Les établissements sortent leur bouclier sobriété
Par Isabelle Cormaty | Le | Stratégies
Pour faire face à la hausse des prix de l’énergie non compensée par l’Etat, les établissements du supérieur adoptent des plans de sobriété, quitte à faire polémique. Fermeture administrative plus longue, baisse du chauffage et cours en distanciel sont sur la table. Peuvent-elles affecter les capacités d’enseignement et de recherche ? Campus Matin fait le point sur les différentes stratégies adoptées dans le supérieur.
Depuis le printemps, les présidences d’université, directions des écoles et conférences les représentant alertent le gouvernement sur les conséquences de la hausse des prix de l’énergie qui grève leur budget.
Malgré ces appels à l’État, lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2023 ce lundi 26 septembre, le gouvernement a précisé que le surcoût énergétique ne donnerait pas lieu à une rallonge budgétaire pour l’année 2022.
Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche appelle les établissements du supérieur à un « effort de solidarité » et les invite à transmettre au rectorat leur projet de plan de sobriété d’ici le 31 octobre. Il fixe un objectif : une réduction de 10 % des consommations en 2024 par rapport à 2019.
Quelles sont les consignes gouvernementales ?
Dans une circulaire envoyée aux opérateurs de l’ESR le 24 septembre, le ministère recommande aux établissements plusieurs leviers d’actions allant de l’immobilier, au chauffage en passant par la mobilité et les activités de recherche. Parmi les pistes évoquées pour faire des économies :
- Réduire d’au moins 20 % les déplacements professionnels (type colloques ou séminaires) en limitant ceux pouvant être remplacés par la visioconférence et en reportant vers le train certains déplacements ;
- Former et sensibiliser tous les étudiants, personnels et enseignants aux enjeux de transition écologique et de développement soutenable ;
- Réaliser des bilans énergétiques systématiques, bâtiment par bâtiment, accompagnés de la mise en place d’outils de suivi des consommations.
- Éteindre tous les appareils électriques en veille et envisager le renouvellement des matériels énergivores.
- Limiter le chauffage à 19 degrés.
Ne pas utiliser le distanciel pour faire des économies
« Pour l’ensemble des établissements, les consignes données par la ministre sont bien de ne pas pénaliser ni les étudiants ni les conditions d’enseignement. Il n’est donc pas question de remettre en cause les campagnes de recrutement, les projets d’investissements déjà prévus, ou de favoriser le distanciel », assure le ministère.
Invitée de la matinale de France TV Info le 20 septembre, Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche affirmait que l’ESR se devait d’être « exemplaire » dans la réduction de sa consommation.
« Nous allons donc accompagner les établissements dans la mise en place de ce plan de sobriété énergétique. La fermeture n’est pas l’orientation que prennent les universités en priorité. Le passage à distance de cours avec les modifications d’emplois du temps, ce n’est pas du tout la priorité. Nous en avons vu les conséquences au moment de la crise Covid, il faut y faire attention. Et puis, d’une manière générale, vous reportez un problème énergétique sur un autre », déclarait-elle.
Quelles stratégies dans les établissements ?
Deux semaines de fermeture en plus à l’Université de Strasbourg
Pour faire des économies d’énergie, l’Université de Strasbourg a pris un ensemble de mesures, parmi lesquelles une décision à forte charge symbolique : fermer deux semaines de plus ses locaux. Avec une semaine de coupure administrative supplémentaire début janvier et une semaine de cours en distanciel en février. La bibliothèque universitaire restera ouverte.
Une mise en route plus tardive du chauffage et son arrêt plus tôt dans l’année sont aussi prévus. La gouvernance a mis en plus des plans de continuité d’activité pour l’ensemble des services et des composantes afin de « prioriser les activités, en cas de stricte nécessité ».
Une décision qui a fait réagir la communauté universitaire strasbourgeoise et bien au-delà. Les syndicats Solidaires étudiants Alsace et Sud éducation Alsace ont dénoncé le « prix social » des choix de la gouvernance dans un message publié le 22 septembre :
« Combien d’étudiants se retrouveront de fait confinés dans des logements où il est impossible de maintenir des températures décentes ou de dégager un réel espace de travail ? Combien de personnels précaires devront de nouveau transformer leur espace de vie privée en un espace de travail, mais aussi assumer personnellement les frais énergétiques engendrés par ce travail à distance ? », questionnent les organisations représentant étudiants et personnels.
Confronté à la polémique, Michel Deneken assume et se réjouit d’avoir « ouvert le débat ». Selon le président de l’université, « les quelques jours de fermeture ne signifient absolument pas une dégradation de l’enseignement ». Surtout, il assure que les étudiants sur le campus approuvent la mesure et regrette une instrumentalisation. « Comme président responsable, je ne peux pas me contenter du statu quo », lance-t-il avant de rappeler que le plan de sobriété doit être approuvé en novembre par son conseil d’administration.
Optimiser les équipements de recherche énergivores
Notre intention n’est pas de sacrifier nos emplois pour du gaz et de l’électricité.
Pendant que la discussion se poursuit à Strasbourg, la plupart des autres établissements du supérieur préfèrent eux garder leur établissement ouvert et privilégier l’enseignement en présentiel.
« Notre priorité est de faire fonctionner l’établissement. Notre intention n’est pas de sacrifier nos emplois pour du gaz et de l’électricité. Nous pourrions fermer six mois et être très riches, mais nous sommes convaincus que nos étudiants attendent le présentiel », souligne le président de l’Université Jean Monnet, Florent Pigeon le 20 septembre lors de la conférence de rentrée de l’université située à Saint-Étienne.
Si la situation des établissements diffère en fonction du bâti, du nombre d’étudiants et des formations, les écoles et universités qui disposent d’équipements de recherche énergivores ont davantage de difficultés financières.
« Les plateformes technologiques, selon le type d’équipement, peuvent être très consommatrices d’énergie, insiste Romuald Boné, directeur de l’Insa Strasbourg et vice-président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (Cdefi). Ces écoles mènent des réflexions pour optimiser les temps de fonctionnement des équipements, en gardant en tête la qualité de nos formations professionnalisantes. »
Le rappel et l’application des écogestes
Les universités font aussi preuve de pédagogie envers les étudiants, personnels et enseignants. « Nous avons réfléchi à la manière de communiquer pour encourager ces éco-gestes : débrancher les appareils, ne pas utiliser de chauffage individuel, diminuer ou couper le chauffage en soirée et pendant les week-ends, fermer les portes et les fenêtres, etc. », détaille Virginie Dupont, présidente de l'Université Bretagne Sud dans un entretien à News Tank (abonnés) le 14 septembre.
Des gestes de bon sens parfois difficiles à appliquer en fonction du système de chauffage ou de la disposition des bâtiments comme le constate Marie-Dominique Savina, directrice générale des services de l’Université de Lille lors de la conférence de rentrée de l’établissement le 14 septembre.
Un plan de sobriété est en cours d’élaboration, « pour voir ce qu’il est possible de faire compte tenu de l’organisation patrimoniale qui ne permet pas toujours de baisser le chauffage de manière différenciée, pour les salles inoccupées ».