y avait beaucoup de choses positives qui sont arrivées. (…) Davantage de personnes ont pu être présentes - grands-mères, tantes, oncles, frères et sœurs - je crois qu’il y avait 7 fuseaux horaires différents ! (…) L’avantage d’un doctorat c’est que ça apprend à gérer n’importe quoi. Si on m’annonce « tu dois défendre ta thèse à la maison », je vais dire : “ok, je vais faire en sorte que ça marche” ».

Partager avec ceux qui me connaissent depuis que je porte des couches

Clint Smith, toujours sur harvard.edu, explique lui aussi avoir apprécié pouvoir partager cet événement virtuel avec tant de membres de sa communauté : « Soutenir ma thèse via Zoom veut dire que je peux partager ce moment avec mes amis et ma famille. C’était tellement mieux que tout ce que j’avais pu imaginer. J’ai pu partager cela avec tout mon village entier … avec ceux qui me connaissent depuis que je porte des couches et avec tous ceux qui m’ont épaulé pendant mes études supérieures ».

Soutenir sa thèse en visioconférence, c’est avoir un public qui peut être n’importe où dans le monde, ce qui a été également très apprécié des élèves du MIT. « Ma mère s’est connectée d’Afrique du Sud », dit Ian Ollis qui a défendu en mai dernier. « Elle n’aurait pas pu venir aux Etats-Unis ».

Jesse Tordoff a apprécié pouvoir se concentrer plus facilement sur les remarques : « J’étais moins nerveuse que si j’avais été debout devant un groupe de personnes », affirme-t-elle. « J’étais assise sur mon canapé et quand je me suis connectée avant la soutenance, les seules personnes déjà présentes étaient mes grands-parents. J’étais tellement contente ! Ça n’aurait pas pu arriver en présentiel ».

… mais aussi des 'fantômes'

Il y a pourtant une chose qui a moins plu aux doctorants dans cet aspect ouvert et sans frontière de la ‘soutenance Zoom’ : l’anonymat du public. Les étudiants se retrouvent face à une foule invisible et en partie composée d’inconnus. « On aperçoit des carrés de visage. Alors que si on était en présentiel, on aurait une idée des gens à qui on parle », regrette Ian Ollis.

Aucune idée de qui c’était

Cette nature un peu mystérieuse de l’audience est apparue à ce doctorant du MIT après qu’il a eu fini son appel en visioconférence et qu’on l’a interpellé à ce sujet : « Il y avait un bon nombre de personnes qui assistaient au Zoom mais je ne savais pas qui elles étaient », explique Ian Ollis. « Après ma soutenance, j’étais dans le dortoir d’Ashdown et, en me dirigeant vers l’ascenseur, je suis passé devant quelqu’un sans le voir. Il m’a dit : « Hey bien joué ! J’ai apprécié ta soutenance ! » Je n’avais aucune idée de qui il s’agissait ».

Vue aérienne du campus du MIT - © DrKenneth
Vue aérienne du campus du MIT - © DrKenneth

Impossible de lire la salle, manque de fluidité : les points négatifs de la soutenance Zoom

Une immense déception face à cette nouvelle réalité

D’autres inconvénients de la visioconférence sont également soulignés par les soutenants. « Pendant de nombreuses années, j’ai imaginé soutenir ma thèse en présentiel », avoue Clint Smith. « Bien que je comprenne la nécessité de cette transition au numérique (…), j’ai ressenti une immense déception quand j’ai dû me faire à cette nouvelle réalité ».

Outre le fait de ne pas pouvoir vivre ce point culminant de leur vie universitaire comme ils l’avaient imaginé, le étudiants de MIT ont remarqué qu’ils interagissaient moins avec leur audience que s’ils avaient été en présentiel.

« On ne peut pas lire la salle », déplore Ian Ollis.  « C’est différent. On n’a pas une perspective complète de l’audience ». En résumé, « c’était une bonne expérience. J’ai eu un bon retour des gens mais je préfère être dans une salle avec des gens ».

Un peu gênant

Un autre doctorant de MIT, qui a d’ailleurs déjà accepté un job chez Amazon, décrit la sensation « d’une série de Q&A plutôt qu’une conversation », à cause de la dynamique créée par ce format. Le léger retard de transmission est aussi problématique : « C’est bizarre d’avoir une conversation avec un délai », explique Julia Zhao, « Mais j’ai fait l’effort de dire : « Si je vous ai coupé, continuez, je vous en prie. C’était un peu gênant ».

Un phénomène pas complètement nouveau

Il faut cependant noter, comme le souligne MIT News, qu’aux États-Unis comme en France, l’exercice de la soutenance de thèse via Skype, Zoom ou d’autres plateformes, est déjà une réalité depuis plusieurs années. Particulièrement lorsque les membres du jury se trouvent dans différentes universités ou quand un professeur est en voyage, pour sa recherche ou une conférence.

Pour Julia Zhao, le fait qu’un de ses camarades passe sa soutenance en visioconférence semblait « un peu hors du commun », l’année dernière encore. Ce qui ne sera vraisemblablement plus le cas après cette année. « C’est plutôt sympa : plus de gens qui ne sont pas du coin peuvent assister au point final d’un doctorat. Ce genre de pratique entrera sûrement dans la norme”, conclut-elle.