Témoignages : « Pourquoi j’ai fait une demande de prolongation de mon contrat doctoral »
Par Marine Dessaux | Le | Doctorat
Bloqués dans le travail de recherche, mobilisés pour aider, touchés physiquement et psychologiquement… Ces doctorants de Poitiers, Bordeaux, Paris ou d’Ile-de-France, témoignent de leurs difficultés à avancer dans leur thèse pendant le confinement et expliquent pourquoi ils ont demandé une prolongation de contrat doctoral de trois, quatre ou six mois.
Pendant la crise sanitaire, tous les doctorants ont dû faire face à la fermeture des laboratoires, des bibliothèques universitaires (BU) et aux difficultés psychologiques de la vie confinée. Cependant, chacun a été touché à un degré différent et, donc, plus ou moins retardé dans son travail de thèse.
Même si Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (Mesri), a promis, dès le 23 avril dernier, une prolongation de contrat doctoral, à condition de justifier du bien fondé de la demande, une majorité des doctorants est longtemps restée dans le flou.
Une circulaire sortie le 26 juin et précisant la mise en œuvre de ces prolongations a clarifié les choses. Malgré tout, aujourd’hui, les premiers concernés doivent continuer à composer avec beaucoup d’inconnues.
Florent Chevalier, Jessica Dalmasso, Romain* et Camille** reviennent pour Campus Matin sur la façon dont ils ont vécu cette période particulière et expliquent pourquoi ils ont demandé une prolongation de leur doctorat.
Une durée de prolongation nécessaire qui dépend souvent de l’évolution de la crise
Florent Chevalier est arrivé à la troisième et dernière année de son contrat doctoral. Spécialisé en linguistique, il étudie « les mécanismes du changement de la prononciation, le cas de l’anglais parlé dans la ville de Glasgow » à l’Université de Poitiers en cotutelle avec celle de Glasgow.
Impossible de se rendre sur le lieu d’étude expérimentale
Pour accéder à une collection de données orales indispensables et accessibles uniquement sur place, Florent Chevalier avait prévu de se rendre au Royaume-Uni deux fois, en mai et en juillet.
La première de ces mobilités a été annulée, du fait de l’épidémie de Covid-19, et la deuxième devra être repoussée, dans l’attente de la réouverture des frontières.
« Deux choses ont empêché l’avancement de mon travail de thèse : l’arrêt de la partie expérimentale qui nécessitait de se rendre à l’étranger et la fermeture de la BU dans un domaine où les ressources sont très peu numérisées, retrace le doctorant.
Je ne sais toujours pas quand je pourrais voyager pour finir mon exploitation des données en Écosse, c’est pourquoi avec ma directrice de thèse, nous avons fait le choix de demander une prolongation de contrat doctoral de six mois ou plus ».
Un environnement professionnel proactif
Florent Chevalier estime avoir été bien entouré et informé rapidement des possibilités de prolongation de contrat doctoral. « L’université a été très proactive sur la question, nous avons reçu la procédure de demande début mai à rendre pour le 18. Il fallait rendre compte de notre situation, de ce qu’on avait pu faire ou pas, expliquer l’impact du confinement sur notre thèse. Ça avait l’avantage d’être une démarche rapide ».
Une démarche rapide, mais des questions auxquelles il est parfois complexe de répondre alors qu’il existe encore beaucoup d’inconnues :
« C’est difficile de chiffrer le retard, si on a un retour à la normale rapidement, je devrais pouvoir finir en trois mois. Tout dépend de l’évolution de la situation ».
Confinement : entre insouciance du départ et situation de travail pénible
Au tout début du confinement, Florent Chevalier ne s’inquiète pas pour le retard qu’il pourrait provoquer sur sa thèse. Venant d’une région peu touchée par le virus, il est surpris par la durée de la mesure.
« Quand le confinement a été décrété, ça a été la surprise, je n’ai pas eu le temps de me retourner, de dévaliser la BU. On se disait avec ma directrice de recherche que ça n’allait pas durer, que l’université rouvrirait à 100 % rapidement, au moins après la fin du confinement ».
C’est au bout de quelques semaines que les inconvénients se font ressentir. « En fait, le premier mois a été comme une bouffée d’air : j’ai été face à face avec mon travail de thèse, avec des classes virtuelles à assurer à côté, mais tout de même plus de temps pour travailler. Et puis une fois que j’ai fait tout ce que je pouvais faire, j’ai vu tout ce que je ne pouvais pas faire… »
Il découvre aussi les impacts négatifs du confinement sur sa santé : « Dans mon laboratoire, j’ai un bon matériel, une bonne chaise, un bon bureau. Chez moi, j’ai dû faire face à la réalité du travail à la maison sans équipement adapté : travailler sur un ordinateur portable, sur une chaise peu confortable, seul. J’ai eu le dos bloqué et des douleurs aux cervicales ».
Prolongation courte : prendre ou ne pas prendre ?
Puisque sa thèse devait se terminer cette année scolaire, Florent Chevalier a logiquement préparé la suite et postulé à plusieurs postes d’attaché temporaire d’enseignement et de recherche (Ater). Les annonces de classement sont rendues publiques depuis le mois de juin et, même si les universités sont compréhensives face à la situation particulière, il devra répondre avant mi-juillet.
L’université attend de connaître le montant de l’aide financière du Mesri
Si l’Université de Poitiers a déjà confirmé qu’il pouvait prétendre à une quatrième année de thèse sans financement, elle ne s’engage pas sur la durée exacte de la prolongation du contrat doctoral. Car elle attend de connaître le montant de l’aide financière du Mesri, encore inconnue.
Florent Chevalier peut certes supposer qu’il obtiendra au moins quelques mois de financement, mais il ne peut pas pour autant renoncer tout de suite aux postes d’Ater.
Pour beaucoup de doctorants, accepter une prolongation de seulement quelques mois, équivaut à se retrouver sans contrat jusqu’au mois de septembre de l’année d’après. Une réalité qui pèse également dans leur prise de décision.
« Ma priorité est la prolongation du contrat doctoral, ce qui me permettra de finir ma thèse en étant concentré dessus à 100 %.
Mais si je n’obtiens que deux mois de subventions, cela signifiera que je risque de me retrouver jusqu’à la rentrée prochaine sans travail. Dans ce cas, je ne pourrais pas accepter la prolongation de contrat doctoral et devrais me rabattre sur autre chose ».
Une période difficile entre pertes d’informations irrattrapables et volonté d’engagement
Le cas de Jessica Dalmasso est un peu particulier parce qu’en tant que doctorante financée par l’Agence nationale de la recherche (ANR), elle bénéficie des six mois de prolongation systématique des projets en cours.
En deuxième année de doctorat, elle travaille sur la « caractérisation de biomarqueurs placentaires d’alcoolisation au cours de la grossesse et l’impact de l’alcool sur les fonctions placentaires » à la faculté de pharmacie Paris Descartes (Université de Paris).
Si elle estime que la prolongation donnée est suffisante, elle a subi une perte d’échantillons qui risque de ne pas être rattrapable :
« Mon travail nécessite des placentas récupérés après l’accouchement de femmes alcooliques. Ces tissus sont viables deux à trois semaines en solution, mon labo ayant été fermé pendant deux mois, ils sont perdus et on ne peut pas savoir quand et si on en obtiendra d’autres ».
« Être là où on est le plus utile »
Après la panique des premiers temps, Jessica Dalmasso qui a fait une première année commune aux études de santé et a été aide-soignante en parallèle, décide de s’engager pour les victimes de la Covid.
« On m’a proposé de venir en soutien dans un Ephad, il y avait beaucoup de malades et pas assez de personnel. Ça a été dur, physiquement et psychologiquement », se remémore celle qui est par ailleurs représentante de l’association des docteurs et doctorants de Paris, les Cartésiens, au sein de la Confédération des jeunes chercheurs (CJC) qui regroupe 40 associations de jeunes chercheurs.
Pendant cette période où elle travaillait six jours sur sept, la doctorante n’a pas pu avancer autant qu’elle le souhaitait sur sa thèse. C’est à ce moment-là qu’est tombée l’évaluation de mi-parcours de son doctorat :
« Ça s’est déroulé en visioconférence, ils ont été compréhensifs dans l’ensemble, mais ils m’ont fait comprendre que j’aurais dû avancer sur ma thèse, au lieu d’aider. Pour moi, dans ce contexte de crise, c’était plus important d’être là où je suis le plus utile ».
Un travail aux contacts des malades qui a donné à Jessica Dalmasso l’envie de réintégrer médecine après sa thèse, en troisième année via les passerelles.
Aujourd’hui, un redémarrage au ralenti
Jessica Dalmasso ne compte pas les heures pour remettre sa recherche sur les rails.
Un travail épuisant qui s’ajoute à une période intense. Et le retour à la normale n’est pas pour tout de suite. Malgré la réouverture du laboratoire, la jeune chercheuse ne peut pas encore être pleinement productive :
« Les choses tournent encore au ralenti, les commandes sont plus longues, il est compliqué d’avoir des prélèvements et nous devons moduler les protocoles.
Pour le moment je fais surtout de l’analyse basique, ce qui me permet de ne pas perdre trop de temps ».
Des répercussions psychologiques
Camille ** est doctorante en deuxième année, spécialisée dans les sciences du langage. La majeure partie de son corpus est basé sur internet, néanmoins, la période de confinement n’a pas été propice à l’avancement de sa thèse. Au contraire, elle subit des séquelles psychologiques qui rendent, encore aujourd’hui, son travail difficile.
« La pandémie et le confinement ont rendu difficile, voire impossible, mon travail de thèse. J’étais seule dans un petit appartement, oppressée à force d’être toujours enfermée : je suis sortie cinq heures en cinquante jours ! J’étais entourée d’amis et de collègues qui, eux non plus, n’allaient pas bien du tout », témoigne Camille.
Une situation angoissante qui mène à des problèmes de santé : « Pendant un mois, j’avais le bras immobilisé, conséquence de mon état psychologique ».
Des cours à assurer et un matériel insuffisant
L’activité principale de Camille, pendant le confinement, a été l’enseignement au sein de son université, située en Île-de-France : « J’ai dû assurer la continuité pédagogique, je me suis retrouvée seule face à des dizaines de mails d’étudiants, certains dans une situation terrible, laissée à moi-même ».
La doctorante a passé la majeure partie de son temps à préparer des cours en distanciel et, sans imprimante, pas simple de corriger les copies !
Le manque de matériel s’est aussi fait ressentir dans ses activités au sein de l’école doctorale :
« Pour un séminaire, il était demandé d’avoir une caméra, la mienne ne fonctionnait pas, je l’ai signalé, j’ai pensé qu’on me dirait que ce n’était pas grave, mais non, je n’ai pas pu assister à la formation ».
Avec une bande passante limitée, elle se voit également difficilement assister à des conférences de cinq heures : « L’université proposait du matériel et des clés 4G, mais j’ai la wifi, le problème c’est la qualité de la connexion ».
« Toute l’année a été très compliquée »
Camille regrette la durée de prolongation trop limitée qui lui est proposée : « J’ai demandé un prolongement de quatre mois parce que c’est le maximum possible si on se conforme aux cases du document fourni par l’université, mais avec les personnes en doctorat dans mon labo et mes directrices de thèse, nous aurions voulu cocher un an ».
« En sciences humaines, il est généralement admis que les thèses durent en moyenne quatre ans et demi. Avec des contrats doctoraux qui durent trois ans, tout le monde doit finir sa thèse en parallèle d’un travail d’Ater ou en passant par le chômage, cette situation est absurde ».
De plus, fait-elle valoir, « avant le confinement, il y a eu des grèves : des mouvements contre la loi recherche (LPPR) et des interruptions des transports en commun. Toute l’année a été très compliquée ».
Et de soupirer : « Il faudrait un report national de tous les contrats doctoraux d’un an ».
En première année aussi, des retards prévisibles
Romain, doctorant en physico-chimie de la matière condensée, a entamé sa thèse en janvier dernier à l'Université de Bordeaux.
Même s’il lui reste deux années de doctorat, il sait que la fin de sa thèse sera retardée. Il a donc demandé trois mois de financement supplémentaires.
« Je suis dans le cas particulier où je venais de finir ma bibliographie début mars donc difficile de mettre à profit le temps en télétravail et je devais aller début juin faire des expériences au synchrotron Soleil, un grand instrument électromagnétique destiné à l’accélération à haute énergie de particules élémentaires. C’est le genre d’expérience qu’il faut plusieurs mois à préparer et que l’on ne fait qu’une fois ou deux pendant une thèse », souligne-t-il.
Certaines expériences indispensables pour l’avancée du travail
Le doctorant s’est retrouvé dans une situation où il lui était impossible d’avancer :
« Ces expériences sont charnières et me permettent de faire des choix sur l’orientation à donner à ma thèse. Autrement dit, sans résultats, je ne peux pas avancer ».
Le choix de la durée de prolongation du doctorat a donc tenu compte de ce blocage tout comme du ralentissement causé par le confinement : « Pour le délai de trois mois, nous l’avons choisi avec mes directrices, car nous avons subi deux mois de confinement et un mois très au ralenti, et parce que ces expériences au synchrotron sont repoussées de juin à septembre ».
Demandes de prolongation en attente
Encore une fois, la question du financement du Mesri n’étant pas réglée, les écoles doctorales restent vagues sur l’obtention du financement.
« À Bordeaux, les écoles doctorales nous ont poussés à faire la demande dès maintenant, sans aucune certitude sur les résultats de celles-ci, mais cela leur permet aussi de quantifier l’impact du confinement sur les recherches des doctorants. Concernant mon financement, j’ai la chance d’être sur un contrat CNRS au sein d’un projet ANR, et il semble que cette dernière est relativement encline à prolonger les financements »
*Romain n’a pas souhaité que son nom apparaisse.
**Son prénom a été changé.