[Cap sur 2025] Direction deux établissements américains emblématiques de Boston, avec Minh-Hà Pham
Par Isabelle Cormaty | Le | Relations extérieures
Durant les vacances de Noël, Campus Matin part à la rencontre de personnalités de l’ESR aux parcours internationaux. Pour ce troisième épisode de notre série d’interviews décalées, la rédaction a interrogé la chercheuse Minh-Hà Pham, ancienne conseillère scientifique à l’ambassade de France à Washington puis à Londres, et actuellement en poste à la Fondation CNRS.
Quel est le campus étranger qui vous a impressionné ?
Minh-Hà Pham : À Boston, deux campus emblématiques m’ont marqué : le Massachusetts institute of technology (MIT) et Harvard. Ces deux institutions mythiques, situées à quelques kilomètres l’une de l’autre, incarnent des modèles radicalement différents de l’ESR, à la fois concurrents et complémentaires.
Harvard suit un modèle britannique avec un campus fermé, des bâtiments en briques rouges et une architecture traditionnelle. Vous avez presque l’impression d’être à Oxford ! À l’inverse, le MIT est un campus ouvert, plus moderne esthétiquement et avec des bâtiments éparpillés dans tout son quartier. Bien qu’en compétition, ces deux établissements ont créé des structures communes, combinant le meilleur des deux systèmes.
En plus de ses campus, Boston accueille de nombreuses structures d’innovation et de transfert technologique. Il y règne une atmosphère vibrante, la recherche et l’innovation imprègnent toute la ville. Et cette modernité coexiste avec les quartiers historiques de Boston, est aussi un lieu fondateur des États-Unis d’aujourd’hui.
D’autres campus américains m’ont également impressionnée : Berkeley imprégnée par l’histoire des grandes manifestations étudiantes de la fin des années soixante et Stanford, isolée géographiquement, mais avec des installations de grande ampleur.
Un véritable esprit d’appartenance à une alma mater
Les campus américains offrent un environnement d’étude agréable avec une multitude d’activités et de services ouverts à toute heure. Souvent éloignés de leur famille pendant quatre ans, les étudiants tissent des liens très forts avec leurs collègues et leur université. Il y a un véritable esprit d’appartenance à une alma mater. Cet attachement se poursuit après leurs études, les alumni jouent un rôle essentiel dans le financement des établissements.
Quelle est la pratique (pédagogique, organisationnelle, culturelle…) qu’il faudrait importer dans l’ESR français ?
Je suis sensible à la capacité des scientifiques à communiquer leurs travaux auprès du grand public. En France, nous ne sommes pas toujours très bons en vulgarisation scientifique, car on se méfie de la simplification.
Nous insistons sur la rigueur scientifique, quitte parfois à perdre de vue l’enjeu de fond : rendre accessible à un public large et peu informé des enjeux complexes comme le changement climatique ou les pandémies. Aux États-Unis par exemple, les musées de sciences naturelles sont axés sur la pédagogie et les expositions conçues pour être compréhensibles par un adolescent de 15 ans et un public très varié.
Par ailleurs, le dialogue entre scientifiques et grand public n’est pas toujours fluide, comme nous l’avons observé durant la pandémie de Covid-19.
Au Royaume-Uni, comme dans d’autres pays, il existe un chief scientific advisor (conseiller scientifique en chef) au rôle bien identifié d’interlocuteur principal en cas de questionnement scientifique. Il consulte bien sûr très largement la communauté scientifique pour construire ses réponses. Cela contribue à une meilleure confiance du public dans la science.
Le dialogue entre scientifiques et grand public n’est pas toujours fluide
En France, la création d’un tel conseiller a été évoquée, notamment dans le rapport Gillet, mais cette idée n’a pas encore abouti. Nous fonctionnons différemment, avec des structures comme l’Académie des sciences ou l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Ces institutions sont capables de conseiller les décideurs, mais n’ont pas le même rôle qu’un conseiller scientifique national avec une vision d’ensemble.
Les frontières se ferment, les tensions géopolitiques sont là. Un motif d’espoir dans l’ESR ?
Les chercheurs sont ma principale source d’optimisme. Ils ont la capacité de se rencontrer, dialoguer et démarrer des collaborations, indépendamment des relations officielles entre leurs établissements ou leurs pays. Même en cas de conflit entre deux États, les chercheurs parviennent souvent à maintenir des liens, ce qui est essentiel pour préserver la coopération scientifique.
Un exemple marquant est celui du Royaume-Uni post-Brexit. Début 2021, ce pays est sorti de la communauté européenne et du programme Horizon Europe. Cela aurait pu marquer une rupture, mais il y a eu une mobilisation forte des chercheurs des deux côtés de la Manche. Les présidents d’université britanniques ont exprimé leur envie de continuer à travailler avec leurs homologues européens.
Ce mouvement, initié par la communauté scientifique, a permis de tenir bon pendant la transition et relancer les collaborations ensuite.
Tenir bon pendant la transition et relancer les collaborations
En 2023, le Royaume-Uni est finalement revenu dans Horizon Europe avec un statut de pays associé. Cela a été possible grâce à la persistance de ces liens. Et en 2024, un comité mixte entre la France et le Royaume-Uni a été mis en place au niveau des ministères pour accompagner cette réintégration et définir les modalités de coopération bilatérale en science et technologie.
Faites-nous voyager (si possible sans avion) ! Quel est le pays qu’il faudrait visiter en 2025 ?
Étudier au Royaume-Uni dans une université, que ce soit à Londres, en Écosse ou en Irlande du Nord est une opportunité exceptionnelle pour les étudiants. Même si l’image des pensionnats britanniques a été popularisée, avec quelques exagérations, par Harry Potter, une fois sur place, on comprend pourquoi les étudiants apprécient tant ces lieux : ce sont des campus à taille humaine, avec un cadre et une qualité d’enseignement et de vie étudiante remarquables.
La mobilité étudiante vers le Royaume-Uni reste un défi : le pays a réintégré Horizon Europe, mais pas le programme Erasmus. L’obligation de visa et l’augmentation des coûts d’inscription compliquent les échanges, ce qui est regrettable.
Les campus anglo-saxons mêlent souvent arts et sciences
Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, les campus sont attachés à la dimension culturelle. La plupart des établissements ont leur propre musée et proposent des parcours artistiques, des serres… Les campus anglo-saxons mêlent souvent arts et sciences, avec des infrastructures qui permettent d’explorer ces deux univers.
En France, les établissements cherchent à s’ouvrir au grand public, notamment avec des parcours interactifs pour transmettre des connaissances scientifiques. Il s’agit d’amener le public à découvrir la science par des moyens accessibles et agréables. En France, les universités sont organisées différemment, mais développent aussi le souhait de s’ouvrir au grand public, et des échanges de bonnes pratiques avec des universités internationales pourraient les aider à y parvenir.
De la recherche aux relations internationales, le parcours de Minh-Hà Pham
Ingénieure diplômée d’AgroParisTech, Minh-Hà Pham est titulaire d’un doctorat en neurosciences. Elle commence sa carrière comme chercheuse, spécialiste de la biologie et de la neurobiologie des abeilles. Elle dirige notamment le laboratoire de neurobiologie comparée des invertébrés à l’Institut national de la recherche agronomique (aujourd’hui Inrae).
En 2002, elle bifurque et devient directrice adjointe des relations internationales du CNRS pour la zone Asie-Pacifique. Après différentes responsabilités dans les relations internationales de l’ESR, elle est nommée en 2013 conseillère pour la science et la technologie à l’ambassade de France à Washington.
Elle revient en France en septembre 2018, comme vice-présidente relations internationales de l’Université PSL, avant de rejoindre en août 2020 l’ambassade de France à Londres durant les discussions sur le Brexit. Depuis septembre 2024, Minh-Hà Pham est chargée de mission pour la mise en œuvre de la stratégie de développement internationale à la Fondation CNRS.