Vie des campus

Énergie : les établissements du sup’ dans l’incertitude face à la hausse des prix

Par Isabelle Cormaty | Le | Relations extérieures

Les écoles et universités subissent de plein fouet la flambée des prix de l’énergie depuis la guerre en Ukraine. Tous les établissements tentent de réduire leur consommation et se demandent qui va payer la facture, estimée à plus de 100 millions d’euros pour l’ESR.

Énergie : les établissements du sup’ dans l’incertitude face à la hausse des prix
Énergie : les établissements du sup’ dans l’incertitude face à la hausse des prix

Comme les particuliers et les entreprises, les établissements du supérieur constatent une augmentation de leurs factures d’énergie depuis le début de la guerre en Ukraine en février et dans un contexte inflationniste. Deux questions inquiètent particulièrement les chefs d’établissement : comment boucler le budget et réduire les dépenses ?

Un surcoût de plus de 100 millions d’euros pour l’ESR

À combien s’élève la facture pour les établissements du supérieur ? Dans une note de mai 2022 sur l’impact probable de la hausse du coût de l’énergie, France Universités appelait le gouvernement à octroyer une rallonge budgétaire : 

« L’hypothèse d’une augmentation du coût de la consommation de l’ordre de 70 millions d’euros nous semble raisonnable et devrait faire l’objet d’un ajustement budgétaire pour l’exercice 2022 à l’occasion de la prochaine loi de finances rectificative. »

Dans le projet de loi de finances rectificatif pour 2022 présenté début juillet, l’État a prévu 30 millions d’euros supplémentaires pour la mission recherche et enseignement supérieur. Sans pour autant préciser l’affectation de cette rallonge dont le montant est bien loin des attentes des présidents d’université…

« France Universités regrette, malgré plusieurs alertes auprès du gouvernement, que des mesures budgétaires concernant le coût de l’énergie pour les établissements publics n’aient pas été prises. Le conflit en Ukraine a d’ores et déjà des conséquences importantes et durables que France Universités estime à près de 100 millions d’euros », réagit le 8 juillet la conférence.

Une estimation sous-évaluée ?

Des directeurs généraux des services, responsables des finances ou de l’énergie confient toutefois à Campus Matin leur inquiétude face à la flambée des prix, considérant l’estimation de France Universités largement sous-évaluée !

Nathalie Drach-Temam préside Sorbonne Université. - © Laurent Ardhuin
Nathalie Drach-Temam préside Sorbonne Université. - © Laurent Ardhuin

À l'Université Jean Monnet, le surcoût est estimé entre 1,6 et 2 millions d’euros sur l’exercice en cours par exemple. 

Le conseil d’administration de Sorbonne Université a pris une décision forte le 5 juillet dernier en votant un budget rectificatif en déficit de 3,2 millions d’euros, « pour adresser un signal d’alerte au gouvernement sur la situation financière des établissements ». Dans un message interne, la présidente de l’établissement, Nathalie Drach-Temam s’explique :

« L’inflation de près de 6 % ainsi que la forte augmentation du coût des matières premières et des factures d’électricité vont peser très lourdement sur le budget des universités comme la nôtre. À cela, s’ajoutent des mesures réglementaires, comme celles de la LPR qui ne sont pas compensées intégralement. »

Des situations variables localement

Si la hausse des prix des fluides touche tous les établissements du supérieur, les conséquences budgétaires sont variables en fonction des contrats passés, des fournisseurs et de la consommation. 

Anne Mangano est directrice de la gestion du patrimoine immobilier de l’Université de Haute Alsace. - © D.R.
Anne Mangano est directrice de la gestion du patrimoine immobilier de l’Université de Haute Alsace. - © D.R.

L'Université de Haute Alsace, engagée dans une démarche écocampus depuis plus d’une dizaine d’années est relativement épargnée, pour l’instant.

« Nous avons lancé une ISO 50001 en 2012. Nous consommons aujourd’hui 16 % de moins qu’en 2014 lors de notre certification. Le coût de l’énergie est relativement stable au sein de l’établissement, mais nous commençons à sentir des hausses », détaille Anne Mangano, directrice de la gestion du patrimoine immobilier de l’UHA.

L’université a notamment signé des accords-cadres avec un fournisseur d’énergie pour négocier les tarifs en avance, jusqu’à la fin de l’année 2023. Mais la baisse de sa consommation ces dernières années ne suffit pas à compenser les hausses récentes.

« Nous constatons une augmentation de près de 15 % des coûts de l’énergie liés à la hausse de nos abonnements, des taxes et du chauffage urbain, alors que nous avons acheté la molécule en avance. Concernant le chauffage urbain, nous n’avons pas la main sur le marché, mais la hausse est plutôt lissée », complète Marianne Alliot, responsable énergie de l’université. 

L’Université de Haute Alsace anticipe toutefois une hausse de ses factures d’énergie dans les années à venir, avec cette fois un rattrapage par rapport aux prix du marché.

Les disparitions de fournisseurs fragilisent des établissements

À l’inverse, plusieurs établissements ont eux été mis en difficulté ces derniers mois par la perte de leur fournisseur d’électricité, les obligeant dans l’urgence à souscrire un autre contrat.

Florent Pigeon préside l’Université Jean Monnet depuis mai 2021. - © Université Jean Monnet
Florent Pigeon préside l’Université Jean Monnet depuis mai 2021. - © Université Jean Monnet

C’est le cas notamment de l'Université Jean Monnet à Saint-Étienne comme l’explique son président dans une interview accordée à News Tank (abonnés).

« Le problème c’est qu’on ne subit pas juste la hausse du coût de l’électricité. Un grand nombre des établissements du site avaient souscrit à un marché en commun avec un fournisseur [E-Pango] qui s’est vu retirer — pour des raisons qui nous échappent —, son agrément EDF le 18 mars. Cela nous a obligés à passer au marché de secours qui vend l’électricité au prix du marché, et nous sommes donc à plus de 100 % de hausse ! », s’exclame Florent Pigeon.

Après avoir changé de fournisseur pour bénéficier d’une électricité plus verte à l’été 2021, l'École supérieure du bois a connu la même mésaventure que l’université stéphanoise. Son fournisseur Planète Oui a été placé en liquidation le 1er mars 2022.

« Nous avons pris de plein fouet l’augmentation des prix de l’électricité à un moment où nous devions changer de contrat. Nous avons trouvé un prestataire qui nous facture environ 290 € du mégawatt-heure contre 180 € précédemment. Nous allons renégocier le contrat dans quelques mois, mais la différence est déjà significative », témoigne Arnaud Godevin, le directeur de l’école.

La réduction de la consommation se poursuit

« Nous ne souhaitons surtout pas augmenter les frais de scolarité ni modifier la maquette pédagogique », insiste le directeur de l’ESB. L’école qui compte environ 400 étudiants utilise notamment des machines pour travailler le bois. Elle va poursuivre sa démarche d’économie d’énergie initiée il y a deux ans. « Nous avons renouvelé notre parc de machines et mieux calibré la motorisation. Nous avons aussi revu tous les éclairages dans l’école », énumère Arnaud Godevin.

Vers une plus grande mutualisation pour réduire les coûts ?

Le mètre carré qui ne coûte rien est celui qui n’existe pas ! Tel est le credo que confient à demi-mot certains dirigeants. Pour diminuer leurs dépenses énergétiques, certains établissements réfléchissent de plus en plus à mutualiser leurs infrastructures. 

L’École supérieure du bois peut compter sur un réseau de chaleur commun avec d’autres écoles et entreprises situées à proximité du campus. 

« En 2010, nous avons eu l’idée avec l’IMT, Polytech, Oniris et l’école de design de créer un réseau de chaleur qui a été inauguré en 2012. Le coût de la biomasse est aujourd’hui inférieur à celui du gaz et sujet à moins de volatilité. Nos dépenses en chauffage restent donc raisonnables », explique le directeur de l’ESB.

Des déplacements en baisse depuis la pandémie

Si l’augmentation du prix de l’électricité et du gaz est source d’inquiétudes et d’incertitudes, la hausse du prix de l’essence pèse moins sur les établissements du supérieur. En cause : la forte diminution des trajets en voiture depuis mars 2020. 

« Avec l’épidémie, nous avons réduit drastiquement nos déplacements et nous avons pris l’habitude de la visio. Nous avons repris les déplacements depuis, mais nous en faisons moins qu’avant la crise sanitaire », illustre Arnaud Godevin.