Vie des campus

Quel bilan des premiers dispositifs de congés menstruels à l’université ?

Par Marine Dessaux | Le | Expérience étudiante

Suivant le mouvement entamé par l’Université d’Angers à la rentrée 2023, plusieurs établissements d’enseignement supérieur français expérimentent les congés menstruels. L’objectif ? Permettre de bénéficier, en cas de règles douloureuses, de plusieurs jours d’absence chaque année, sans passer à chaque fois par la case médecin. Un dispositif qui s’inscrit dans un contexte d’engorgement des cabinets de médecine de ville et des services de santé étudiante.

Une étude de l’Ifop de 2021 rapporte que près d’une femme sur deux souffre de règles douloureuses. - © Pexels/Andrea Piacquadio
Une étude de l’Ifop de 2021 rapporte que près d’une femme sur deux souffre de règles douloureuses. - © Pexels/Andrea Piacquadio

« Les cabinets médicaux sont saturés et exiger des justificatifs pour des motifs sans gravité contribue à cet embouteillage », observe Isabelle Mathieu, vice-présidente formation et vie universitaire à l’Université d’Angers (UA).

Et les services de santé étudiante (SSE), qui comptent peu de médecins au regard du nombre d’étudiants, ne peuvent pas absorber toute la demande. « Il est impossible d’y trouver un rendez-vous le jour même, sauf pour les urgences », rapporte la VP.

C’est ce contexte qui a poussé l’établissement angevin, sous l’impulsion de Sabine Mallet, vice-présidente formation et vie universitaire de l’époque, et Adrien Maslet, alors vice-président étudiants, à mettre en place des congés menstruels. L’UA est pionnière sur ce dispositif voté en Commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU), le 12 juillet 2023.

Une demande remontée par les associations étudiantes

Cette initiative a inspiré les associations étudiantes des universités Clermont Auvergne et Sorbonne Paris Nord : à leur tour, elles ont demandé à bénéficier de congés menstruels. L’établissement francilien a vu le sujet émerger lors des distributions de culottes menstruelles organisées avec la direction de la vie universitaire.

« Le collectif étudiant “Demain, c’est nous” a monté une enquête et, en trois jours, plus de 800 personnes y ont répondu. Plus de 95 % étaient favorables aux congés menstruels. Nous avons toutefois essuyé des critiques, beaucoup estimaient que les 10 jours proposés étaient insuffisants », raconte Goran Kaymak, président de ce collectif et vice-président étudiant.

Accueil mitigé par certains enseignants

L’Université Sorbonne Paris Nord est la première en Île-de-France à marcher sur les traces de l’Université d’Angers, en obtenant un « pour » unanime en mai 2024. Un côté précurseur qui explique que des réticences se soient franchement exprimées ?

Goran Kaymak est vice-président étudiant de l’Université Sorbonne Paris Nord. - © Université Sorbonne Paris Nord
Goran Kaymak est vice-président étudiant de l’Université Sorbonne Paris Nord. - © Université Sorbonne Paris Nord

« Nous avons reçu des retours négatifs de la part d’enseignants masculins, qui trouvaient discriminant d’estimer que les femmes ne pouvaient pas suivre les cours une fois par mois à cause de leurs menstruations », déplore Goran Kaymak.

À l’Université Clermont Auvergne, si le dispositif de congés menstruels n’a pas suscité de réticences, ce sont les congés maladie pour tous sans justificatif qui ont concentré l’émoi. En effet, l’UCA permet à tous les étudiants d’être absents pendant quatre jours dans l’année sans fournir de justificatif d’un médecin. Une initiative également mise en place à Angers, à hauteur de cinq jours.

« Certains enseignants craignent des abus, notamment pour les contrôles continus, explique Françoise Peyrard, vice-présidente formation de l’université. Mais il s’agit d’une démarche de confiance envers nos étudiants : nous les responsabilisons comme des adultes. À la marge, certains pourraient en abuser, mais ce n’est pas une raison pour pénaliser l’ensemble des participants. »

Une absence toujours pénalisante pour les examens terminaux

Si les congés menstruels permettent d’être absent pendant les travaux pratiques et évaluations continues sans impact sur les résultats académiques, rater les examens terminaux mène automatiquement aux rattrapages. « Comme c’est le cas de toute absence, quel que soit le motif », rappelle Françoise Peyrard.

Elle observe ainsi que, dans l’ensemble, les étudiantes essaient « autant que possible d’assister aux travaux pratiques (TP) et aux contrôles continus, car elles savent que cela pourrait les pénaliser ».

Un dispositif présent dans une dizaine d’universités

Les universités de Rouen, de Paris-Est Créteil, de Bordeaux Montaigne, de Montpellier 3, de Bretagne Occidentale, de Saint-Étienne, mais aussi Sciences Po ont voté des congés menstruels. Pour la plupart de ces établissements, ce dispositif a été mis en place autour de la rentrée 2024-2025.

Des modalités variables

Françoise Peyrard est vice-présidente formation de l’UCA. - © Service Communication de l’UCA
Françoise Peyrard est vice-présidente formation de l’UCA. - © Service Communication de l’UCA

Dans les universités ayant adopté les congés menstruels, les modalités reposent sur le déclaratif. Dans les universités Clermont Auvergne et d’Angers, les absences sont déclarées sur un espace dédié du learning management system (LMS). “Les étudiants doivent remplir une déclaration sur l’honneur où ils s’engagent à n’utiliser ce congé qu’en cas de douleurs ou troubles perturbant leur cursus”, précise Françoise Peyrard.

L’Université Sorbonne Paris Nord passe pour l’heure par un envoi de mail au secrétariat d’étude. “À l’avenir, nous voulons simplifier le dispositif en ligne, pour faciliter le travail des gestionnaires tout en garantissant le secret médical”, indique Rouguy Thiam-Sy, directrice de la vie universitaire.

Le service de santé étudiante de l’UCA impose un rendez-vous individualisé dans l’année. “Il n’y a pas de contrainte de soin, mais nous exposons les possibilités pour diminuer les souffrances”, précise Françoise Peyrard.

Si certains établissements proposent de douze à vingt jours de congés menstruels — un record détenu par l’Université de Bretagne Occidentale—, les trois établissements interrogés par Campus Matin prévoient dix jours. Elles laissent cependant la porte ouverte à une révision de cette quotité, en fonction des besoins. Toutes ont d’ailleurs prévu de faire un bilan en 2025.

Autre élément modulable : dans les universités Clermont Auvergne et d’Angers, les étudiantes peuvent cumuler plusieurs jours d’absence consécutifs, à condition de ne pas dépasser le quota annuel. Ce qui n’est pas possible à Sorbonne Nouvelle Paris Nord.

Un dispositif connu, mais encore assez peu utilisé

Isabelle Mathieu est vice-présidente formation et vie universitaire à l’Université d’Angers. - © D.R.
Isabelle Mathieu est vice-présidente formation et vie universitaire à l’Université d’Angers. - © D.R.

À l’Université d’Angers, 3 000 étudiantes sur 17 000, soit 17,6 %, ont déclaré utiliser ce dispositif en 2023-2024. “Ce dispositif est bien connu, car nous avons été à la pointe de sa mise en œuvre”, estime cependant Isabelle Mathieu. Elle précise que les étudiantes sont informées par des mails, mais aussi par leur référent de scolarité.

À l’Université Clermont Auvergne, Françoise Peyrard chiffre : “Sur l’ensemble de nos 36 000 étudiants, 2 050 personnes ont fait une demande et sont désormais éligibles. Nous prévoyons d’analyser la répartition par composantes et établissements pour identifier d’éventuelles sous-utilisations.”

Enfin, à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris Nord, ce dispositif est mis en avant par les associations étudiantes en direct et sur les réseaux sociaux. L’université compte “communiquer à ce sujet de nouveau par mail, car elle a pu être noyée parmi toutes les informations de rentrée, et via la nouvelle application mobile”, ajoute Rouguy Thiam-Sy.

Une initiative qui s’inscrit dans une politique plus large d’inclusion

Ces initiatives s’inscrivent dans une réflexion plus large sur l’inclusion et le bien-être dans l’enseignement supérieur, à l’instar des dispositifs pour les sportifs de haut niveau, les parents ou les personnes en situation de handicap. “Notre rôle est de prendre soin de l’étudiant, et pas seulement à l’université”, affirme Rouguy Thiam-Sy.

Isabelle Mathieu ajoute : “L’objectif est de faire de la place à la différence et à la pluralité des profils. Nous cultivons l’idée que la différence est une richesse, et non un frein.”

Et pour les personnels ?

Si ces mesures se généralisent pour les étudiants, leur adoption pour les personnels reste plus complexe. « Des discussions sont en cours, mais ce n’est pas aussi facile à mettre en œuvre, car cela implique d’autres dimensions, notamment salariales », précise Isabelle Mathieu.

L’Université d’Angers se penche également sur les congés ménopause. « Ces troubles invalidants nécessitent une prise en compte. La société se réveille sur ces sujets », estime la vice-présidente formation et vie universitaire.