[Cap sur 2025] Direction Vienne et la Californie avec Christel Vacelet (UCLouvain)
Par Isabelle Cormaty | Le | Relations extérieures
Durant les vacances de Noël, Campus Matin part à la rencontre de personnalités de l’ESR aux parcours internationaux. Pour ce deuxième épisode de notre série d’interviews décalées, la rédaction a interrogé la Française Christel Vacelet, ancienne directrice de la communication de plusieurs structures européennes de l’ESR qui dirige actuellement l’administration des relations internationales de l’UCLouvain, en Belgique.
Faites-nous voyager (si possible sans avion) ! Quel est le pays qu’il faudrait visiter en 2025 ?
Christel Vacelet : La question du voyage sans avion est un défi pour nos métiers. À l’UCLouvain, il nous est recommandé de privilégier le train pour les trajets de moins de six heures. Nous avons la chance en Belgique d’être au cœur d’un réseau qui permet de relier facilement de nombreuses villes européennes. Les trains de nuit ont ouvert d’autres horizons, je recommande donc sans hésiter l’Autriche et la ville de Vienne.
Il s’agit d’une magnifique destination, dotée d’un réseau ferroviaire très développé et proche des montagnes. L’Université de Vienne est un partenaire important pour notre établissement. C’est une université ancienne, comme la nôtre, avec plusieurs campus, et qui partage avec nous des réflexions sur l’international et le développement durable. Elle est membre comme l’UCLouvain de l’alliance européenne Circle U.
L’Autriche et la Belgique francophone sont confrontées à des problématiques similaires dans l’ESR, car elles sont voisines d’un grand pays (l’Allemagne et la France), ce qui représente à la fois une force et une menace.
Ces deux pays ont d’ailleurs obtenu des dérogations de la Commission européenne sur la mobilité étudiante, car ils se sont retrouvés avec des pourcentages démesurés d’étudiants allemands et français dans leurs établissements, notamment dans les formations médicales.
L’Autriche peut être perçue comme un pays assez discret, mais son impact dans les projets européens n’est pas négligeable.
Un campus étranger qui vous a impressionné ? Pourquoi ?
Celui de l’Université de Californie à San Diego (UCSD), le premier campus étranger que j’ai visité comme étudiante, alors que je rendais visite à une amie là-bas. L’attention portée à l’environnement d’étude sur le campus et la place de l’art m’avaient beaucoup marquée. Je n’avais pas l’habitude de cela à Sciences Po Lyon et l’Université Lyon 2 où j’avais étudié jusque là.
L’UCSD possède notamment une statue emblématique de Niki de Saint Phalle et une bibliothèque qui ressemble à un vaisseau spatial, et que Steven Spielberg a d’ailleurs utilisé dans “Rencontre du Troisième type”. Un cadre agréable pour étudier et travailler est essentiel pour créer du lien et des communautés.
L’UCLouvain a depuis sa création en 1968 un véritable projet culturel sur ses campus : un pourcentage du budget est consacré aux œuvres artistiques.
De nombreuses fresques sont présentes sur le campus principal de Louvain-la-Neuve grâce au mécénat. Si une entreprise investit dans notre parc scientifique, elle est tenue d’allouer une petite partie du budget du projet au développement de l’art. Notre autonomie nous permet de soutenir la culture.
Notre autonomie nous permet de soutenir la culture
Le nouveau parc scientifique de l’Université d’Oslo est aussi très intéressant. Il est conçu avec une attention particulière à l’environnement et à la biodiversité. C’est sans doute le campus du futur : un lieu qui combine enseignement, recherche, coopération avec les industries et espace social ouvert au grand public.
Les frontières se ferment, les tensions géopolitiques sont là. Qu’est-ce qui vous donne espoir et vous fait penser que l’ouverture peut encore l’emporter dans l’ESR ?
En Australie, au Canada, en Angleterre ou aux Pays-Bas, l’obtention de visas devient plus complexe. Ces pays ont vu les étudiants internationaux comme une source de revenus, mais cette approche a atteint ses limites.
Lorsque des étudiants et des scientifiques se déplacent, c’est avant tout dans un objectif d’échange et de recherche. Les pays qui ont pris il y a 20 ans un virage vers la commercialisation de leur offre d’enseignement supérieur se retrouvent aujourd’hui à prendre des décisions drastiques, car l’opinion publique et parfois les infrastructures comme le logement n’ont pas suivi.
Il est essentiel de revenir aux fondamentaux des échanges : offrir des expériences enrichissantes aux étudiants et chercheurs internationaux et tisser des liens, non monétisables immédiatement, mais qui vont servir aux universités et aux pays impliqués sur le long terme.
Le programme Horizon Europe s’étend désormais au Canada et à la Corée du Sud. Travailler dans une université, c’est adopter une autre vision du monde, où les frontières étatiques ne semblent pas toujours pertinentes. Il existe une diplomatie scientifique, parallèle à celle politique. Les scientifiques continuent donc à dialoguer avec leurs homologues étrangers, même lorsque leurs États respectifs sont en conflit.
La baisse du nombre de visas et le repli apparent de certaines sociétés sur elles-même ne sont que la partie visible des tensions actuelles. Derrière, la collaboration scientifique reste bien présente. Les conditions financières et réglementaires imposées par nos gouvernements respectifs nous limitent davantage dans notre activité que les complications existantes pour l’attribution des visas.
Nous redéfinissons nos collaborations avec les pays du Sud
Je trouve aussi passionnante la manière dont nous redéfinissons nos collaborations avec les pays du Sud. Nous établissons des partenariats dans lesquels nous ne sommes pas toujours les coordinateurs. Cela crée une dynamique plus équilibrée.
En Belgique, nous entretenons de par notre histoire des relations étroites avec les universités congolaises. Ces partenariats nous permettent de développer des mobilités plus courtes dans les deux sens, qui répondent mieux aux besoins locaux sans nécessiter des échanges systématiques vers la Belgique par exemple.
Une pratique observée à l’étranger qu’il faudrait importer dans l’ESR ?
L’UCLouvain est membre de l’alliance européenne Circle-U. Au sein du réseau, les établissements ont des organisations très différentes, mais il existe des points communs entre eux et des poches d’innovations.
Par exemple, certains enseignants découvrent qu’ils partagent des pratiques pédagogiques similaires, comme l’organisation de hackathons ou des échanges virtuels. La gageure, c’est de réussir à faire dialoguer ces collègues pour capitaliser sur ces innovations et que l’innovation soit connue et accessible au plus grand nombre.
Notre équipe d’innovation pédagogique, le Louvain Learning Lab coordonne pour l’alliance Circle-U la plateforme d’innovation pédagogique qui garantit que les innovations soient bien documentées et puissent être mises en œuvre à grande échelle.
Les bonnes idées et les initiatives percolent entre les établissements. Nous avons ainsi importé de l’Université de Laval au Québec un modèle sur le développement professionnel de l’enseignant. Certaines innovations se diffusent rapidement, mais sans toucher l’ensemble de l’université. La notion de cohérence au sein d’un établissement est un défi.
Son parcours
Diplomée en relations internationales, Christel Vacelet a effectué ses études à l’Université Lyon 2, Sciences Po Lyon est l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée (aujourd’hui Gustave Eiffel). Elle débute sa carrière comme rédactrice web pour des organisations européennes.
En 2003, elle devient directrice de la communication de l’association européenne des universités (EUA), qui représente 850 établissements à travers le continent. Puis elle exerce différentes fonctions à responsabilités dans la communication auprès d’associations ou d’institutions européennes avant de revenir à l’EUA. Depuis mai 2022, la Française dirige l’administration des relations internationales de l’UCLouvain.