[Analyse] « Beaucoup d’établissements n’avaient pas anticipé l’impact de l’IA sur les enseignements »
Par Nicolas Chalon | Le | Pédagogie
L’émergence des IA génératives est l’opportunité de travailler sur le sens et la mission de l’enseignement, affirme Yannig Raffenel. Le président de l’association EdTech France analyse le positionnement de l’enseignement supérieur par rapport à l’intelligence artificielle et les enjeux que soulèvent ces nouvelles technologies.
Président de l’association EdTech France depuis décembre 2020, Yannig Raffenel revient pour Campus Matin sur les réactions de l’ESR face à l’apparition des intelligences artificielles (IA) génératives. Et évoque les possibilités qu’ouvrent ces technologies pour l’écosystème, ainsi que les défis qui attendent les établissements.
Les écoles et les universités doivent-elles voir les IA génératives d’un bon œil ?
Yannig Raffenel : Ce n’est pas comme si elles avaient le choix ! Je suis convaincu qu’il faut regarder ces nouveaux outils comme des chances pour le monde enseignant.
L’IA nous propose aujourd’hui de renouer avec une promesse : celle d’une meilleure individualisation et personnalisation des apprentissages, promesse complètement détruite par le développement d’un e-learning qui avait pris le parti de la massification.
Algorithmes, neurosciences et IA viennent rallumer l’espoir d’un enseignement centré sur l’individu, son propre ancrage mémoriel et des parcours adaptifs.
Les grands modèles de langage comme ChatGPT ne sont-ils qu’une innovation parmi d’autres ?
Non, il s’agit d’une révolution, dont nous ne sommes qu’aux prémices. D’abord parce qu’aucune évolution de cette ampleur n’a été diffusée aussi vite si largement. Si tout le monde n’en maîtrise pas les usages, chacun est capable de s’en emparer le plus simplement du monde. C’est là le point le plus stupéfiant.
Comment jugez-vous les réactions de l’ESR face à cette irruption ?
La première a été de prendre le sujet par le plus petit bout possible : l’interdire pour éviter la triche.
Dans le même temps, les étudiants ne s’y sont pas trompés. Ils ont tout de suite compris en quoi ChatGPT pourrait leur permettre de contourner le système ; dès le deuxième semestre 2023, ils faisaient exploser le modèle !
Beaucoup d’établissements n’avaient pas anticipé l’impact de l’IA sur les enseignements — ce qui est en soi une faute grave —, pensant que leurs disciplines n’étaient pas concernées. Alors que leurs étudiants n’en ont pas douté une seconde.
Comment repenser l’évaluation des élèves ?
Demander des textes et des livrables à évaluer devient impossible sous leur forme traditionnelle. Une évaluation devrait reposer à la fois sur la production, le processus et la personne. Au-delà de leur travail, les étudiants devraient expliquer l’ensemble du cheminement qui a mené à la production de celui-ci.
Accompagner une bonne prise en main des IA génératives
Nous devons aussi l’inciter à adopter une posture réflexive sur ce travail, pour identifier les compétences acquises au cours de son élaboration, ce que l’élève a appris de lui-même en le menant. Dans le même temps, l’ESR doit accompagner une bonne prise en main des IA génératives, qui requiert de nouvelles compétences.
Lesquelles ?
La formation au prompt devient incontournable pour tous
Il faut, sans attendre, transmettre les notions de biais, de désinformation, apprendre à décrypter les réponses générées par l’IA pour ne pas en devenir la marionnette, développer son esprit critique. La formation au prompt devient incontournable pour tous, étudiants comme écoliers. Sans oublier les professeurs, qui doivent comprendre que l’IA peut leur faire gagner un temps énorme pour leur permettre de se concentrer sur des tâches à forte valeur ajoutée, plus près de leurs élèves.
Méconnaissance et méfiance doivent laisser place à de vrais plans de formation des équipes pédagogiques. Elles ont tout à y gagner : générer des exercices, corriger des copies de manière personnalisée, remplir des tâches administratives… Certes, l’IA n’a pas vocation à remplacer les enseignants. Mais les profs qui utilisent l’IA remplaceront ceux qui ne l’utilisent pas.