Numérique

Ouvrage : « Le LMS ne doit plus être un cimetière à PDF ! »

  • Marine Dessaux
  • Le
  • Équipements et systèmes d'informations

Trop souvent perçu comme un simple espace de stockage de ressources pédagogiques, le LMS (learning management system) est aujourd’hui interrogé sous un angle nouveau : celui d’un territoire d’apprentissage à part entière, dans un contexte post-Covid et de déploiement massif de l’IA. Publié le 27 février, un ouvrage collectif réunit chercheurs et praticiens pour explorer son rôle, ses limites et les leviers d’évolution possibles.

« Le LMS ne doit pas être perçu uniquement comme un espace technique », estime Olivier Perlot. - © France Universités - Université de Montpellier
« Le LMS ne doit pas être perçu uniquement comme un espace technique », estime Olivier Perlot. - © France Universités - Université de Montpellier

Le learning management system (LMS) dans l’enseignement supérieur  (2025, Presses des Mines) explore la place de cet outil digital dans le quotidien des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Ses auteurs, Chrysta Pélissier, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation à l’IUT de Béziers, Bertrand Mocquet, expert à l’Agence de mutualisation des universités et des établissements d’enseignement supérieur (Amue) et Olivier Perlot, professeur agrégé à l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspé) de l’académie de Reims, racontent la genèse et les enseignements de cet ouvrage.

Comment est né cet ouvrage  ?

Chrysta Pélissier est maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation à l’IUT de Béziers. - © Presse des Mines
Chrysta Pélissier est maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation à l’IUT de Béziers. - © Presse des Mines

Chrysta Pélissier : Ce livre est né d’une rencontre humaine et de la volonté de proposer une réflexion collective sur les outils de notre quotidien d’enseignant à l’université : la conception et l’utilisation des LMS.

La technopédagogie fait partie de notre vocabulaire et de nos implications pédagogiques. Nous avons voulu la développer davantage, et cela nous a portés. Il était nécessaire au lendemain du déploiement de l’IA de la revisiter, sous le prisme du learning management system.

Bertrand Mocquet : C’est cette notion de technopédagogie qui nous relie. Nous sommes convaincus que les technologies numériques et la pédagogie sont, encore plus aujourd’hui, un sujet indissociable. Elles concernent les unes comme l’autre la communauté universitaire au quotidien.

Avant la crise sanitaire, le LMS avait déjà été largement traité, mais le regard post-Covid est essentiel. Cette période a laissé des traces et a profondément bouleversé les usages. Nous devons aujourd’hui repenser le LMS, qui pour 98 % des universités est Moodle, mais son organisation et son rôle méritaient d’être réinterrogés.

Olivier Perlot : J’avais déjà collaboré avec Bertrand et Chrysta. Sous la direction de Chrysta nous avons co-rédigé avec Bertrand un chapitre dans l’ouvrage L’ingénieur pédagogique dans le supérieur (Presses des Mines, 2022). Je viens des mathématiques, mais j’ai aussi beaucoup exploré les sciences de l’éducation, ce qui me permet d’avoir une approche diversifiée.

Quel message en tirer  ?

Dépasser la vision du LMS comme un simple objet informatique.

Bertrand Mocquet : Il faut dépasser la vision du LMS comme un simple objet informatique. Il y a une dimension d’usage à prendre en compte. Par ailleurs, il est temps d’abandonner les pratiques archaïques, comme déposer un document et demander aux étudiants de le lire sans accompagnement, ce qui revient à faire cours en distribuant des polycopiés. Le LMS ne doit plus être un « cimetière à PDF »  !

Olivier Perlot : Nous nous sommes en effet posé la question : est-ce un cimetière à PDF ? Mais même dans un cimetière, il peut y avoir de la vie  ! Le LMS ne doit pas être perçu uniquement comme un espace technique ou un coût financier et organisationnel pour la DSI. Si les enseignants prennent conscience du potentiel du LMS pour générer des interactions, ils pourront transformer leurs pratiques.

Chrysta Pélissier : Dans certains chapitres de l’ouvrage, nous avons envisagé le LMS comme un acteur à part entière : capacitant et mobilisant les apprenants, les enseignants, les ingénieurs pédagogiques, mais aussi les services et le flux d’échanges entre ces services. Si nous arrivons à mieux cerner cette entité, nous pourrons offrir un meilleur confort d’usage à chacun de ces utilisateurs.

Comment a-t-il été financé  ?

Bertrand Mocquet est expert à l’Amue. - © D.R.
Bertrand Mocquet est expert à l’Amue. - © D.R.

Bertrand Mocquet : Nous avons pu appuyer cette publication à partir d’une contribution de l’Université de Montpellier et d’un programme de financement de l’Amue qui propose de soutenir un projet à la publication de recherche tous les 18 mois.

Monter ce projet sur la technopédagogie depuis l’Amue peut paraître surprenant, mais, avec des outils comme Pégase ou Moodle on touche à ce sujet, au moins d’un point de vue prospectif. Et puis, c’est un thème commun qui n’a pas de raison d’être traité de façon isolée dans les établissements.

Pour l’Université de Montpellier, l’enjeu est double : donner de la visibilité à une démarche réflexive collective (nationale et internationale) et favoriser le déploiement de changements de pratiques universitaires à partir d’outils adaptés aux attentes des nouveaux acteurs.

Qui a participé  ?

Olivier Perlot est professeur agrégé à l’Inspé de Reims. - © D.R.
Olivier Perlot est professeur agrégé à l’Inspé de Reims. - © D.R.

Olivier Perlot : Nous avons abordé ce projet sous différents angles, numériques, mais aussi juridiques et psychologiques. Nous avons puisé dans notre réseau respectif de chercheurs et de professionnels. L’adhésion a été très forte et rapide  : c’était une initiative attendue et motivante. Elle a aussi permis de soulever des questionnements nouveaux, comme celui de la place des émotions dans un LMS ou de l’IA dans ces outils.

Ce projet nous a permis d’explorer les perspectives d’évolution des LMS avec une pluralité des angles. Ce qui est fascinant, c’est que, malgré la diversité des disciplines, les chapitres ne sont pas totalement décorrélés. Par exemple, nous avons abordé la question des ressources libres, et un expert en intelligence artificielle a établi des liens avec une approche plus éthique du LMS. Les connexions entre les chapitres se sont faites naturellement.

Chrysta Pélissier : En effet, une de nos intentions était de mixer les disciplines scientifiques et les statuts des acteurs. Nous ne souhaitions pas limiter nos co-auteurs aux enseignants-chercheurs. Ainsi, des personnes sous contrat temporaire, sous contrat privé ou acteur dans ces associations ou communautés ont été sollicités. Un travail de mise en cohérence de l’ensemble des chapitres et d’accompagnement à l’écriture a été orchestré.

Bertrand Mocquet : Dans la direction de cet ouvrage, il a fallu trouver la meilleure personne pour chaque sujet. Nous avons collaboré avec des collègues du monde francophone (Québec, Tunisie). Et notamment Christelle Lison, Claire Peltier, France Lafleur, Lilia Cheniti et Thierry Koscielniak, qui sont très actifs dans la communauté universitaire. Ce que je retiens surtout, c’est la création de liens entre les contributeurs. Elle a permis la rédaction de la conclusion par Chrysta. Elle apporte une synthèse qui n’existe pas ailleurs sur la technopédagogie.

Quel public cible  ?

Cet ouvrage adopte une approche pluridisciplinaire et pluri-statutaire. - © Presses des Mines
Cet ouvrage adopte une approche pluridisciplinaire et pluri-statutaire. - © Presses des Mines

Chrysta Pélissier : L’un des publics cibles est celui des ingénieurs pédagogiques qui sont souvent sollicités dans la mise en œuvre et l’usage des LMS par les enseignants, mais aussi les apprenants et les institutions. L’ouvrage se voulait ouvert, dépassant les frontières statutaires et envisageant le LMS au service de ses utilisateurs (en non l’inverse). Il s’inscrit dans la continuité du premier ouvrage sur les ingénieurs pédagogiques, qui était plus statique (historique et état de situation). Ici, nous avons adopté une approche dynamique, tournée vers le futur, pour permettre à l’ingénieur pédagogique de se positionner, de trouver institutionnellement sa place.

Bertrand Mocquet : Depuis ma thèse en 2017, j’ai principalement travaillé sur la gouvernance et la transformation numérique, en m’adressant davantage aux décideurs. Mon objectif est de rendre intelligible le numérique universitaire depuis l’Amue. Aujourd’hui, nous devons voir le LMS comme un territoire d’apprentissage et changer de perspective  : ce n’est plus seulement un outil de soutien, mais un cœur de métier. Ce message s’adresse aux présidents d’université, vice-présidents, directeurs généraux des services, directeurs des systèmes d’information (DSI) ainsi que les services de formation continue.

Olivier Perlot : En tant que formateur de futurs enseignants, j’aimerais m’adresser à mes collègues de l’enseignement supérieur, ainsi qu’à ceux qui, au-delà de l’université, s’interrogent sur leurs pratiques pédagogiques. Je souhaite qu’ils puissent réfléchir à la diversité des usages possibles, sans modèle unique. Le LMS est une porte ouverte vers l’hybridation, et pourquoi ne pas inclure les étudiants dans cette réflexion ?

Chrysta Pélissier : Cette notion d’inclusion se retrouve dans le choix de l’image de la boule à facettes, utilisée en couverture de l’ouvrage : elle (la boule mais surtout le LMS) éclaire et questionne dans toutes les directions, y compris là où on ne regarde jamais. La notion de territoire est ici essentielle : même si chacun a son métier, nous partageons des facettes de la boule, à différentes échelles, ouvrant sur un agir possible, agir pour faire évoluer les pratiques de tous, et agir pour échanger sur les attentes de tous.

Quel impact ce travail a-t-il eu sur votre propre utilisation de LMS  ?

J’ai pris conscience de l’importance de l’atmosphère dans un environnement numérique.

Olivier Perlot : Ce projet a changé ma manière d’utiliser Moodle et ma communication avec les étudiants. J’ai pris conscience de l’importance de l’atmosphère dans un environnement numérique. Une ambiance peu propice à l’apprentissage peut être un frein, même lorsque les enseignants sont bien intentionnés. Certains collègues commencent à en tenir compte, en ajoutant par exemple des émojis pour humaniser leurs messages, au lieu d’un simple « C’est noté » ou « Allez lire cela ».

Bertrand Mocquet : Je suis encore en vacation et donne quelques cours à Bordeaux alors que j’habite à côté de Montpellier. J’interviens donc sur place et ensuite à distance, parfois par visioconférence selon les besoins. J’ai évolué d’une posture de contrôle vers un certain lâcher-prise. Même si je n’ai pas encore formalisé cela, j’essaie de rédiger des messages plus bienveillants et accompagnants. Je suis aussi plus à l’aise et les échanges sont plus fluides.

Chrysta Pélissier : Personnellement, j’ai énormément appris dans ce projet de publication. Une des premières personnes avec qui j’ai échangé dans la perspective de son chapitre travaillait dans le domaine du droit. J’étais loin d’imaginer les dimensions juridiques sous-jacentes à l’usage des LMS, d’aujourd’hui et de demain.

Qui sont les auteurs ?

Chrysta Pélissier, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation à l’IUT de Béziers, est notamment co-autrice de L’ingénieur pédagogique dans le supérieur. Elle contribue par ses recherches sur les dispositifs numériques aux travaux scientifiques menés au Laboratoire interdisciplinaire de recherche en didactique, éducation et formation (Lirdef) de l’Université de Montpellier.

Olivier Perlot, docteur en mathématiques, est professeur agrégé à l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspé) de l’académie de Reims. Ses thématiques de recherche portent sur le numérique et l’éducation, incluant notamment les espaces d’apprentissage.

Bertrand Mocquet, expert à l’Agence de mutualisation des universités et des établissements d’enseignement supérieur (Amue), travaille sur l’intégration stratégique des technologies numériques dans les pratiques pédagogiques, administratives et de recherche. Il est chercheur associé sur la transformation numérique de l’ESR au laboratoire Médiations, informations, communication, arts (Mica) de l’Université Bordeaux Montaigne.