Wikimédien en résidence : former et fédérer les acteurs de l’ESR autour de Wikipédia
Ils forment des doctorants, bibliothécaires et enseignants-chercheurs à Wikipédia, réunissent les acteurs locaux, organisent des éditathons… Qui sont les wikimédiens en résidence qui, dans l’ombre, renforcent les liens entre l’encyclopédie collaborative et l’ESR ? Delphine Montagne et Pierre-Yves Beaudouin racontent leur quotidien.

Peu connues du grand public, les résidences de wikimédiens s’implantent dans le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche. Deux d’entre eux vivent l’expérience dans une unité régionale de formation à l’information scientifique et technique (Urfist), respectivement celles de Nice et de Lyon : Pierre-Yves Beaudouin, ancien président de Wikimédia France- l’association qui regroupe les utilisateurs de Wikipedia et les autres projets de la Fondation Wikimedia-, et Delphine Montagne, ingénieure d’études et contributrice depuis 2020. Ils s’attachent à dynamiser les relations entre Wikipédia et le monde académique.
En quoi consiste une résidence de wikimédien ?
Pierre-Yves Beaudouin : Cela dépend du lieu d’accueil. Il y a eu au moins 300 wikimédiens en résidence dans le monde, principalement dans les pays anglo-saxons, et une quinzaine en France. Beaucoup de résidences se déroulent dans le milieu de la culture, avec pour objectif de produire du contenu. Ici, c’est plutôt de la formation : aux doctorants, bibliothécaires, ingénieurs de recherche…
Généralement, la structure d’accueil subventionne la résidence, mais dans ce cas précis, le ministère de l’ESR finance entièrement le projet. Les résidences ont lieu en même temps dans le cadre de ce partenariat, qui est rattaché au Plan d’action national pour un gouvernement ouvert. La durée de ces financements est de deux ans, avec un budget conséquent mais réparti sur une période limitée. C’est pourquoi, chaque année, trois postes sont ouverts, dans un premier temps dans l’Ouest de la France puis dans l’Est.
Les Urfirst sont des unités de formation qui existent depuis les années 80. Les résidences bénéficient de leur réseau et leur expertise. En revanche, ce n’est pas un public captif donc c’est à nous de remplir les formations.

Delphine Montagne : Je suis très investie dans le milieu du libre et d’OpenStreetMap. Pour moi, un wikimédien en résidence est à la croisée des mondes entre Wikipédia et la recherche. J’essaie d’hybrider ces deux univers en favorisant les rencontres entre les acteurs, à la fois en ligne et hors ligne. Par exemple, Wikiquote permet de mettre en valeur des citations de chercheurs.
Nous organisons également des éditathons. Nous faisons le lien avec les groupes locaux : à Lyon, il existe un groupe d’une trentaine de wikimédiens. En ligne, nous avons des wikicafés et des webinaires, qui permettent de croiser ces deux communautés. L’idée est aussi d’accompagner des initiatives locales, comme la création récente d’un groupe de wikimédiens à Dijon.
Pour qu’une dynamique autour de Wikipédia se crée, il faut avoir une approche globale, structurelle. À Dijon, par exemple, cela passe par exemple par un éditathon qui a réuni les musées de la ville, des bibliothèques, les archives, le muséum d’histoire naturelle et l’Université de Bourgogne. Chaque structure détient une partie de la connaissance et c’est en les réunissant que l’on obtient une information complète et de qualité sur les articles Wikipédia.
De nombreux chercheurs et bibliothécaires utilisent déjà Wikimedia
Pierre-Yves Beaudouin : Les trois résidences ont une approche commune en matière de formation, mais développent aussi d’autres initiatives, comme des actions lors de la Fête de la science à Nice ou encore un concours photo en sciences ouvertes. Les photos issues de ce concours sont en licence creative commons, elles sont donc réutilisables, notamment par les universités. Nous avons également mis en place une newsletter mensuelle depuis deux ans.
De nombreux chercheurs et bibliothécaires utilisent déjà Wikimedia. Notre rôle n’est pas de tout créer, mais plutôt de réunir des acteurs qui sont souvent dispersés.
Le partenariat est relativement souple dans sa structure. Cela nous permet d’expérimenter de nouveaux formats et d’aller vers de nouveaux publics. Traditionnellement, Wikipédia intervenait auprès des étudiants ; aujourd’hui, nous allons plus loin. Certaines choses fonctionnent moins bien, mais nous pouvons au moins documenter ces expériences.
Comment embarquer les acteurs de l’ESR ?
Delphine Montagne : Wikipédia repose sur une communauté de bénévoles qui a déjà effectué un premier travail de sensibilisation. Mon rôle intervient souvent en soutien et amplification.
Nous invitons les personnes aux événements et nous veillons à ce que celles qui sont déjà impliquées dans le mouvement se sentent reconnues. Wikipédia fait partie du top 10 des sites les plus consultés au monde et les recherches effectuées sur Wikipédia sont parmi les plus citées : cela éveille beaucoup d’intérêts.
J’interviens dans des webinaires et des séminaires. Les enseignants-chercheurs n’ont pas beaucoup de temps, donc nous nous adaptons à leurs formats. Nous déclinons ce qui existe déjà, avec par exemple des présentations rapides ou des masterclass plus longues.
Nous proposons aussi des journées entières, comme à l’Observatoire hommes-milieux Vallée du Rhône. J’arrive à organiser des formations en clôture de projets de l’Agence nationale de la recherche. Nous avons aussi mis en place une école d’été entièrement dédiée à Wikimedia. J’y fais intervenir des chercheurs pour montrer qu’il existe déjà des pionniers dans ce domaine. Le label Culture libre permet aussi d’embarquer des institutions hésitantes.

Pierre-Yves Beaudouin : Dans l’enseignement supérieur, les étudiants utilisent déjà massivement Wikipédia. De plus en plus de chercheurs s’y intéressent et l’étudient. Les profils sont variés : les bibliothécaires, par exemple, l’utilisent pour valoriser leurs catalogues d’ouvrages.
Mais dans le grand public, peu de gens connaissent vraiment le fonctionnement de Wikipédia. Wikipédia est partout aujourd’hui, bien au-delà de la plateforme elle-même. Pourtant, certaines idées reçues persistent. L’anonymat des contributeurs, en particulier, semble inquiéter certaines personnes.
Pourtant, comme le révèle l’enquête annuelle de la fondation Wikimédia : dans la communauté, 14 % des contributeurs ont un doctorat et beaucoup sont bibliothécaires.
Delphine Montagne : Le monde de la recherche a parfois une vision dépassée de Wikipédia, qui date de 2006, avant la mention obligatoire des sources. Beaucoup de chercheurs n’ont pas conscience de l’importance des sources dans l’encyclopédie.
Nous avons reçu, il y a quelques semaines, Alain Aspect, prix Nobel de physique. Il a été très satisfait de la qualité de ce qui était présenté. Cela l’a rassuré, notamment sur les questions de changement climatique. Il a ensuite valorisé Wikipédia ailleurs.
Les idées reçues sur Wikipédia
Pour Delphine Montagne, « La fiabilité de Wikipédia est souvent mise en doute. Pourtant, les gens sont surpris du travail sérieux qui est réalisé en coulisses. Ils découvrent aussi que ce ne sont pas les membres de l’association Wikimédia France qui vérifient les informations, mais bien les bénévoles. Il y a beaucoup d’articles, bien sourcés et illustrés, très précis. En formation, quand je présente l’article en page d’accueil (qui change chaque jour), les gens sont bluffés ».
Selon Pierre-Yves Beaudouin, « beaucoup voient encore Wikipédia comme un blog où chacun donnerait son avis, alors qu’il s’agit d’un véritable travail de synthèse de la connaissance, avec un objectif fondamental de neutralité. Il est difficile de se lancer sur Wikipédia, car la modération est très stricte et beaucoup de sujets ont déjà été approfondis ».
Quels sont vos objectifs ?
Pierre-Yves Beaudouin : Recruter de nouveaux contributeurs notamment. Wikipédia compte aujourd’hui environ 7 500 contributeurs actifs, ce qui est en fait assez peu. En 2001, deux choses sont arrivées en même temps : Wikipédia et le Loft story ! Choisir de passer du temps libre à enrichir une encyclopédie, c’est un loisir assez rare.
Delphine Montagne : Les contributions se font sur le temps libre. Les chercheurs n’ont donc pas forcément envie d’écrire sur leur discipline, mais ils peuvent avoir envie sur leurs passions personnelles. L’important est de contribuer, quel que soit le sujet.
L’IA ne risque-t-elle pas faire de l’ombre à Wikipédia ?
Delphine Montagne : L’IA générative, quoiqu’assez émergente, interroge beaucoup. Le point faible par rapport à Wikipédia est qu’elle ne cite pas toujours ses sources.
Tous les cinq ans, on nous annonce des nouveautés technologiques censées tuer Wikipédia, qui en ressort finalement plus fort.
Pierre-Yves Beaudouin : Tous les quatre ou cinq ans, on nous annonce des nouveautés technologiques censées tuer Wikipédia, Google avait par exemple créé une alternative à Wikipédia en 2008. Mais finalement Wikipédia en ressort plus fort.
Je ne vois pas l’usage de ChatGPT se généraliser, à part pour les études. La société est exigeante vis-à-vis des grands acteurs du web, qui sont par ailleurs très gourmands en eau, en argent et en électricité. Nous nous adaptons aux nouvelles technologies, malgré le fait que Wikimedia ne compte qu’environ 1 000 employés dans le monde.
Le point faible, actuellement, ce sont les contributeurs. Si on les empêche de participer, si on s’attaque aux universités ou aux écoles, cela devient problématique… Cela devient, par exemple, dangereux d’écrire la biographie de Poutine depuis la Russie et la Biélorussie.
Comment Wikipedia collabore-t-il avec le MESR ?
Pierre-Yves Beaudouin : Le partenariat avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche va continuer sur plusieurs projets en cours. L’un d’entre eux serait de mesurer le nombre d’articles produits par la recherche. Le baromètre est en cours avec Datactivist.
Wikipédia a depuis sa création eu des liens très forts avec l’ESR
Wikipédia a depuis sa création eu des liens très forts avec l’ESR. L’idée est de rassurer les agents et de convaincre leurs responsables. Le MESR dit voir d’un bon œil la contribution à Wikipédia sur le temps de travail, cela demanderait de revoir les fiches de poste, ce qui est compliqué. Peut-être faut-il inciter les doctorants à contribuer dans leur thèse ou lors de leur retraite… ! La communauté est composée de jeunes et de personnes plus âgées, mais il y a moins de contributeurs entre 30 et 50 ans.
La prochaine étape pour vous ?
Delphine Montagne : J’ai développé cette année des compétences qui restent acquises pour l’État, car je suis fonctionnaire. J’espère avoir des opportunités par la suite dans ce domaine. Je vais continuer à m’investir dans Wikipédia, car partager la connaissance scientifique est pour moi un vrai plaisir, qui fait pleinement partie de mes missions de valorisation de la recherche.
Pierre-Yves Beaudouin : Je vais continuer à m’investir pour Wikipédia. Pour l’instant, je ne ressens aucune lassitude.
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