Le parcours de combattant des pionniers des transitions dans le sup'
Par Isabelle Cormaty | Le | Rse - développement durable
Du Grenelle de l’environnement en 2007 à la remise du rapport Jouzel au début de l’année 2022, les enjeux liés au développement durable et à la responsabilité sociétale ont pris de l’importance dans l’ESR. Un président d’université et les référents développement durable de la Conférence des grandes écoles et de France Universités retracent les principales étapes ayant permis la prise en main de ces sujets par les institutions du supérieur.
« Quand je suis arrivé à la Conférence des grandes écoles fin 2010, seul un noyau dur d’une trentaine d’établissements se mobilisait sur les enjeux de développement durable. Ce fut un long parcours du combattant. » Voilà comment Gérald Majou de la Débutrie résume l’évolution de la prise en compte de ces enjeux dans l’enseignement supérieur durant la décennie écoulée.
Le référent développement durable et responsabilité sociétale de la Conférence des grandes écoles (CGE) a observé l’appropriation progressive de ces sujets par les établissements, jusqu’à leur portage politique aujourd’hui. Il témoigne aux côtés de Céline Leroy, depuis 2007 chargée de mission transition écologique et sociétale de France Universités (anciennement Conférence des présidents d’universités, CPU) et de Mathias Bernard, président de l’Université Clermont Auvergne.
Le Grenelle de l’environnement a créé une dynamique dans l’ESR
Si le Grenelle de l’environnement en 2007 marque l’un des premiers jalons de la mobilisation de l’ESR sur le développement durable, la CGE disposait déjà d’un référentiel sur le sujet et d’un groupe de travail, piloté par Jacques Bréjon. Le gouvernement confie ensuite à l’enseignant de Centrale la présidence d’un groupe interministériel sur l’éducation au développement durable dans le cadre du Grenelle de l’environnement.
« Ce groupe de travail a débouché sur la rédaction de l’article 55 arraché de haute lutte. Les discussions ont eu le mérite de mettre autour de la table des parties prenantes qui n’avaient pas l’habitude de se parler : le ministère, la CGE, la CPU et les étudiants », raconte Gérald Majou de la Débutrie.
L’article 55 de la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement promulguée en 2009 impose à tous les établissements d’enseignement supérieur de s’engager dans une démarche de développement durable au travers d’un Plan vert, et de pouvoir solliciter une labellisation.
« Cet article a enclenché pour la première fois une dynamique collective à l’échelle nationale. La CGE a décidé de passer d’un groupe de travail sur le développement durable à une commission. À cette époque, quelques établissements chefs de file comme Kedge ou encore l’École des Mines de Nantes avaient déjà des référents développement durable », poursuit le référent développement durable et responsabilité sociétale de la CGE.
Avec ces personnes et leurs équivalents dans les universités, la CGE et la CPU participent alors à des groupes de travail communs, animés au départ par le ministère de la transition écologique. « Nous étions environ 25 référents, dont une dizaine sont toujours en poste », souligne Céline Leroy. Cette mobilisation aboutit à la création en 2009 d’un référentiel, dit Plan vert, entre les universités, les écoles, les étudiants et le ministère, puis à partir de 2012 à l’organisation de colloques intitulés écocampus.
« Les établissements se sont autoévalués et la communauté, engagée sur ces sujets, s’est alors élargie à une cinquantaine d’établissements », complète Gérald Majou de la Débutrie.
Le référentiel DD&RS, un outil pour les établissements
En 2012, le ministère de la transition écologique s’étant retiré des travaux, une seconde version du référentiel voit le jour entre la CGE et la CPU. Les conférences d’établissements en proposent une troisième version, cette fois intitulée DD&RS en 2015, en parallèle du lancement du label DD&RS.
La dernière version de ce référentiel date de 2021. Particularité de ce texte : des organismes de recherche comme le CNRS, l'Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) ou encore l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ont participé à son élaboration.
Des sujets pilotés par les conférences d’établissements
Au-delà des actions individuelles des écoles et universités, les conférences d’établissements se structurent aussi en interne pour fédérer les chargés de mission engagés sur ces sujets. Elles regroupent à ce jour environ 250 référents DD&RS.
En 2016, France Universités crée notamment un groupe de travail sur le Programme d’efficacité énergétique des campus à horizon 2030. « Douze universités pilotes se sont engagées à élaborer un nouveau modèle allant vers la soutenabilité budgétaire des universités. Plus d’une vingtaine d’établissements sont maintenant dans le processus et disposent d’un outil de prospective financière en libre accès », détaille Céline Leroy.
Depuis 2013, la conférence dispose par ailleurs d’un comité développement durable, transformé en 2021 en comité de la transition écologique et sociétale, afin de prendre en compte la dimension systémique du sujet.
Pour Mathias Bernard, président de ce comité de 2021 à 2022, son existence « permet d’agréger les réflexions engagées par les présidents d’université, d’animer un réseau au sein des établissements et d’être reconnu par les acteurs institutionnels. La notion de transition est importante. Par leurs missions de recherche, de formation et d’innovation, les universités ont un rôle particulier à jouer pour préparer l’avenir. »
Depuis janvier 2023, le comité est devenu l’une des quatre commissions permanentes de France Universités, « ce qui souligne l’importance que revêtent les enjeux de la transition socio-écologique dans la stratégie des universités », précise le président de l’Université Clermont Auvergne.
Le rôle des étudiants dans la prise en compte de ces enjeux
Quel rôle ont joué les étudiants dans ces évolutions ? Pour le chargé de mission de la CGE, ils représentent le levier le plus fort pour faire bouger les institutions. Il cite les manifestations pour le climat et la publication du Manifeste étudiant pour un réveil écologique en octobre 2018. Signé par plus de 31 000 étudiants de 400 établissements du supérieur, le texte marque l’émergence d’un collectif structuré et force de proposition auprès des institutions.
« Il y a eu un avant et un après Pour un réveil écologique. Leur manifeste a fait l’effet d’une bombe qui a profondément secoué l’enseignement supérieur et les entreprises. Avant ces mouvements étudiants, peu de présidents d’université ou de directeurs osaient monter au créneau publiquement sur ces sujets », se souvient Gérald Majou de la Débutrie.
Le président de l’Université Clermont Auvergne, Mathias Bernard nuance toutefois le rôle moteur des étudiants dans les universités.
« Beaucoup d’étudiants sont inquiets par rapport à l’avenir de la planète, mais tous ne sont pas militants. Cela varie surtout en fonction du type de formation et des disciplines. Mais il est important pour les universités de s’appuyer sur les étudiants pour accélérer la transition. »
« Nous échangeons régulièrement avec les associations comme le Réseau étudiant pour une société écologique et solidaire (Reses), la Fédération des associations générales étudiantes (Fage) et la Convention pour la transition des établissements du supérieur (CTES). Il y a maintenant des associations consacrées au développement durable dans la majorité des universités, mais encore trop peu d’étudiants s’y engagent », ajoute Céline Leroy.
La montée en puissance au niveau politique
La prise en main des sujets liés au développement durable s’est accélérée ces derniers mois, notamment dans les équipes présidentielles des universités. Alors que ces problématiques étaient autrefois une mission secondaire des vice-présidents ou directions de l’immobilier, elles sont de plus en plus portées politiquement, avec une personne dédiée.
« Le renouvellement des gouvernances de nombreuses universités durant les trois dernières années s’est accompagnée de la nomination de VP transition écologique ou développement soutenable. C’est un signal politique fort ! », note Céline Leroy.
« Ces vice-présidents s’appuient sur des chargés de mission, voire des équipes dédiées, pour mettre en place une feuille de route en matière de transition écologique et sociétale. France Universités accompagne la montée en puissance de ces équipes, aux côtés de réseaux comme le Collectif pour l’intégration de la responsabilité sociétale et du développement durable dans l’enseignement supérieur (Cirses) », constate la chargée de mission de la conférence.
Preuve de la professionnalisation de ces fonctions et de la multiplication des VP DD&RS, une association réunissant les vice-présidents et chargés de mission en charge de la transition écologique et sociétale des universités (VP-Trees) s’est constituée début septembre 2022.
Le ministère de l’enseignement supérieur à la manœuvre
Le portage politique de ces sujets se fait désormais dans les établissements et au ministère. Nommée en mai dernier ministre de l’enseignement supérieur, l’ancienne présidente de l’Université Paris Saclay a recruté dans son cabinet une conseillère transition écologique en la personne de Jane Lecomte.
L’ancienne professeure des universités en écologie figurait déjà dans l’équipe de gouvernance de Sylvie Retailleau à Saclay comme VP développement soutenable. « Jane Lecomte a suivi toute l’élaboration du rapport Jouzel dans le groupe de travail, c’est une courroie de transmission très efficace auprès de la ministre », souligne Gérald Majou de la Débutrie.
Au ministère, elle est épaulée par Michel Eddi, récemment promu haut fonctionnaire au développement durable. L’ancien PDG du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) doit rédiger le plan climat et biodiversité du MESR, la déclinaison ministérielle du plan gouvernemental de planification écologique « France Nation Verte ».
« C’est la première fois que nous avons, à un niveau politique aussi élevé au ministère, des personnes-ressources qui ont une expertise forte sur ces sujets de par leur parcours personnel, salue Mathias Bernard. Nous n’avions pas d’interlocuteur sur ces problématiques dans les précédents cabinets. »
Vers des schémas directeurs du développement durable ?
Les établissements devront aller encore plus loin d’ici 2023 en établissant des schémas directeurs du développement durable. C’est ce qu’a annoncé Michel Eddi lors des rencontres 2022 de Campus France fin novembre :
« Nous avons passé le temps du volontariat, des établissements les plus en avance. Ces chantiers doivent désormais concerner tout le monde et chacun doit apporter sa contribution. Le ministère souhaite demander à tous les établissements de produire un schéma directeur du développement durable et de la responsabilité sociétale d’ici deux ans. »
Les annonces de Sylvie Retailleau en octobre
En clôture du séminaire « Former à la transition écologique dans l’enseignement supérieur » organisé par le ministère à Bordeaux le 20 octobre, Sylvie Retailleau a fait plusieurs annonces :
• Un socle de connaissances et compétences globales, transversales et pluridisciplinaires sera proposé aux étudiants, au plus tard en 2025. Cette formation sera une des conditions pour pouvoir être diplômé du premier cycle. La formation donnera aussi lieu à une certification, dont le cahier des charges sera proposé en 2023.
• Une formation certifiante à la transition écologique concernera les nouveaux enseignants recrutés en 2023.
• Des nouvelles formations initiales et continues sur les nouveaux métiers de la transition écologique verront le jour.
• Un volet dédié à la prise en compte des enjeux environnementaux et climatiques de la transition écologique sera intégré dans les contrats d’objectifs, de moyens et de performance des établissements (COMP).