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Trois grandes réformes du quinquennat racontées par ceux qui les ont appliquées

Par Marine Dessaux, Enora Abry | Le | Management

Mise en place de Parcoursup, nouvelle taxe en faveur de la vie étudiante, frais différenciés pour les étudiants étrangers… En cinq années, les mesures prises sous l’égide de Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, ont modifié le quotidien et fait bouger des services universitaires. Quelques jours avant le premier tour de la présidentielle, trois d’entre eux témoignent.

Au-delà des réformes, Frédérique Vidal aura marqué les esprits pour sa longévité au Mesri. - © Google Map
Au-delà des réformes, Frédérique Vidal aura marqué les esprits pour sa longévité au Mesri. - © Google Map

Les grandes mesures pour l’enseignement supérieur mises en œuvre ces cinq dernières années ont fait couler beaucoup d’encre… mais qu’en est-il de leur impact concret sur la vie des services  ? La direction des enseignements de l’Université d’Angers, celle de la vie de campus de l’Université Paris-Saclay et des relations internationales de l’Université Rennes 1 racontent ce qui a changé dans leur quotidien et leurs pratiques. Et, présidentielle oblige, Campus Matin leur a demandé de faire part de leurs attentes !

Direction des enseignements de l’Université d’Angers  : « Les nouvelles missions s’inscrivent sur le temps long »

Une nouvelle plateforme pour l’orientation à mettre en place 

Du côté des admissions, la grande nouveauté, c’est la plateforme Parcoursup - © D.R.
Du côté des admissions, la grande nouveauté, c’est la plateforme Parcoursup - © D.R.

C’est en 2018, dans le cadre de la loi Orientation et réussite des étudiants (ORE), que la plateforme Parcoursup a remplacé Admission post-bac (APB). Exit la sélection par tirage au sort dans les filières en tension, désormais les candidats enregistrent leurs vœux sans hiérarchisation et complètent un dossier qui permet aux enseignants de les classer. 

Une nouveauté qui implique donc fortement les équipes pédagogiques dans un domaine qui était principalement géré par la direction de la formation des universités jusqu’alors. À l’Université d’Angers, Véronique Chamard, administratrice de Parcoursup, et Emmanuelle Ravain, directrice des enseignements, vie étudiante et des campus, le confirment. 

Emmanuelle Ravain est directrice des enseignements, vie étudiante et des campus à l’Université d’Angers - © D.R.
Emmanuelle Ravain est directrice des enseignements, vie étudiante et des campus à l’Université d’Angers - © D.R.

«  Il a fallu effectuer la transition avec APB, raconte Véronique Chamard, ce qui a nous a demandé tout un travail d’administration de la plateforme, de nombreux paramétrages supplémentaires à prendre en compte, mais aussi d’effectuer un accompagnement des équipes pédagogiques dans les composantes. Nous sommes là pour les assister sur l’aspect technique du classement des candidatures et nous assurer que tout est saisi correctement sur la plateforme.  » 

Pour permettre la communication entre les services, des personnes relais ont été désignées dans les composantes. Ces enseignants bénéficient d’une compensation pécuniaire, financée via l’enveloppe attribuée par le ministère pour ce chantier et dont l’utilisation peut être librement fixée par l’université. 

Une charge de travail augmentée sur le long terme 

Comme tout changement d’envergure, la mise en place de Parcoursup est à l’origine d’une augmentation de la charge de travail. Une tendance qui va s’inscrire sur le long terme, estime Véronique Chamard.  

Véronique Chamard est administratrice de Parcoursup à l’Université d’Angers - © Véronique Chamard
Véronique Chamard est administratrice de Parcoursup à l’Université d’Angers - © Véronique Chamard

«  Nous avons été accompagnés par le ministère au départ par des sessions de séminaires à Paris, avec des assesseurs à la pédagogie des composantes, explique-t-elle. La formation sur l’outil d’aide à la décision a pris place lors de sessions en ligne. Au niveau de la documentation également, tout ce qui a été fourni était plutôt suffisant. Néanmoins, les nouvelles missions s’inscrivent sur le temps long  : chaque année il faut actualiser la plateforme, voter les données requises pour le dossier de candidature, actualiser la documentation visant à rendre plus transparente la procédure.  » 

Par ailleurs, le processus de préparation de Parcoursup est plus lourd, car il s’étend sur une plus grande partie de l’année :

«  Avec APB, il y avait deux grandes périodes de prédation : novembre-décembre puis mai-juin pour les admissions et inscriptions, aujourd’hui s’étend quasiment sur l’année avec des deadlines plus courtes”, précise la responsable de Parcoursup.

Un accompagnement renforcé en L1

Autre mesure découlant de la loi ORE, un dispositif de réussite pour la première année de licence a vu le jour dans plusieurs universités de France. À l’université angevine, des parcours d’accompagnement sont déjà proposés depuis 2016, grâce à des subventions de la région Pays de Loire et du Fonds social européen (FSE).  

«  Cette mesure n’a pas été chez nous une aussi grande révolution que dans d’autres universités. Néanmoins les dispositifs préexistants ont pu être renforcés et des recrutements ont pu avoir lieu dans les composantes. Tout cela nous a confortés dans l’idée qu’un nouveau métier devait voir le jour  : celui de chargé d’accompagnement  », dit Emmanuelle Ravain.

Les attentes 

Quelques pistes d’amélioration sont soulevées pour le fonctionnement de la plateforme  :  

  • Rendre la saisie des rapports publics plus ergonomiques  : « Dans une démarche de transparence, les rapports publics des commissions d’examen des vœux de Parcoursup sont entrés sur la plateforme. Or la saisie n’est pas toujours facile, un outil d’automatisation serait le bienvenu  », explique Véronique Chamard.
  • Le retour de l’orientation active sur la plateforme  : «  Dans APB, il était possible de donner des conseils d’orientation aux étudiants à l’endroit où ils postaient leurs vœux. Cela permettait par exemple d’expliquer à un étudiant qui postule pour une licence langue étrangère appliquée italienne que s’il n’a jamais suivi de cours d’italien, il ne sera pas en mesure de valider les attendus  », souligne Emmanuelle Ravain

Bilan  : un fonctionnement qui évolue en lien avec la digitalisation grandissante des tâches administratives 

Il ressort une évolution importante du fonctionnement de la direction de la formation compte tenu de l’arrivée d’un nouvel outil, mais aussi en raison de la place grandissante du numérique dans les tâches administratives.  

 «  Les mesures prises ces cinq dernières années nous ont amenés à centraliser l’organisation des admissions en première année comme en master. Elles se faisaient auparavant beaucoup plus en contact direct avec les services de scolarité, dans les facultés  », analyse Emmanuelle Ravin.  

Direction des affaires et des relations internationales de l’Université Rennes 1  : « Le service s’est complètement réorganisé »

Repenser l’accueil des étudiants étrangers avec la réforme Bienvenue en France 

Le plan Bienvenue en France a débloqué un budget important pour séduire les étudiants étrangers - © D.R.
Le plan Bienvenue en France a débloqué un budget important pour séduire les étudiants étrangers - © D.R.

Annoncé par le premier ministre Edouard Philippe en avril 2018, le plan Bienvenue en France se décline en deux volets  : un label de qualité d’accueil, d’une part, et une série de mesures pour favoriser l’attractivité de la France auprès des étudiants étrangers, de l’autre.  

«  La réforme Bienvenue en France a eu un impact sur l’évolution du service relations internationales, qui s’est complètement réorganisé depuis mon arrivée, il y a quatre ans. Désormais, nous nous occupons davantage des étudiants en mobilité individuelle alors qu’avant, nous étions essentiellement concentrés sur les étudiants en programme d’échange (Erasmus+, etc.). Ce sont 3 000 internationaux, soit 10 % de l’effectif total des étudiants, pour lesquels nous mettons en place de nouvelles mesures afin de mieux les accueillir  », expose Maëlle Flot, directrice des relations internationales. 

Parmi les mesures de Bienvenue en France, figure la possibilité, très décriée par la plupart des universités, d’instaurer des frais différenciés pour les étudiants étrangers afin de dégager un budget pour améliorer les conditions d’accueil. L’Université Rennes 1 a fait le choix de les mettre en place. 

«  Nous avons travaillé avec les directions des affaires juridiques, formation et l’aide au pilotage pour calibrer l’application des frais différenciés. Cela demande de faire du prévisionnel afin de nous assurer de ne dépasser 10 % d’exonération de frais [taux maximal d’étudiants qu’une université peut dispenser de paiement des droits d’inscription]  », explique Maëlle Flot, qui est également vice-présidente de Risup, le réseau des directeurs des relations internationales d’établissements publics d’enseignement supérieur. 

Un équilibre à trouver dans les finances

Les universités ont bénéficié d’une enveloppe conséquente, qui a permis le recrutement d’une chargée de projet Bienvenue en France.

Maëlle Flot est directrice des relations internationales à l’Université Rennes 1. - © D.R.
Maëlle Flot est directrice des relations internationales à l’Université Rennes 1. - © D.R.

«  Mais il n’y a qu’une seule subvention, après c’est terminé, rappelle Maëlle Flot. Dès lors, comment pérenniser nos actions  ? Nous venons de soumettre le bilan de Bienvenue en France au ministère. Chez nous, ce sont les frais différenciés qui permettent de pérenniser les initiatives. Cependant, pour celles qui n’ont pas fait ce choix, cela risque d’être plus compliqué.  » 

En effet, les actions et recrutements pour l’accueil et l’accompagnement des étudiants ont un coût… tout comme la digitalisation des services. «  Si nous voulons bien recruter et accueillir, il faut être bons en matière de digitalisation. Et les logiciels représentent de grosses dépenses.  » 

Autre besoin  : celui d’un recrutement spécifique à la gestion de projets internationaux. «  Le dépôt de projets européens demande une coordination conséquente et des compétences spécifiques  : être très structurés, travailler avec le décalage horaire, être bilingue voire trilingue… Nous aurions besoin d’une ouverture au concours spécifique à un tel profil  », dit Maëlle Flot. 

Autre réforme d’ampleur  : la créations des alliances européennes 

C’est l’une des grandes nouveautés du quinquennat  : la création d’alliances entre universités de l’Union européenne. L’Université Rennes 1 fait partie de l’une d’elles, Educ, et c’est au sein de la direction des relations internationales que sont gérés les projets associés.  

«  Ce chantier d’envergure, pour lequel nous avons reçu un million d’euros de l’Agence nationale pour la recherche (ANR) et la même somme de fonds européen, est riche pour l’innovation en matière d’internationalisation. Grâce à ces financements, nous avons recruté un project manager, deux chargés de projet et une chargée de communication. C’est un sujet qui nous a demandé énormément de temps mais qui est très intéressant et stimulant. Cela a permis un élan d’innovation positif  », rapporte Maëlle Flot. 

L’université européenne n’est cependant pas toujours portée par le même service, la structuration dépend «  des universités et des thématiques portées par l’alliance  », précise-t-elle.  

Un service complètement restructuré en quatre ans

«  Ce sont des raisons conjoncturelles et structurelles qui expliquent l’évolution de la direction des relations internationales depuis quatre ans  », estime Maëlle Flot.  

En effet, le service a complétement été repensé, d’un organigramme en râteau de neuf agents, à une construction en deux pôles - mobilité ainsi que coopération et projets - de 18 personnes  !  

Bilan  : un quinquennat très transformant… toujours en lien avec la digitalisation des métiers 

«  Ces dernières années ont été très transformantes, avec la création de projets très transversaux qui modifient notre façon de travailler. Les projets d’envergue comme les universités européennes donnent également davantage de sens à nos métiers  », analyse Maëlle Flot. 

Elle remarque également  : «  Nous avons dû repenser nos activités, nos procédures et, par ce biais, nous avons mis le doigt sur des dysfonctionnements.  » 

Des changements qui sont en partie dus à la digitalisation accélérée par la crise Covid «  qui était déjà en œuvre et qui est également une demande de l’agence Erasmus Plus  »

Direction vie de campus de l’Université Paris-Saclay : « Remettre la question de la vie étudiante au centre » 

La naissance de la CVEC

L’utilisation de la CVEC a été faite en accord avec les étudiants qui font partie de la commission CVEC - © D.R.
L’utilisation de la CVEC a été faite en accord avec les étudiants qui font partie de la commission CVEC - © D.R.

La Contribution à la vie étudiante et vie de campus (CVEC) a été instituée par la promulgation de la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants et est devenue effective à partir du 1er juillet 2018. L’étudiant assujetti à la CVEC paye cette contribution en amont de son inscription dans un établissement d’enseignement supérieur public, directement sur le site du Crous. Les fonds versés aux établissements par le Crous ont pour objectif de financer des services étudiants (sport, santé, culture, accueil, aides et initiatives étudiantes). Pour l’année 2021-2022, le prix de la CVEC est de 92 euros. Les boursiers en sont exonérés.  

Selon Hervé Rivières, directeur de la direction vie étudiante et égalité des chances de l’Université Paris-Saclay, c’est bien la CVEC qui a accéléré la transformation des services administratifs vie étudiante ou vie de campus dans les établissements du sup’ français. 

Anne Guiochon Mantel est vice présidente vie de campus de l’Université Paris-Saclay  - © chrispeus.com
Anne Guiochon Mantel est vice présidente vie de campus de l’Université Paris-Saclay - © chrispeus.com

Anne Guiochon Mantel vice-présidente vie de campus de la même université, l’explique : « La CVEC a permis de mettre la question de la vie étudiante à sa juste place, c’est-à-dire au centre. Quand elle a été créée, nous avons dû prendre des décisions sur son utilisation. Beaucoup d’établissements se sont alors dotés de vice-président vie de campus. Nous avons régulièrement échangé avec nos homologues pour confronter nos bonnes pratiques.  »  

Une contribution qui a été d’une grande aide durant la pandémie. « Toutes les activités extra-universitaires étaient arrêtées, raconte Anne Guiochon Mantel, alors l’entièreté de la part Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes (FSDIE) de la CVEC a été dédiée aux aides sociales, aux aides pour acheter des ordinateurs. Nous avons aussi organisé des programmes de tutorat pour que les étudiants ayant de bonnes connaissances des systèmes d’aides puissent les expliquer à leurs camarades qui se retrouvaient dans le besoin. Le choix d’investir dans tel ou tel service a été fait en accord avec les étudiants qui font partie de la commission CVEC.  » 

Un démarrage sur les chapeaux de roue  

La CVEC est une ressource intéressante certes, mais encore faut-il s’accorder sur les manières de l’utiliser, ce que l’Université Paris-Saclay a dû apprendre à faire.

Hervé Rivières est directeur de la direction vie étudiante et égalité des chances - © Christophe Peus
Hervé Rivières est directeur de la direction vie étudiante et égalité des chances - © Christophe Peus

«  Le décret est arrivé en mars 2017, et nous avons mis en place une commission CVEC dès octobre 2018  », souligne Hervé Rivières. «  Maintenant on est vraiment rodés, affirme Anne Guiochon Mantel, même si la mise en place n’a pas été simple. Il a fallu travailler en lien avec le service des finances, les ressources humaines, car finalement c’est un dispositif qui impacte toute la chaîne.  »  

«  Il s’agit également d’un financement pluriannuel, ce qui nécessite un véritable pilotage au sein de plusieurs instances  : la formation, la maison du doctorat, le service de santé, etc. Pour que ça fonctionne, il faut de la transparence  », poursuit Hervé Rivières.  

Une coopération des différents services qui comporte des aspects positifs : «  On peut faire remonter des initiatives de tous les services, même ceux des bibliothèques, par exemple », rappelle Anne Guiochon Mantel.   

Et qui se fait également à l’échelle de tout l’établissement public expérimental qu’est l’Université Paris Saclay, issu de la fusion entre l’université Paris-Sud et la Comue ! «  Entre les différentes composantes de Saclay, nous faisons des échanges de pratiques afin de rendre le même type de service aux étudiants, quel que soit leur lieu d’étude. Cependant, chacun garde sa compétence et sa gouvernance  », ajoute-t-elle.  

Bilan : une nouvelle agilité dans la gestion de crise

«  Ces cinq dernières années avec la pandémie, la guerre en Afghanistan, en Ukraine, nous avons appris à travailler ensemble et à devenir agiles dans les gestions de crise. Nous avons été capables d’accompagner les étudiants dans de bonnes conditions et de promouvoir la liberté d’étudier  », conclut Hervé Rivières.   

Que souhaitent ces trois services pour le prochain quinquennat ?