Pris dans les crises en Arménie, Bertrand Venard met l’éthique au coeur de son projet
Par Isabelle Cormaty | Le | Management
Tout juste nommé recteur de l’Université française en Arménie, Bertrand Venard a dû gérer cet établissement alors qu’éclatait une guerre dans le Haut-Karabagh, en septembre dernier. L’occasion de revenir sur le parcours de ce Français qui a choisi de s’installer à Erevan pour des raisons éthiques et dont la carrière reflète ses convictions.
Septembre 2020. Une semaine après l’installation de Bertrand Venard comme recteur de l’Université française en Arménie, la guerre éclate dans la région du Haut-Karabagh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. La région peuplée en majorité d’Arméniens est enclavée dans le territoire azéri.
« Chaque semaine, nous faisions avec les équipes de l’université un point sur la Covid et un point sur le conflit. Chaque jour, nous apprenions de mauvaises nouvelles. 16 étudiants sont partis au front, neuf sont décédés. Je suis allé à un enterrement par semaine pendant une période, c’était terrible… », commence Bertrand Venard.
Le recteur de l’UFAR organise pour une cinquantaine d’étudiants une formation de secourisme et suit les recommandations dictées par le Quai d’Orsay. « Les consignes étaient de rester à Erevan et d’éviter de circuler », précise-t-il.
Mettre ses compétences au service de l’Arménie
Une carrière universitaire dans plusieurs pays
Avant cette prise de poste chaotique à Erevan, Bertrand Venard a travaillé pour plusieurs écoles de management et établissements étrangers. Après une thèse en sciences de gestion à l'Université de Paris, il travaille un temps au Centre de recherche en gestion de l'École Polytechnique, et obtient une HDR. « J’ai toujours adoré apprendre ! », explique l’universitaire qui accumule diplômes et distinctions.
Il commence sa carrière dans le secteur financier, puis comme conseiller chez PwC. Bertrand Venard exerce diverses fonctions dans le supérieur, comme enseignant et dirigeant. Il donne notamment des cours à l'Essca et Audencia en France, à la Wharton Business School (Université de Pennsylvanie), à London Business School et Oxford entre autres.
Une installation en Arménie fruit de ses convictions
En septembre dernier, Bertrand Venard quitte l’Université d’Oxford, dans laquelle il dirigeait un projet international sur la cybersécurité, et Audencia, l’école de commerce nantaise où il a passé 18 ans, pour la capitale de l’Arménie. Changement de décor, de langue, de poste et d’univers pour le Français pourtant habitué à vivre à l’étranger, mais une décision mûrement réfléchie et reflet de ses convictions.
« J’ai vu une annonce sur internet pour devenir recteur de l’Université française d’Erevan. Je n’étais jamais allé en Arménie, je ne connaissais personne là-bas. J’ai postulé et après les auditions, j’ai été pris. Sans piston. Je ne connaissais personne dans le jury, je suis un peu le symbole de la méritocratie à la française », indique-t-il
« Il est toujours possible de se lamenter sur l’état du monde, mais on peut aussi se demander à quoi on peut servir et tendre la main à un pays fragile, confie-t-il. L’Arménie est un très beau pays, injustement traité et meurtri. Ce pays mérite mieux et la France peut apporter sa pierre à l’édifice. »
Aider l’Arménie dans un contexte fragile et difficile
Outre la guerre dans le Haut-Karabagh du 27 septembre au 10 novembre dernier, le recteur de l’UFAR est confronté à un millefeuille de crises qui ont des conséquences sur son établissement. Mais ce défi ne lui fait pas peur. « Mon rôle est d’aller de l’avant alors que l’environnement de l’UFAR est incertain avec la crise politique, économique, sanitaire et militaire », détaille-t-il combatif.
Dans ce contexte géopolitique tendu, Bertrand Venard souligne la place particulière de l’Arménie dans la francophonie.
« L’UFAR est une machine à produire du francophone », résume-t-il.
Le recteur de l’université implantée à Erevan insiste également sur le profil des étudiants. « Les femmes représentent 70 % des effectifs, ce n’est pas anodin quand on voit le statut des femmes dans des pays voisins de l’Arménie », souffle-t-il.
L’Ufar : un établissement de 1450 étudiants
L’Université française en Arménie compte 1450 étudiants dont 150 préparationnaires et 12 doctorants. Elle dénombre également plus de 2500 alumni. L’établissement s’oragnise autour de plusieurs facultés et dispense des cours de la licence au doctorat.
L’Université française en Arménie délivre deux diplômes d’État, un diplôme arménien et un diplôme français délivré par ses partenaires : l'Université Lyon 3 et l'Université Paul-Sabatier de Toulouse. Ce double diplôme représente « un passeport vers l’Europe et le monde de l’entreprise » pour les étudiants de l’Ufar, d’après Bertrand Venard.
Une éthique forte qui imprègne sa carrière et ses recherches
Un sens du devoir et le goût de l’international inculqués très jeune
J’ai grandi avec une éthique familiale forte et l’idée qu’il y a des priorités dans la vie
« Mon grand-père a été blessé sur le front oriental lors de la Première Guerre mondiale. Mon père a fait partie des 70 000 Français qui ont participé au débarquement de Provence lors de la Seconde Guerre », raconte-t-il.
« J’ai grandi avec une éthique familiale forte et l’idée qu’il y a des priorités dans la vie », affirme-t-il pour justifier ses engagements et ses choix professionnels. De sa famille, Bertrand Venard a également hérité d’un goût prononcé pour l’international. Celui qui parle français, allemand, anglais et maîtrise quelques rudiments de vietnamien et d’arménien, a très vite aimé voyager.
« Mon père est né au Maroc, ma mère en Algérie, trois de mes grands-parents sont nés en Algérie, un en France. J’appartiens à une famille française originaire de plusieurs endroits du monde, relate-t-il. En venant d’une telle famille, dès qu’on part à l’étranger, on y prend goût. »
La création d’une école de commerce au Vietnam
Et ce sens de l’éthique se retrouve dans toute la carrière internationale de Bertrand Venard… Bien avant de partir en Arménie, le Français s’est investi dans un autre établissement supérieur à l’étranger. Au début des années 1990, il a participé à la création du Centre franco-vietnamien de formation en gestion à Hô Chi Minh-Ville, aujourd’hui devenu l’une des plus prestigieuses écoles de commerce du Vietnam.
Là encore, tout commence un peu par hasard par une offre d’emploi porteuse de défi :
« Créer une école est quand même une sacrée réalisation dans une vie ! C’est une des raisons pour lesquelles j’ai postulé en voyant l’annonce. J’étais aussi tenté par l’expatriation. Au Vietnam, les personnes dans la rue me parlaient russe parce qu’ils pensaient que je travaillais pour l’URSS », se souvient-il avec humour.
Un spécialiste de la corruption et de la cybercriminalité
Enfin, la dimension éthique de sa carrière professionnelle se traduit également dans ses recherches. En parallèle de ses différentes fonctions de professeur et dirigeant dans l’enseignement supérieur, Bertrand Venard a toujours mené des travaux de recherche.
Malgré des études plutôt orientées sur le management et la gestion, la corruption et la cybercriminalité - principalement dans les pays en développement - font partie de ces thèmes de prédilection.
Le gouvernement du Bhoutan ou encore les Nations Unies ont d’ailleurs sollicité son expertise sur la corruption lors de projets. En décembre dernier, Bertrand Venard a aussi participé au forum de l’OCDE sur la lutte contre la corruption.
En poste depuis septembre à Erevan, les projets ne manquent pas pour le Français. Quels sont-ils pour la suite de sa carrière ? Rien n’est acté, mais une chose est sûre :
« Je ne pourrais pas travailler pour un pays non démocratique, mon projet est éminemment éthique », martèle-t-il.
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