Vie des campus

Cette université est devenue propriétaire de son patrimoine immobilier, elle raconte !

Par Isabelle Cormaty | Le | Stratégies

Depuis 2011, sept universités ont récupéré la propriété de leurs locaux, via la « dévolution immobilière ». Un chantier complexe relancé par le ministère de l’enseignement supérieur durant le premier quinquennat du président Macron. L’Université de Caen Normandie fait partie des bénéficiaires de ce dispositif nécessitant au préalable des années de préparation pour les services et la gouvernance. Récit de sa mise en place et des perspectives pour l’établissement.

L’Université de Caen Normandie est propriétaire de ses locaux depuis le 10 février 2022. - © D.R.
L’Université de Caen Normandie est propriétaire de ses locaux depuis le 10 février 2022. - © D.R.

Mises en place de la plateforme Parcoursup, de la Contribution à la vie étudiante et vie de campus (CVEC), et des frais différenciés pour les étudiants étrangers. Telles sont trois des principales réformes portées par Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation durant tout le premier quinquennat d’Emmanuel Macron.

Mais il existe aussi un autre chantier de taille, moins connu du grand public et soutenu par la ministre à son arrivée au gouvernement en juin 2017 : la dévolution immobilière… Depuis la loi LRU sur les Libertés et les responsabilités des universités adoptée en 2007, les universités ont en effet la possibilité de devenir propriétaire de leur patrimoine immobilier. 

Entre 2011 et 2012, trois universités obtiennent de l’État le transfert de leur patrimoine, celles de Clermont-Ferrand 1, Poitiers et Toulouse 1 Capitole, aidées par un accompagnement financier fort de l’État. Puis Thierry Mandon, secrétaire d’État à l’ESR lance une nouvelle phase d’expérimentation en 2016. Le chantier prend du retard et Frédérique Vidal le relance, permettant ainsi aux universités de Bordeaux, de Marseille, de Caen et de Tours d’en bénéficier.

L'Université de Caen Normandie fait partie des sept établissements propriétaires de leur patrimoine à ce jour. L’acte notarié attestant du transfert de propriété entre l’État et l’université a été signé le 10 février dernier, après plusieurs années de préparation. Le directeur du patrimoine et de la logistique et la vice-présidente en charge du patrimoine de l’établissement racontent l’impact concret de la dévolution sur la vie des services et les perspectives pour l’université.

Plusieurs années pour préparer la dévolution

Pour l’Université de Caen Normandie, tout commence en 2014. Dans un courrier adressé au ministère de l’enseignement supérieur, l’établissement affirme sa volonté de rentrer dans le processus de dévolution. « L’université a fait l’objet d’une inspection générale pour juger de ses capacités à devenir propriétaire et à mener des réflexions sur la gestion et la valorisation de son patrimoine, tant sur le plan opérationnel que sur la volonté politique de l’établissement », commence François Caumont, directeur patrimoine et logistique de l’université.

François Caumont est directeur patrimoine et logistique de l’université de Caen depuis 2012. - © Dircom UniCaen
François Caumont est directeur patrimoine et logistique de l’université de Caen depuis 2012. - © Dircom UniCaen

Après plusieurs études, l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale de l’administration, de l’éducation nationale et de la recherche émettent un avis favorable pour l’université, et suggèrent à l’établissement des pistes d’amélioration afin d’être prêt au moment du transfert de patrimoine.

L’université a ainsi créé un pôle de maîtrise des énergies et structuré juridiquement la direction du patrimoine et de la logistique. « Nous avions besoin d’un juriste interne capable de gérer la phase de dévolution et les projections, notamment sur les montages juridiques à mettre en place pour valoriser notre patrimoine », cite le directeur du patrimoine et de l’immobilier.

« Ces deux grands champs de compétences ont été créées ces cinq dernières années à l’Université de Caen. Ils nous ont permis d’absorber tout le côté opérationnel de la dévolution, se souvient François Caumont. On nous a également demandé de montrer que nous connaissions notre patrimoine. »

Pour se préparer au transfert du patrimoine, l’Université de Caen Normandie, le rectorat et le représentant de la politique immobilière de l’État ont rédigé pendant deux ans un dossier technique. Ce dernier répertorie l’ensemble des parcelles cadastrales de l’établissement, son foncier et les données associées au bâti.

« Nous avons refait un peu de cadastral avec des géomètres. Avec le temps, il y avait quelques incohérences sur les servitudes de passage ou des partages tacites de parcelles avec le Crous par exemple », complète le directeur du patrimoine et de la logistique. Une fois ce dossier technique validé par les ministères de l’intérieur et de l’enseignement supérieur, l’État a acté la possibilité de transfert du patrimoine à l’université.

Une restructuration du service immobilier de l’université

La préparation de la dévolution immobilière à l’Université de Caen s’est accompagnée d’une montée en puissance de sa direction du patrimoine et de la logistique composée de 92 personnes, ainsi qu’une forte montée en compétences de ces personnels.

« Nous avons recruté un notaire par un marché national ainsi qu’une dizaine de personnes sur la partie immobilier et réorganisé l’organigramme du service. J’ai aussi revu les fiches de poste d’une vingtaine de personnels pour inclure de nouvelles compétences et missions », détaille François Caumont. 

Une gestion en BIM permise par la montée en compétences

Exemple de compétences acquises par le service, l’université gère maintenant l’ensemble de ses projets immobiliers en BIM (Building Information Modeling). Il s’agit d’un outil numérique facilitant le partage d’informations fiables tout au long de la durée de vie des infrastructures, de leur conception jusqu’à leur démolition. Le BIM définit qui fait quoi, comment et à quel moment.

« Tous les projets sont montés via le BIM, ce qui fait de l’Université de Caen Normandie une référence dans le domaine. C’est un avantage compétitif de l’établissement qui facilite beaucoup la compréhension et le suivi des travaux », témoigne Mathilde Divay.

Des projections à court, moyen et long terme

Concilier des projets aux temporalités différentes

Après plusieurs années de préparation, l’Université de Caen Normandie est désormais propriétaire de son patrimoine depuis le 10 février. La dévolution immobilière ouvre de nouvelles perspectives pour l’établissement et implique aussi de nouvelles missions.

À commencer par établir des projections à court, moyen et long terme sur le patrimoine immobilier.

« Nous nous devons de maintenir le bâti dans un état de fonctionnement suffisant pour que l’université puisse assurer ses missions d’enseignement et de recherche. Nous réfléchissons aussi à améliorer l’état du bâti, voire à le rénover en lien avec la transition énergétique », raconte Mathilde Divay, vice-présidente en charge du patrimoine. 

Au-delà de l’entretien des bâtiments, la dévolution comprend également la valorisation du patrimoine, ou encore l’évolution de son bâti pour répondre à de nouveaux besoins.

« La dévolution s’accompagne aussi de la construction d’un budget annexe immobilier (BAIM). Ce budget doit refléter la capacité de l’université à gérer de façon autonome toute la partie immobilière, ses dépenses et ses ressources », précise la vice-présidente en charge du patrimoine.

Une étroite coordination entre les services et la gouvernance

Mathilde Divay est vice-présidente en charge du patrimoine de l’Université de Caen Normandie depuis décembre 2020. - © Dircom UniCaen
Mathilde Divay est vice-présidente en charge du patrimoine de l’Université de Caen Normandie depuis décembre 2020. - © Dircom UniCaen

Entamé en 2014, le processus pour arriver à la signature de la dévolution immobilière le 10 février dernier a nécessité une étroite collaboration entre la direction du patrimoine et de la logistique et la gouvernance de l’université.

« La vice-présidence au patrimoine et les services doivent travailler main dans la main, à chaque étape. Les décisions peuvent être techniques, mais elles sont aussi souvent de nature stratégique et politique. Il faut donc une parfaite coordination entre la gouvernance et la direction du patrimoine », souligne Mathilde Divay, vice-présidente en charge du patrimoine depuis décembre 2020.

« Pour pouvoir mettre en place des projets sur le long terme, il est important pour la gouvernance de pouvoir s’appuyer sur un service immobilier capable de travailler en mode projet », ajoute-t-elle.

Les présidents d’université étant élus pour quatre ans, la dévolution immobilière implique de réfléchir à des projets sur le long terme, bien au-delà de la durée d’un mandat. En poste depuis 2012 comme directeur du patrimoine et de la logistique de l’Université de Caen Normandie, François Caumont a ainsi accompagné la mise en place de la dévolution auprès de trois vice-présidents différents. « Mais il y a eu une continuité de pensée », salue-t-il.

Des liens nouveaux avec les collectivités

Particularité de l’Université de Caen Normandie, l’établissement est implanté dans trois départements (le Calvados, la Manche et l’Orne) et dispose de sept campus dans six villes du territoire : Caen et son agglomération, Alençon, Cherbourg-en-Cotentin, Lisieux, Saint-Lô et Vire.

En devenant propriétaire de ses locaux, les relations entre l’Université de Caen Normandie et les collectivités locales ont donc évolué. « Nous sommes devenus par la dévolution l’un des plus gros propriétaires de la Normandie et un interlocuteur majeur pour la région et les communes où se trouvent nos campus », constate Mathilde Divay.