Covid-19 : comment les élèves de l’ENA se sont engagés dans les cellules de crise
Par Marine Dessaux | Le | Expérience étudiante
Depuis le début du confinement, une soixantaine d’élèves de l’ENA, sur les 75 de la promotion 2019-2020, ont rejoint volontairement des cellules de crise dans diverses structures du service public.
C’est le cas de Justine Renault et Benjamin Huin Morales, tous deux intégrés à la préfecture du Haut-Rhin, l’un des départements parmi les plus touchés par le virus.
Ils racontent à Campus Matin cette expérience au cœur d’une crise sans précédent.
« Logique et normal d’aider moi aussi »
C’est en réalisant la gravité de la situation, avec l’annonce de la mise en place des cours à distance le 12 mars, que Justine Renault et Benjamin Huin Morales, deux élèves de la promotion Hannah Arendt (2019-2020) à l’ENA, ont décidé de se porter volontaires auprès de la préfecture de leur département.
« J’étais à Colmar quand il y a eu l’annonce de la fermeture des établissements du supérieur, alors que tout le monde était mobilisé, j’ai trouvé logique et normal d’aider moi aussi, comme je le pouvais, à mon petit niveau », explique Justine Renault. « Je suis fonctionnaire donc je me suis tournée vers ce qui était le plus simple et le plus concret dans le champ de mon expertise : la préfecture du Haut-Rhin, qui est en charge de la crise sanitaire au niveau du département. J’ai rencontré le directeur de cabinet dans la foulée et, vendredi 13, j’ai effectué ma première journée de volontariat dans une des cellules de crise, la cellule d’appui sanitaire. »
« C’était mon devoir, en tant que serviteur de l’État, de m’engager immédiatement auprès des fonctionnaires qui travaillent pour que les gens en premières lignes puissent lutter contre l’épidémie », explique Benjamin Huin Morales. « J’ai d’abord contacté le préfet de Mayotte, auprès de qui j’ai fait un stage l’année dernière, mais comme il y a une mise en quatorzaine là-bas, je n’aurais pas pu être utile tout de suite, j’ai donc contacté la préfecture du Haut-Rhin qui est ma région.. C’est ici que je peux être efficace, dans un environnement que je connais. »
Arrêt des cours à distance pour favoriser le volontariat
Comme Justine et Benjamin, la majorité des autres élèves de l’ENA ont eu le réflexe de s’engager au niveau de l’État, de la région, des municipalités mais aussi auprès d’associations en se préparant à conjuguer cours à distance et volontariat.
Le 20 mars, pour permettre à un plus grand nombre d’élèves de venir en soutien de la crise, l’ENA a annoncé l’arrêt des cours à distance jusqu’au 25 mai. Dès lors, tous les élèves de la promotion Hannah Arendt ont intégré des cellules de crise, à l’exclusion d’un petit nombre d’entre eux devant répondre à d’autres obligations (familiales ou de santé) et qui travaille confiné sur des dossiers relevant de la crise.
Les élèves de la promotion Hannah Arendt ont rejoint les cellules de crise des administrations suivantes
Les préfectures où les élèves sont principalement en renfort auprès du cabinet du Préfet.
Les ministères :
• Santé, par exemple auprès du directeur général de la santé
• Intérieur
• Travail
• Armées
• MINEFI, par exemple à la direction générale des entreprises MEAE, dans la cellule de crise
• Ville de Paris
• Les services déconcentrés comme les Agences régionales de Santé : pour l’ARS Grand Est, par exemple, ils travaillent en renfort auprès de la cellule logistique ou encore dans la gestion des personnels soignants et médicaux dans les établissements en tension.
• Et différentes associations.
Concrètement, faire le lien
Mais que fait-on dans une cellule de crise au juste ? Pour les élèves de l’ENA, l’objectif est avant tout de faire le lien entre l’institution (en l’occurrence la préfecture) et les interlocuteurs (l’État, les services hospitaliers, les entreprises, les associations, les particuliers…).
Benjamin Huin Morales, intégré dans la cellule “économie et vie courante”, détaille ses missions : « entre autres, on répond aux différentes questions, on explique aux entreprises comment elles peuvent bénéficier des aides, on se coordonne pour que les marchés puissent être organisés dans les communes rurales avec le respect des gestes barrières. On va sur le terrain, voir comment le boulanger met en place les mesures sanitaires requises, rendre visite au fleuriste pour voir si les conditions sont réunies pour la réouverture, aller dans les entreprises qui ont réaménagé toutes leurs lignes de productions pour faire des masques ». Un volontariat dans une atmosphère « de dévouement, de sens de volonté », ponctué de réunions, 7 jours sur 7, où on ne compte pas ses heures « mais c’est tout à fait normal », précise Benjamin.
Justine Renault décrit son quotidien en cellule de crise dans l’un des départements parmi les plus touchés : « On commence par une réunion avec le préfet, tous les matins à 9h. On aborde les points importants de la journée, sur des sujets variés puis chacun retourne dans son bureau. Le préfet reçoit des alertes qu’il décide de faire remonter ou de traiter, cela peut être des choses très pragmatiques, voir combien de crèches sont ouvertes pour que les professionnels de la santé puissent travailler par exemple, ou des questions difficiles comme s’assurer que la chaîne funéraire n’est pas en tension. J’ai notamment travaillé sur le dépositoire de la ville de Mulhouse. Il faut répondre à des problématiques très terre à terre, c’est parfois dur à vivre mais on se dit qu’on n’intervient qu’à un niveau administratif et de gestion, pour ceux qui sont en première ligne, c’est autre chose, c’est une autre crise ».
Un travail qui nécessite une présence physique malgré le confinement
Si Justine et Benjamin n’ont pas eu à changer de domicile pour effectuer leur volontariat, ils ont néanmoins dû se rendre physiquement à la préfecture chaque jour. « C’est crucial d’être sur place », explique Justine. « Il faut rassembler des chiffres et les transmettre rapidement, faire le lien entre les cellules, pouvoir passer la tête dans le bureau du préfet pour une question rapide ».
La préfecture du Haut-Rhin a ainsi été réorganisée en plusieurs cellules : la cellule sanitaire en appui à l’Agence régionale de santé, une cellule économie et vie courante, une cellule ordre public et confinement ainsi qu’une cellule reprise des activités et des services publics. Un grand chantier qui doit lui aussi se plier aux règles sanitaires : « On est réparti dans de très grands bureaux », décrit Justine. « Les portes restent ouvertes, les gestes barrières sont respectés et la visioconférence est utilisée quand c’est possible, par exemple par le préfet à l’occasion des conférences de presse ».
Entraide entre élèves volontaires
Même dispatchés dans diverses administrations, les élèves de la promotion Hannah Arendt continuent à échanger sur les bonnes pratiques, les façons de faire, différentes selon les départements. « On s’entraide tous », raconte Benjamin. « Nombre de camarades sont mes interlocuteurs dans les agences de santé, on travaille ensemble sur la question des masques, des tests. Entre volontaires dans les préfectures, on partage notre expérience, ce qu’on observe, ce qu’il faut anticiper. On échange sur la façon dont on communique avec les entreprises et, notamment, sur la façon dont on met en place des tests pour les gens qui sont isolés chez eux. Ça nous aide aussi à bien comprendre les directives du gouvernement qui doivent être mises en place de façon appropriée selon les environnements. »
Il ressort de ces échanges une volonté commune d’être utile et de servir : « Nous sommes tous mobilisés, conscients de l’importance d’aider les soignants », conclut Benjamin.
Ce qu’ils en retirent
Une situation de crise, de nombreuses problématiques à traiter dans l’urgence, des sujets difficiles à aborder… Les élèves de l’ENA ont vécu et continuent à vivre, jusqu’à la reprise des cours, une expérience intense et formatrice. Pour Benjamin Huin Morales, cette expérience de gestion de crise conforte sa vocation : « ça confirme cette envie que j’ai depuis longtemps d’être utile sur le terrain, au contact de la population, des entreprises, des travailleurs. Quand je vois cet engagement des fonctionnaires, cela me rappelle pourquoi j’ai passé le concours ».
Pour Justine Renault, l’expérience a été particulièrement marquante. « J’ai été très touchée humainement. C’est une chose d’entendre parler de gestion de crise dans des stages et c’en est une autre d’être sur le terrain, et encore, j’étais dans un bureau donc dans un lieu protégé. On apprend à être très humble, à ne jamais baisser les bras. Ne pas compter nos heures, se dévouer à nos missions, c’est une question d’éthique et de morale : puisque les autres sont disponibles de tout temps, les fonctionnaires doivent l’être aussi. »
Elle est cependant très positive quant à l’accueil qui lui a été fait et s’avère plus déterminée que jamais à travailler pour le service public : « On est arrivé dans une nouvelle équipe qui nous a accueilli à bras ouvert, le préfet nous a fait confiance, nous a motivés, valorisés. C’est dans une situation pareille qu’on apprend ce qu’est l’État, qui peut paraître une notion lointaine. L’État, c’est aussi les hôpitaux, les médecins, ce sont les personnes qui font remonter les besoins en masque pour les services funéraires. L’État, c’est celui qui donne l’alerte pour qu’une situation de crise dans un département ne se reproduise pas ailleurs. Vivre tout ça m’a confortée dans l’idée que j’avais de servir l’État et les citoyens du mieux que je peux ».
Retour progressif à la normale
Avec le déconfinement et la reprise des cours le 25 mai, Justine et Benjamin vont reprendre un rythme normal et bientôt être diplômés. Comment voient-ils la suite ? « La scolarité reprendra mais, en tant qu’élu, je continuerai à gérer des problématiques liées à la crise, à organiser le déconfinement dans ma commune », explique Benjamin. Il n’a pas encore une idée précise du poste qu’il souhaiterait occuper mais est convaincu que sa place est au service de l’État. « Cette crise a démontré que les services publics ont un rôle très important à jouer et je sens que ma vocation c’est d’y contribuer. Il y a des métiers variés dans le secteur public permettant d’être sur le terrain qui pourrait me correspondre. »
Pour Justine aussi, chaque expérience confirme son choix de travailler pour l’administration publique. Elle n’envisage cependant pas encore l’après : « Pour le moment, je traite chaque problème jour après jour, heure après heure. Je me projetterai plus tard ».