Ces start-up edtechs françaises qui ont conquis enseignants, élèves et étudiants
Par Nicolas Chalon | Le | Edtechs
Même toutes jeunes, elles étaient persuadées pouvoir répondre à certaines problématiques éducatives. Avant de se faire un nom, il leur a fallu appréhender un environnement complexe, et gagner sa confiance. Récit des débuts de trois edtechs inspirantes.
Plume, une plateforme conçue par une enseignante
Le succès de Plume a tout de la belle histoire. Au commencement, une professeure de lettres modernes, Aude Guéneau, observant jour après jour et pendant 14 ans, les flagrantes différences de niveau entre ses élèves. À l’époque, « je passais des heures à effectuer des corrections de copies dont je savais bien que peu d’entre eux les liraient », se souvient l’enseignante. Elle identifie l’enjeu essentiel : dispenser un enseignement le plus personnalisé possible, et cherche en vain un outil qui l’aiderait en ce sens.
« Les compétences scripturales sont extrêmement différentes d’un élève à l’autre. 40 % des élèves de 6e sont en difficulté en matière d’écriture. Or, celle-ci est un métalangage sur lequel repose leur réussite dans toutes les autres disciplines », explique celle qui voit bientôt dans le numérique une solution pour mener cette quête de l’individualisation.
Une application d’apprentissage ludique de l’écriture
Les premiers utilisateurs de Plume se trouvent partout autour d’elle : « J’ai utilisé comme cobayes ceux qui se trouvaient dans mon entourage, à commencer par les parents d’élèves et mes collègues enseignants », sourit-elle.
Il y a bien quelques réactions de surprise, de doute qu’une telle application puisse marcher ; mais dans l’ensemble, l’accueil est plutôt bon. Au temps de l’amorçage succède celui du développement et des améliorations de Plume. « Lorsque je me suis rendu compte que j’avais quelques centaines d’utilisateurs, j’ai arrêté d’enseigner. »
Nous sommes en 2019, à l’aube d’une pandémie qui placera les start-up edtechs sous le feu des projecteurs et des investissements. Elle sera synonyme d’hypercroissance pour cette application d’apprentissage ludique de l’écriture. Quatre ans plus tard, Plume s’appuie sur une équipe de 12 personnes… Changement de cap radical pour la CEO ?
« Je ne le vis pas comme ça. Je crois plutôt que chaque professeur est un entrepreneur qui s’ignore », confie Aude Guéneau, pointant « des ponts évidents entre les deux activités, à commencer par devoir se débrouiller seul pour trouver des solutions à des problèmes différents chaque jour. »
Après une levée de fonds de 2,2 millions d’euros en 2021, Plume a conquis à ce jour plus de 200 000 apprentis écrivains de 7 à 14 ans. L’entreprise qui travaille notamment avec le CNRS et Microsoft s’est attaquée, à l’été 2022, à la conquête d’un nouveau marché : les États-Unis !
Foxar, mieux voir pour mieux concevoir
Eux aussi se sont dirigés vers l’enseignement presque naturellement, pour leur projet de fin d’études à Arts et Métiers Chalon-sur-Saône. « Nous cherchions un domaine qui ait du sens et où nos compétences seraient le plus utiles. Quoi de mieux que l’éducation ? », retrace Louis Jeannin, cofondateur de Foxar, une bibliothèque de maquettes pédagogiques en réalité augmentée permettant de « mieux voir pour mieux comprendre certains points du programme scolaire, et le monde en général ».
Avant de le proposer aux établissements, encore faut-il appréhender le fonctionnement de l’éducation nationale. « Nos premières démos sous le bras, nous sommes allés dans des écoles, collèges, académies », se souvient l’ingénieur.
Ce que son associé, Nicolas Caligiuri, et lui cherchent avant tout, c’est un échange direct avec les professeurs, « ceux qui voient tous les ans les notions qui ont du mal à passer chez certains de leurs élèves », explique Louis Jeannin.
En parallèle, Foxar trouve un premier accompagnement dans une pépinière d’entreprises, puis chez Deca-BFC, l’incubateur de Bourgogne Franche-Comté créé à l’initiative de huit établissements du supérieur locaux. La start-up est notamment lauréate du prix Pépite de la région, ou encore du concours French IoT de La Poste.
« Chacune de ces participations s’est révélée importante, et nous a conduits vers une nouvelle étape de développement », reconnaît Louis Jeannin. S’ils ne se payaient quasiment pas avant 2020, les deux cofondateurs décrochent bientôt de belles prestations dans le monde de la formation professionnelle.
Des expérimentations auprès des enseignants et étudiants
« Le BtoB nous a aidés à poursuivre et améliorer le projet, le temps de parvenir à toucher notre objectif originel : l’éducation. » En parallèle, Foxar commence à embaucher, une première personne, puis une deuxième, à travers une chercheuse en ergonomie cognitive qui effectue sa thèse Conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre) avec la edtech, menant des expérimentations auprès d’enseignants et d’étudiants, et renforçant ses liens avec les laboratoires.
Et Foxar de poursuivre son aventure en prêchant la bonne parole d’une technologie encore peu présente, dans nos vies comme à l’école. « La réalité augmentée manque encore de cas d’usage qui montre toute son utilité. C’est précisément ce que nous apportons », analyse Louis Jeannin, évoquant pêle-mêle la possibilité d’explorer le Sacre de Napoléon en taille réelle, visualiser en un coup d’œil ce que représente un mètre cube, ou encore de devoir marcher dix mètres pour atteindre le Soleil, quand la Lune ou même Mars sont à portée de main.
Convaincue par ce mantra de « mieux voir pour mieux comprendre », l’académie de Dijon a déjà pris une licence Foxar pour ses écoles primaires, et bien d’autres discussions avec des collectivités sont en passe d’aboutir. Foxar a rejoint, à la rentrée 2023, la seconde promotion de l’accélérateur Passerelles. Côté ESR, plusieurs d’universités (comme celle de Poitiers) et écoles d’ingénieurs commandent à la edtech des maquettes sur mesure.
Nomad Education, de jeune pousse à pilier du secteur
L’histoire de l’une des plus célèbres edtechs françaises à ce jour a commencé en 2011. Une éternité, dans ce secteur encore naissant. Pourtant, ses fondamentaux n’ont pas varié, selon la fondatrice de Nomad Éducation : « C’est sur la pédagogie que nous nous sommes construits. La technologie ne vient qu’ensuite, et seulement quand elle sert à quelque chose », pose Caroline Maitrot-Feugeas.
Aux origines du projet, la volonté d’apporter sa pierre à l’éducation, en pleine révolution des smartphones.
« Je suis une grande affective qui a toujours adoré l’école, autant ses cours que sa cour de récréation, les jeux, les gens. Je crois fondamentalement à l’école », retrace cette Corrézienne dont le père, couvreur, « était plus heureux qu’un énarque » et dont l’ambition a toujours été de s’adresser aux élèves de tous milieux et niveaux, du CAP à la classe préparatoire.
Le premier niveau proposé par l’application concerne les révisions du bac ; Caroline Maitrot-Feugeas et son associé ne sont alors que deux.
Garder le cap sans céder aux tendances
« Les débuts se passaient bien. C’est ensuite, lorsque tout s’accélère, que l’affaire se complique ! Il faut alors savoir s’entourer et ne pas avoir peur de dire qu’on ne sait pas tout faire », conseille Caroline Maitrot. Il s’agit aussi de garder son cap, par-delà les modes et les tendances présentées comme eldorados.
« Un jour il faut des bureaux extraordinaires ; le lendemain, du télétravail. Un jour, tout le monde se rue en Chine et trouve drôle que vous vous tourniez vers l’Afrique. Puis ils reviennent. La seule réponse est de définir une stratégie en phase avec votre projet, et d’avancer », décrit-elle.
Une démarche au-delà des paillettes des grandes levées de fond (l’entreprise est autofinancée), ou des innovations dernier cri. Car derrière l’apprentissage sur-mesure et le machine learning de Nomad se cache une bien vieille idée. « Ce que je propose aux élèves est tout sauf sexy : le goût de l’effort, du travail, pas de fausse promesse », garantit Caroline Maitrot-Feugeas.
Simplifier les processus d’achat
De l’éducation nationale, elle aimerait — comme bien des edtechs — qu’elle trouve un moyen de simplifier son processus d’achat.
« Quand 300 000 élèves de 3e utilisent votre service et que l’on vous propose de l’expérimenter sur deux collèges, c’est un brin vexant », sourit la fondatrice de cette entreprise à mission, dont la présence dans 29 pays d’Afrique lui permet de viser 10 millions d’utilisateurs francophones dans les années à venir.
Pour elle, aider les edtechs hexagonales à gagner des marchés va au-delà du simple enjeu économique. « Demandez aux Français s’ils aimeraient que leurs enfants soient éduqués par des licornes chinoises, américaines ou émiraties », suggère la CEO qui appelle l’État à « regarder les belles boîtes qui se trouvent sur son sol ».
Fleuron de la edtech tricolore, Nomad Education est la seule représentante de la filière à faire partie de la promotion FrenchTech 2030 annoncée par le président de la République en juin à Vivatech. Comme 124 autres entreprises innovantes, elle bénéficiera d’un soutien de la mission French Tech pendant au moins un an.
Deux autres entreprises sous le feu des projecteurs
• Plus de 50 millions de personnes - enseignants, étudiants, formateurs et salariés - utilisent déjà Wooclap ! Née en 2015 de la rencontre de Sébastien Lebbe et Jonathan Alzeta, dans un amphi de l’École polytechnique de Bruxelles, la plateforme de pédagogie interactive a annoncé avoir franchi ce cap symbolique fin septembre.
• Fondée la même année par Son Ly, la start-up Didask propose à chacun (même sans connaissances approfondies) de créer des contenus de digital learning sur mesure. Elle fait partie des lauréats de l’appel à manifestations d’intérêt Compétences et métiers d’avenir (CMA). Elle obtient un financement de sept millions d’euros pour son projet baptisé Sciconum. Objectif : concevoir une pluralité de dispositifs de formation et d’accompagnement des enseignants aux pédagogies numériques.
Concepts clés et définitions : #Edtech