Numérique

[Tribune] IA : « Contenir l’usage des outils numériques pour préserver l’école »

  • La Rédaction
  • Le
  • Équipements et systèmes d'informations

Après le Sommet international sur l’IA, Erwan Paitel, inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche et rapporteur au sein de la Commission sur l’intelligence artificielle, souligne l’urgence d’encadrer l’usage des outils numériques et d’éviter leur « inflation » en classe.

« Nous devons préserver ce lieu d’effervescence qu’est l’école », défend Erwan Paitel. - © Pexels/Ron Lach
« Nous devons préserver ce lieu d’effervescence qu’est l’école », défend Erwan Paitel. - © Pexels/Ron Lach

Erwan Paitel, rapporteur de la Commission IA, fait la synthèse des annonces et réflexions à la suite du Sommet IA qui se tenait les 10 et 11 février dernier. Il alerte sur les « glissements » observés dans l’usage des technologies numériques et interpelle sur les limites à définir en matière de temps d’exposition aux écrans.


Un an et demi après la désignation de la Commission sur l’intelligence artificielle et un an après la remise du rapport IA, notre ambition pour la France, le Sommet international pour l’action sur l’intelligence artificielle s’est tenu à Paris.

Erwan Paitel est Igésr depuis 2022. - © Unica / A. Macarri
Erwan Paitel est Igésr depuis 2022. - © Unica / A. Macarri

Si, à la fin 2023, l’intelligence artificielle était avant tout perçue comme une opportunité économique pour la France, qui avait dès 2018 consacré des moyens importants à son développement, force est de constater que les derniers mois ont mis en lumière son impact, en particulier celui de l’intelligence artificielle générative, dans de très nombreux domaines, dont celui de l’éducation.

À ce titre, à quelques hectomètres de la nef du Grand Palais et dans le cadre des journées AI in the City @ENS, la rue d’Ulm a été, deux jours durant, un lieu d’effervescence, d’échanges et de débats sur les conséquences de l’intelligence artificielle pour la société, rassemblant des experts français et internationaux, des citoyens et des étudiantes et étudiants.

Sollicité par Lucie Jacquet-Malo, copilote du défi « IA au service de la réussite éducative » (l’un des 35 sélectionnés par le Gouvernement dans le cadre du Sommet IA), et Orianne Ledroit, déléguée générale de l’association EdTech France, c’est avec un immense plaisir que j’ai pu être associé à la table ronde «  Intelligence artificielle au service de la performance éducative  », où les discussions ont souligné la nécessité d’une intégration réfléchie et stratégique de l’intelligence artificielle dans l’enseignement et les apprentissages.

Deux annonces marquantes pour l’enseignement supérieur et la recherche

La première, probablement la plus visible et médiatisée dans le champ de l’enseignement supérieur, est l’alliance sur l’intelligence artificielle avec Mistral AI, rejointe par quatorze universités pour améliorer les systèmes d’information, l’expérience d’apprentissage des étudiantes et étudiants et faciliter le travail des enseignantes, enseignants et personnels administratifs.

L’Amue a lancé une expérimentation qui vise à améliorer l’accès à l’information des étudiants. - © Hcéres
L’Amue a lancé une expérimentation qui vise à améliorer l’accès à l’information des étudiants. - © Hcéres

Il faudra probablement voir comment ce partenariat s’articule et se positionne en lien avec l’annonce de l’Agence de mutualisation des universités et établissements (Amue) d’une expérimentation pour développer un outil d’IA générative destiné à simplifier et personnaliser l’accès des étudiants à des informations concernant leur formation et la vie étudiante. Celle-ci est soutenue par la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (Dgesip) et France Universités.

La seconde concerne la structuration progressive d’une animation nationale portée par les établissements lauréats des Démonstrateurs numériques de l’enseignement supérieur (Demoes) et l’association EdTech France. Une première illustration est l’élaboration d’un gabarit de charte sur les usages de l’intelligence artificielle générative dans l’enseignement supérieur et la recherche, destiné à l’ensemble des établissements souhaitant partager une vision commune sur le sujet.

Là encore, il faudra suivre attentivement l’articulation entre cette dynamique structurante et la feuille de route du Comité numérique pour la réussite étudiante et l’agilité des établissements ou Coreale, une instance créée par la Dgesip et France Universités pour définir les priorités de l’ESR en matière de numérique et construire une stratégie partagée.

Former et encadrer l’usage de l’intelligence artificielle

Outre ces annonces, deux sujets fondamentaux retiennent l’attention de la communauté  :

  • Former à l’intelligence artificielle, en priorité les enseignantes et enseignants, afin de doter tous les apprenants des compétences nécessaires, quelle que soit leur discipline ou spécialité. L’enjeu est colossal et nécessite une stratégie nationale de formation massive, avec la définition de briques de connaissances adaptées aux profils et disponibilités des enseignantes et enseignants. Une forte attente se manifeste sur le terrain, tant le sujet suscite à la fois enthousiasme et inquiétudes. À ce titre, la tribune du 24 février d’Alain Goudey apporte des éléments précieux de réflexion.

  • Quantifier et qualifier la place des outils numériques et de l’intelligence artificielle dans l’éducation. L’essor des solutions issues de la edtech conduit à une multiplication de l’offre, sans toujours répondre à une demande explicite. EdTech France, qui rassemble une large part des entreprises françaises du secteur, dénombre aujourd’hui plus de 415 membres. Nombre d’entre elles, issues du monde de l’éducation et/ou de la recherche, ont bénéficié du soutien de la stratégie nationale en intelligence artificielle, via des dispositifs budgétaires publics (Territoires numériques éducatifs, Partenariats d’innovation et d’intelligence artificielle ou encore Educapital). Résultat : l’émergence d’acteurs français reconnus à l’international. Se pose désormais la question de l’intégration de ces outils dans les écoles et des budgets à y consacrer, un sujet abordé lors de la table ronde à l’École normale supérieure et rappelé dans la tribune du 4 mars d’Orianne Ledroit.

Quelle place pour les outils numériques dans l’éducation  ?

Mon attention, à l’issue du Sommet, porte sur un autre point : la définition et les limites à poser quant à la place des outils numériques en classe. L’hétérogénéité des infrastructures et de la qualité des connexions, selon les établissements et les territoires, ainsi que la diversité des usages selon les disciplines, rendent le numérique encore largement accessoire en pédagogie.

Mais avec l’intelligence artificielle et le développement d’outils plus performants — promesse de personnalisation des apprentissages, suivi des performances, voire représentations physiques de l’intelligence artificielle sous forme de robots conversationnels —, son usage pourrait fortement croître ces prochaines années. C’est déjà le cas dans les territoires numériques éducatifs.

Dans le cadre de l’événement AI in the city, l’ENS-PSL a organisé une table ronde «  IA au service de la performance éducative  ». - © ENS-PSL
Dans le cadre de l’événement AI in the city, l’ENS-PSL a organisé une table ronde «  IA au service de la performance éducative  ». - © ENS-PSL

La Commission écrans (à laquelle participait notamment Marie-Caroline Missir, directrice générale de Réseau Canopé, présente à la table ronde) et les études scientifiques sur lesquelles elle s’appuie (de l’Inserm et l’OCDE) rappellent néanmoins la nécessité d’une vigilance accrue, afin de respecter le développement cognitif des enfants. Si, sur le terrain, les usages des outils numériques éducatifs restent majoritairement raisonnés, certains glissements sont observés, notamment dans le secondaire, où certains outils servent à remplir l’heure de cours.

Dans une société toujours plus numérisée et virtualisée, un enfant de moins de 11 ans passe en moyenne une heure par jour sur un smartphone  ; un adolescent de 15 à 17 ans, quatre heures pendant les vacances et cinq heures durant le week-end (étude menée pour l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique).

Nous devons donc protéger les élèves de cette inflation, contenir l’usage des outils numériques, réguler leur anthropomorphisation et préserver ce lieu d’effervescence, d’échanges et de débats humains qu’est l’école.