« L’expérience étudiante, atout des écoles de commerce, est menacée »
Par Théo Haberbusch | Le | Expérience étudiante
Vie associative, mobilité internationale et immersion professionnelle : ce triptyque fait la force de l’expérience étudiante en école de management. Mais il se trouve mis à mal par la pandémie de la Covid-19. Ce qui pose un enjeu stratégique majeur aux business schools, dont témoigne et qu’analyse Olivier Guyottot pour Campus Matin.
Enseignant-chercheur en stratégie à Inseec U, Olivier Guyottot s’intéresse, pour ses travaux de recherche, à l’enseignement supérieur et aux écoles de management. C’est un environnement qu’il connait bien puisqu’il a travaillé pour plusieurs d’entre elles en France (Montpellier BS, La Rochelle BS, Toulouse BS) et à l’étranger (Aston University à Birmingham et Universidad Externado à Bogota).
Il vient de passer les derniers mois à alterner cours en présentiel, en distanciel et format « hybride » avec ses étudiants de master de l’Inseec grande école à Bordeaux.
Il livre à Campus Matin son témoignage et son analyse de l’impact de la crise sanitaire sur l’expérience étudiante dans les grandes écoles de management françaises.
Quel impact de la crise sur l’expérience étudiante ?
Le 30 novembre dernier, Jean Charroin le directeur général de l’ESSCA affirmait très justement que « les trois piliers traditionnels des business schools sont remis en cause par la crise ». La dimension expérientielle des programmes en formation initiale des grandes écoles de management françaises, constituée de l’expérience associative, de l’expérience internationale et de l’expérience professionnelle, est en effet fortement mise à mal par la situation générée par la pandémie de la Covid-19.
Il est possible, en période de confinement ou de forte distanciation sociale, de mettre en place des enseignements à distance de la qualité d’enseignements en présentiel, même si les interactions liées à la présence physique manquent malgré tout. Mais dans le cas des expériences associative, internationale et professionnelle, le vécu étudiant est beaucoup plus impacté.
Sans possibilité de se réunir en grand nombre pour concrétiser des projets comme par exemple des rencontres sportives, des soirées ou des opérations humanitaires, l’expérience associative perd une grande partie de sa raison d’être que les événements en ligne ne peuvent remplacer.
Des mobilités sans saveur
À l’international, les mobilités des étudiants français, qu’elles se fassent sur le campus d’une école française ou dans une université partenaire étrangère, deviennent dépendantes de l’ouverture du pays, de ses règles de quarantaine, et de son éventuel confinement, présent ou à venir.
Une de mes étudiantes de M1 « part » ainsi à Vancouver en échange universitaire au second semestre de cette année académique… mais continuera à habiter chez ses parents, car l’université est fermée et a basculé la totalité de ses enseignements du second semestre 100 % en ligne.
Suivre les cours en ligne de l’université de Vancouver, tout en anglais et en participant à des projets de groupe, lui apportera sans doute beaucoup… mais ne remplacera pas six mois passés dans le pays concerné.
Enfin, en ce qui concerne les expériences professionnelles, si l’accompagnement des étudiants dans leur recherche de stages ou de contrats d’alternance peut se faire assez efficacement en ligne, le télétravail, le chômage partiel, voire l’arrêt prématuré de certains contrats, changent profondément celles-ci.
Pourquoi la qualité de l’expérience étudiante distingue les grandes écoles de management ?
Cette dimension expérientielle est une des forces et une des caractéristiques historiques et distinctives des grandes écoles de management françaises. Elle est directement inspirée des cursus des programmes grande école (PGE) et tient à l’histoire de ces écoles.
Les premières furent créées par les Chambres de commerce et d’industrie (CCI) pour doter leurs régions respectives de cadres en capacité de gérer leurs entreprises. Originellement indépendantes du ministère de l’enseignement supérieur, elles ont développé un modèle pédagogique propre qui a donné une place importante et stratégique à l’expérientiel et à la professionnalisation.
Un marqueur fort de leur identité
Si la création du grade de master et le développement des accréditations internationales ont forcé les grandes écoles à mettre l’accent sur la dimension académique en recrutant des enseignants-chercheurs et en accentuant leurs efforts en matière de recherche, la dimension expérientielle n’a pas disparu et est restée un marqueur fort de leur identité.
Une expérience qui se déroule à l’extérieur de l’école
Paradoxalement, cette dimension expérientielle se concrétise dans la grande majorité des cas à l’extérieur de l’école même si elle prend place dans le cadre d’activités en lien avec l’école et le cursus étudiant (ce que certains ne manquent pas de souligner pour critiquer des droits de scolarité jugés trop élevés).
Surtout, elle développe chez les étudiants de ces écoles une forte capacité d’adaptation qui les distingue souvent des étudiants d’autres formations.
Comme me l’avouait il y a quelques années, le responsable d’un M2 universitaire très réputé avec qui nous possédions un double diplôme :
« Les étudiants de ton programme grande école ne sont pas les meilleurs académiquement si je les compare à ma petite cohorte d’étudiants, mais ils compensent en étant plus débrouillards et toujours capables de trouver le bon projet ou le stage le plus intéressant ».
Des auditeurs étrangers impressionnés
De la même façon, les deans de business schools étrangères qui viennent auditer les grandes écoles de management françaises dans le cadre des accréditations internationales délivrées par l’AACSB, l’EFMD ou AMBA sont généralement impressionnés par la dimension expérientielle des cursus proposés par les écoles françaises.
Quelles perspectives pour l’expérience étudiante ?
Alors qu’on nous annonce une 3e vague épidémique, on peut légitimement se demander ce qu’il va advenir de ce volet de la formation ?
Si les vaccins et l’évolution de la pandémie permettent, comme cela semble le cas, un retour à une vie étudiante semblable à celle que nous avons connue avant l’apparition de la Covid 19, ces trois piliers demeureront.
Tous préfèrent le présentiel
Les étudiants qui intégreront ces écoles à partir de septembre prochain pourront à nouveau pleinement en profiter.
Si la distanciation sociale et les périodes de stop-and-go s’imposent comme notre nouveau quotidien, c’est un point stratégique de leur attractivité et de leur identité que les grandes écoles de management devront réinventer.
L’erreur serait de penser que le développement des cours en lignes, des plateformes et des campus virtuels, permettra à lui seul de répondre à ce nouveau défi.
Car les témoignages de mes étudiants sont à ce jour sans appel : toutes et tous préfèrent le présentiel et les solutions proposées, malgré leur qualité, ne parviennent pas à satisfaire la soif d’expériences de vie « présentielles » de jeunes âgés de 18 à 23 ans. Un défi stratégique de taille pour les grandes écoles de management françaises si la situation actuelle venait à perdurer au-delà de septembre 2021…
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