L’action sociale dans les universités, en mal d’amour ?
Par Marine Dessaux | Le | Rse - développement durable
Depuis l’accession aux Responsabilités et compétences élargies, entérinées par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités de 2007, les établissements d’enseignement supérieur sont en charge de l’action sociale. Aides financières, sorties culturelles ou encore mise à disposition d’un assistant social : les prestations s’adressent aux personnels, enseignants et doctorants. 16 ans plus tard, comment les services ont-ils évolué et quelles sont les tendances ?
Après des débuts prometteurs pendant les années 2010, l’action sociale est-elle en train de retomber dans les établissements ? Souffre-t-elle d’un manque de popularité face à la qualité de vie au travail (QVT), le développement durable ou la RSE ? Association et universités partagent leurs réalités.
Évolution de l’action sociale dans l’ESR
La Fédération responsabilité sociétale et conseil en action sociale pour l’enseignement supérieur et la recherche (FNCAS) a suivi de près les débuts de cette dernière dans les universités.
« Il y a eu beaucoup de nouveaux personnels à former pendant les années 2010 : d’un coup, ce sujet qui relevait des rectorats est revenu aux établissements. Il y a eu du travail autour de structuration des services, de questionnements », retrace Joël Guervenou, président de cette association d’expertise-conseil.
Il a notamment été déterminé qu’il fallait au moins un temps plein d’assistant social pour 1 000 personnels. La même quotité minimale s’applique concernant le nombre de gestionnaires de prestations d’action sociale.
Un « effet peau de chagrin »
Après une phase où de nombreuses initiatives ont été mises en place et promues par les établissements, l’action sociale fait moins parler d’elle. « Aujourd’hui, la vague est passée, constate le président de la FNCAS. Les établissements se sont tous emparés de la question, mais elle est moins prise à bras le corps qu’il y a dix ans. On a l’impression que cela fait désormais partie du bruit de fond. »
« Dans certains établissements, il y a un effet peau de chagrin et l’action sociale tend à se réduire au minimum réglementaire : certaines prestations ont été oubliées, notamment celles en lien à l’accès à la culture, au sport ou encore restreintes quand il s’agit d’événements comme les arbres de Noël. Ce sujet est moins présent dans le discours. Notons qu’il y a très peu, à notre connaissance, de vice-présidents dédiés à ce sujet uniquement », poursuit-il.
Par ailleurs, si la plupart des établissements se sont désormais adjoints les compétences d’assistants de service social, « je ne suis pas certain qu’ils soient tous dotés d’un gestionnaire de prestations d’action sociale », ajoute Joël Guervenou. La quotité minimale n’est pas toujours respectée, note-t-il par ailleurs.
À contre-courant, certains établissements continuent à mettre ce sujet en avant, à l’instar de l’Université de Strasbourg qui organisait sa première fête des personnels, le 1er juin dernier. Le constat partagé reste celui d’une grande variété de réalités, selon les sensibilités des établissements et leurs moyens.
Un terme qui n’est plus à la mode ?
Si quelques universités continuent à mettre ce sujet en avant, d’autres préfèrent parler de qualité de vie ou de bien-être au travail. La faute à un vocabulaire démodé ? « L’expression est un peu galvaudée pour les uns, mais d’autres y sont attachés », estime Christèle Hoscar, directrice générale des services de l’Université de Limoges (Unilim).
Face à des concepts plus populaires, certains se mélangent les pinceaux… Même la FNCAS a élargi sa définition de l’action sociale, intégrant désormais la responsabilité sociétale et le développement durable, qui comprend un pilier social. Pour autant, diminuer les émissions de CO2 d’un établissement, par exemple, ne peut être considérée comme de l’action sociale !
Dans le cadre de ses fonctions d’administratrice de la FNCAS, Christèle Hoscar est attentive à cet écueil : « Nous sommes vigilants à ce que les services encore appelés action sociale n’ait pas évolué vers de la RSE uniquement. »
Des savoir-faire qui se perdent
Autre point qui témoigne d’une perte de vitesse de l’action sociale dans les établissements : l’expertise acquise au fil des années n’est pas toujours transmises entre agents de l’action sociale.
« Nous recevons des questions, qui vont du très technique sur le fonctionnement de base de prestations d’action sociale, jusqu’à des questionnements d’ordre stratégiques et/ou politiques. Avec l’élargissement des services ou lors de l’arrivée de nouveaux profils, certaines notions ne sont pas transmises et il y a une perte de savoirs », souligne Joël Guervenou.
Différentes structurations de services
La structuration de ces services varie beaucoup d’un établissement à l’autre. Pour la FNCAS, il n’y a pas d’organisation idéale. Le tout est de « trouver la bonne courroie pour que les services se parlent entre eux, se connaissent et travaillent conjointement au mieux commun ».
« L’action sociale est transversale. La question du périmètre rend parfois l’organisation difficile. Des rapprochements se font, de manière judicieuse, avec les RH », note Joël Guervenou.
C’est le cas à l’Université de Limoges, où ce service est rattaché à la direction des ressources humaines avec un agent sur la formation des personnels et un second sur les prestations d’action sociale. À cela viendra s’ajouter une nouvelle recrue, à partir de 2024. « Nous sommes en train de recruter un gestionnaire d’action sociale à mi-temps qui pourra notamment enquêter sur les besoins en interne », précise Christèle Hoscar. Un poste « amené à être pérennisé ».
Un service commun pour l’action sociale à l’Université de Bordeaux
L’Université de Bordeaux a, elle, entrepris un travail d’ampleur pour donner toute sa place à l’action sociale. Lors de la fusion des établissements en 2014, un service d’action sociale est d’abord créé, rattaché au pôle ressources humaines et développement social. Un modèle qui atteint vite ses limites.
« Dès 2019, il y a une volonté de donner plus d’envergure à ce service afin de prendre en compte l’innovation sociétale et les transitions », se souvient Murielle Reffet, qui pilote ce sujet dans l’établissement bordelais.
Un travail de deux années, accompagné par la FNCAS, commence donc pour penser une nouvelle organisation. C’est finalement un modèle tripartite qui est retenu, associant la gouvernance, le pôle administration générale et ressources humaines et les associations des personnels.
La direction de l’action sociale et de l’innovation sociétale, créée en juin 2021, pilote et déploie cette offre de services. Elle rassemble : le service universitaire d’action sociale, une cellule d’innovation sociétale, un service social du personnelet une correspondante handicap.
Cela représente une quinzaine de personnes au total : gestionnaires administratifs et financiers, référent QVT et télétravail, chargés de projet, assistants sociaux… Ses missions principales sont :
- gérer l’accompagnement social et individuel des personnels ;
- assurer l’information et la gestion des prestations sociales ;
- décliner et coordonner les orientations RH en matière de qualité de vie au travail, de handicap, d’égalité femme-homme et d’offre sociale.
Quelles prestations d’actions sociales et pour qui ?
« On a souvent la vision d’une action sociale réservée aux personnes défavorisées, mais elle s’adresse en réalité à tous les professionnels. Elle les accompagne dans les moments heureux et malheureux : parentalité, décès… », rappelle Murielle Reffet
Des référents deuil sont par exemple mis à disposition des proches afin de les renseigner sur les démarches à faire auprès de l’université et pour un soutien plus large. « Cela permet aux familles d’avoir un interlocuteur unique. Ils n’ont ainsi pas besoin de contacter chaque service, une situation qui peut aussi s’avérer difficile pour les personnels qui ne sont pas formés à l’écoute », explique la directrice de l’action sociale et de la transition société de l’Université de Bordeaux.
Certaines aides sont ouvertes sans condition de revenus comme les sorties culturelles, locations de vacances, aides pour les activités sportives, etc. Tout le monde est concerné : personnels, enseignants-chercheurs et doctorants. Les prestations doivent être en constante évolution pour répondre aux besoins et s’adapter à l’évolution de la pyramide des âges.
« La tendance est aux projets individuels, pour avoir un meilleur pouvoir d’achat notamment, plutôt qu’aux sorties collectives… », dit Christèle Hoscar.
Pour répondre à ces besoins, l’Université de Limoges a mis en place une plateforme, Place des salariés, qui rassemble des réductions, « un peu comme ce que peut proposer un comité d’entreprise ».
L’action sociale en chiffre à l’Unilim
« À l’Unilim le budget de l’action sociale est à la hausse. Nous essayons d’élargir continuellement l’offre », indique Christèle Hoscar. En effet, 115350,03 € ont au total été dépensés en 2022 contre 98955,73 € en 2021, 82516,31 € en 2020 et 100396,13 € en 2019.
La moyenne du montant de la prestation est néanmoins en baisse : 281 € contre 305 € en 2021 et 221 € en 2020.
Mais le nombre de bénéficiaires augmente : 291 agents ont bénéficié d’au moins une prestation de l’action sociale en 2022. Parmi eux, 68 sont primo-accédants. Un renouvellement en hausse par rapport aux années précédentes (30 nouveaux en 2021, 43 nouveaux en 2020, 52 nouveaux en 2019).
Par ailleurs, les bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, personnels sociaux et de santé (Biatss) en profitent plus que les enseignants (235 contre 56 en 2022).
Des innovations en voie de disparition ?
« Nous voyons très peu de création de nouvelles prestations d’action sociale d’initiatives universitaires, le nombre aurait plutôt tendance à diminuer. Force est de constater que certains établissements veulent y aller doucement, de peur de faire exploser les budgets », rapporte Cyril Garnier, premier VP de la FNCAS.
Pour Joël Guervenou, « il y a parfois un côté désabusé : à force de proposer des initiatives, de ne pas les voir soutenues, l’usure peut faire qu’on cesse être force de proposition. »
L’Université de Bordeaux, pourtant, innove. Des webinaires notamment ont été lancés en collaboration avec l’association Finances et pédagogie. L’établissement s’apprête également à en créer en interne pour informer les personnels de leurs droits.
Pour certaines innovations, il a fallu trouver des financements. « Nous avons répondu à plusieurs appels à projets, notamment du Fonds en faveur de l’égalité professionnelle du ministère de la transformation et de la fonction publique en 2022. Pour subventionner la création de vidéos, de tutos ou encore d’un guide de parentalité. » Via l’appel à projets du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche contre les violences sexuelles et sexistes lancé en 2021, un marque-page et une exposition ont également été créés.
Un travail autour de la communication pour un nouvel élan
Comme le mentionnait Joël Guervenou dans une interview de la FNCAS, « les établissements proposent des prestations que les personnels ne connaissent pas toujours ». Pour redonner un nouvel élan à l’action sociale, il semble indispensable de ne pas négliger une bonne stratégie de communication.
À l’Université de Bordeaux, la direction de l’action sociale et l’innovation sociétale mène des projets de manière transversale, elle collabore étroitement avec la direction des affaires juridiques et la direction de la communication. Ce deuxième partenaire est incontournable pour « dépoussiérer la vision de l’action sociale, faire connaître une offre de services élargie et faire de la prévention », liste Murielle Reffet.
L’Unilim mise également sur les temps forts de l’année. « Nous communiquons chaque année sur nos prestations, notamment lors de la journée d’accueil des personnels », dit Christèle Hoscar.
Concepts clés et définitions : #Biatss ou bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, personnels sociaux et de santé